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Cadre méthodologique de la recherche : la logique interlocutoire

4.1. Langage formel de la logique interlocutoire

4.1.3. Les quantificateurs et opérateurs de la langue naturelle

Les ensembles VT d’opérateurs vérifonctionnels et VQu des quantificateurs du langage LC ne peuvent pas rendre compte des propriétés phénoménales des particules logiques du langage naturel qui relient des énoncés ou des contenus propositionnels (comme par exemple les pronoms personnels, les pronoms interrogatifs, les connecteurs de la langue naturelle, etc…). Pour dépasser cette faiblesse, la logique interlocutoire traite ces connecteurs selon une approche des langues naturelles en termes de jeux : la théorie des jeux sémantiques (Hintikka, 1976 ; Hintikka & Kulas, 1983 ; Hintikka & Saarinen, 1979 ; Hintikka et Sandu, 1998). A l’origine, cette théorie a été élaborée pour décrire la sémantique des langues naturelles et pour définir les conditions de vérité et de fausseté des formules logiques. Pour définir cette vérité ou cette fausseté, la théorie des jeux sémantique associe à chaque partie de discours, phrase ou énoncé simple, un jeu. Dans ces jeux, « le sens des constantes logiques (connecteurs et quantificateurs) est fixé par des règles spécifiques » (Rebuschi & Tulenheimo, 2004, p.3).

« C’est un jeu à somme nulle mettant en relation Moi-Même, c'est-à-dire le locuteur S dont on analyse l’énoncé, et la Nature (wo dans la sémantique des mondes possibles). Dans ce jeu, Moi-Même est chargé de vérifier la thèse qu’il avance, s’il réussit, il gagne la partie, et il revient à la Nature le rôle de la falsifier. Si elle réussit, Moi-Même perd et Nature gagne. Ce jeu de vérification-falsification s’accomplit selon des règles qui sont spécifiques à la structure de l’énoncé pris en considération. L’idée fondatrice est qu’une phrase S est vraie si et seulement si elle est vérifiable dans l’univers considéré. Autrement dit, la phrase S est vraie si et seulement si Moi-Même (le vérificateur initial) dispose d’une stratégie gagnante dans le jeu corrélé, que nous nommons J(S). La phrase S est fausse si et seulement s’il existe une stratégie gagnante pour la Nature dans le jeu J(S). Une stratégie, dans le jeu sémantique de Hintikka, est une règle qui indique à un joueur quel coup jouer dans chacune des situations qui pourraient se produire au cours de ce jeu.

Les principales règles de ce jeu J(S) concernent :

- la proposition universelle : J((∀x)S(x)) procède comme la précédente, si ce n’est que l’individu initial du domaine Di est choisi par la Nature ;

- la vérité : si Moi-Même asserte une phrase atomique A, alors Moi-Même gagne J(A) si A est vrai dans l’univers considéré, et la Nature perd. Si A est faux, la Nature gagne et Moi-Même perd dans ce même univers ;

- la négation : dans J(¬S), les deux joueurs jouent J(S) en permutant les rôles (définis par les règles J) ;

- la conjonction : J(S1 ∧ S2) commence par le choix que fait la Nature de S1 ou S2 – disons S2 – La suite du jeu est J(S2). Cela revient à dire que la Nature choisit une des propositions S1 ou S2 ;

- la disjonction : J(S1 ∨ S2) procède comme la précédente, sauf que Si (i = 1 ou 2) est choisi par Moi-Même. Cela revient à dire que Moi-Même choisit une des propositions disjointes S1 ou S2 ;

- le conditionnel : J(S1 ⊃ S2). Moi-Même choisit la négation de l’antécédent ou le conséquent ;

- la proposition existentielle : J((∃x)S(x)) commence par un choix d’un membre du domaine Di effectué par Moi-Même. S’il n’y a pas de constante « c » dans L dont la valeur soit l’individu choisi, on ajoute à L une nouvelle constante (un nouveau nom) « c » comme nom de l’individu choisi. La suite du jeu est comme dans J(S(c)) » (Trognon, Batt & Laux, 2006, p.156-157).

Prenons par exemple la phrase S : « Minou est un chat ou Minou est un chien ». Dans cette phrase on identifie deux composants : S1 : « Minou est un chat » et S2 : « Minou est un chien ». S étant une phrase complexe, on va la décomposer progressivement au fur et à mesure des jeux jusqu’à obtenir un énoncé atomique. Le connecteur principal de S est la disjonction, dans le jeu J(S), on va donc appliquer la règle de la disjonction : Moi-même choisit un des deux disjoints, S1 ou S2 puisqu’en affirmant (S), Moi-même s’engage à assumer un de ces deux énoncés. Pour ce jeu, deux cas sont donc possibles :

- Moi-même choisit S1 : « Minou est un chat », à ce moment le jeu se poursuit avec J(S1). S1 est une phrase atomique donc on lui applique la règle de la vérité.

Comme S1 est vraie dans l’univers considéré, Moi-même gagne le jeu (et donc la Nature le perd) ;

- Moi-même choisit S2 : « Minou est un chien », à ce moment le jeu se poursuit avec J(S2). S2 est une phrase atomique donc on lui applique la règle de la vérité. Comme S2 est fausse dans l’univers considéré, Moi-même perd le jeu.

Moi-même peut donc perdre le jeu s’il joue mal mais par contre si Moi-même joue bien, il peut systématiquement gagner. Puisque Moi-même peut systématiquement gagner le jeu (indépendamment des coups joués par la Nature) il existe une stratégie gagnante pour J(S) et donc la phrase S de départ est vraie. En effet, « l’existence d’une stratégie gagnante pour le vérificateur [Moi-même, JL] (c’)est très exactement ce qui donne les conditions de vérité de la phrase » (Rebuschi, 2005, p.156).

« Le recours à la sémantique des jeux élargit la classe des quantificateurs de la logique interlocutoire et accroît sa « puissance de calcul » en même temps que son adéquation » (Trognon, Batt & Laux, 2006, p.157). Parmi les quantificateurs que traite la sémantique des jeux se trouvent les mots en wh- qui introduisent une question. Or, le second énoncé de la consigne de la tâche de sélection de Wason (« Quelles cartes, et seulement quelles cartes, doivent être retournées pour savoir si la règle est vraie ou fausse ?) est une question catégorielle (Hintikka, 1976, 1981). Nous présentons donc dans ce paragraphe la manière dont la sémantique des jeux traite ce genre de quantificateurs car cela nous sera utile dans le dernier chapitre de ce travail.

« Une question comme Qui habite ici ? s’analyse, avec pour symbolisation Kax = a sait qui est x (x habite ici), à la fois comme [(x) (x --- ⊃ Kax ---)] et comme [(∃x) (x --- ∧

Kax ---). La première analyse correspond à une lecture universelle de la question. La réponse qui convient est « b1, b2,…., bk » en position sujet avec un verbe au pluriel, où b1, b2,…., bk sont tous les individus qui habitent l’endroit désigné, avec [Ka (x) (x habite ici ≡ (x = b1 ∨ x = b2 ∨ …∨ x = bk))] et à la condition (prémisse additionnelle) que a connaisse bi, c'est-à-dire que [(∃x) Ka (bi = x)] pour tous les i = 1, 2, …k ; c'est-à-dire seulement si a sait qui sont b1, b2, …, bk. La seconde analyse correspond à une lecture existentielle qui s’écrit [(∃x) Ka x habite ici], formule équivalente à [(∃x) x habite ici ∧

(Ka x habite ici)]. Sa réponse est « b » ou bien « b habite ici », où b est un terme au singulier. « J’ai exprimé le cœur de mon analyse des questions en disant que tous les mots en wh- (quand ils sont utilisés interrogativement) sont des sortes de quantificateurs. Les deux interprétations quantificationnelles des questions présentées ici peuvent se résumer en disant ce qu’est la particularité de ce nouveau quantificateur. Sa particularité est que un tel quantificateur peut être pris soit comme un quantificateur universel soit comme un quantificateur existentiel. Nous pourrions peut être dire avec un certain brin

d’exagération que les mots en wh- ne sont rien d’autre que des quantificateurs

ambidextres » (Hintikka, 1981, p. 63) » (Trognon, Batt & Laux, 2006, p.157-158).