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« Matrice » de la tâche de sélection

1.2. Performances des sujets expérimentaux

1.2.4. Contextes discursifs

1.2.4.1. Dialogues socratiques

Au début de leurs travaux, Wason et Johnson-Laird réalisent une série d’expériences « thérapeutiques » (Wason, 1969 ; Wason & Golding, 1974 ; Wason & Johnson-laird, 1970) dont l’objectif est d’aider les sujets à découvrir leur erreur et de les pousser à adopter une démarche de falsification pour résoudre le problème. Pour ce faire, l’expérimentateur engage le dialogue avec le sujet afin de l’amener pas à pas à trouver son erreur. Malgré ce dialogue, la résistance des sujets à accepter leur erreur est impressionnante. Cet axe de recherche est rapidement abandonné, Wason et Evans (1975) soutenant que les raisonnements des sujets mis à jour dans le dialogue avec l’expérimentateur, en tant que raisonnement post hoc, ne seraient pas représentatifs des processus de raisonnement internes des sujets au moment de la sélection des cartes. L’intérêt de ces travaux est pourtant encore reconnu 20 ans après leur arrêt puisque Newstead et Evans écrivent : « On devrait les lire pas seulement pour leur signification historique mais pour les aperçus psychologiques qu’ils fournissent toujours » (1995, p.9, traduit par nous).

Plus récemment, Stenning et Van Lambalgen (2001, 2004) ont présenté des extraits de dialogues socratiques illustrant les types de problèmes qu’expérimentent les sujets qui accomplissent la tâche de sélection. Grâce à ces dialogues, ces auteurs illustrent une série de problèmes rencontrés par les sujets (2004, p. 496) comme : Qu’est-ce que la vérité ?, Qu’est-ce que la fausseté ?, l’autorité de la source de la règle, l’interaction entre interprétation et raisonnement, etc…

Cependant, dans un cas comme dans l’autre les dialogues mis en oeuvre sont assez éloignés du dialogue coopératif entre pairs résolvant ensemble un problème qui constitue une situation plus naturelle.

1.2.4.2. Résolution de groupes collaboratifs

Moshman et Geil (1998) élaborent une expérience d’une grande rigueur expérimentale pour mettre en évidence la supériorité d’un raisonnement collaboratif sur un raisonnement individuel pour résoudre la tâche de sélection abstraite. Ils répartissent 143 étudiants en psychologie de l’éducation en trois conditions :

- 32 étudiants sont assignés à la condition « résolution individuelle » dans

laquelle on demande aux sujets d’accomplir la tâche individuellement ;

- 54 étudiants sont assignés à la condition « résolution interactive » dans

laquelle on demande aux sujets d’accomplir la tâche collaborativement par groupes de 5 à 6 étudiants (10 groupes sont constitués) ;

- 57 étudiants sont assignés à la condition « résolution individuelle/interactive » dans laquelle on demande aux sujets d’accomplir la tâche d’abord individuellement et ensuite collaborativement par groupes de 5 à 6 étudiants (10 groupes sont constitués).

L’expérimentateur demande aux sujets des différentes conditions d’accomplir la version abstraite de la tâche de sélection en leur précisant que toutes les cartes ont une lettre sur une face et un nombre sur l’autre face. De plus, l’expérimentateur précise aux sujets (en situation individuelle ou en groupe) qu’ils doivent prendre autant de temps que nécessaire pour justifier leur solution par écrit (pour les sujets seuls), ou pour aboutir à un consensus (pour les groupes) puis justifier individuellement la solution commune par écrit.

Moshman et Geil constatent que seulement 9% des sujets seuls réussissent la tâche alors que 70% des groupes de la condition « résolution interactive » et 80% des groupes de la condition « résolution individuelle/interactive », la réussissent. Les performances des groupes dans les deux conditions sont donc significativement meilleures que celles des sujets seuls. Surtout, dans la condition « résolution individuelle/interactive » dans trois des dix groupes, aucun des sujets n’a donné dans un premier temps la bonne réponse

individuellement. Pourtant, dans la phase de discussion collaborative, ces trois groupes aboutissent à la solution correcte. Ce résultat est en accord avec une recherche menée récemment par Laughlin, Hatch, Silver et Boh selon laquelle « les groupes de trois membres sont nécessaires et suffisants pour avoir de meilleures performances que le meilleur des membres d’un nombre équivalent d’individus dans les problèmes intellectifs » (2006, p.650, traduit par nous).

Pour s’assurer que la supériorité des groupes par rapport aux individus est bien due au contexte de raisonnement collaboratif, Moshman et Geil (1998) contrôlent que cette supériorité ne puisse pas être attribuée à un artefact de leur méthodologie ou à une quelconque influence sociale non rationnelle.

Tout d’abord, ils se demandent si la supériorité des groupes ne peut être imputée au fait que ces derniers passent en moyenne deux fois et demi plus de temps que les sujets seuls à accomplir la tâche. Dans leur procédure les auteurs ont vivement encouragé les étudiants en situation individuelle, à passer autant de temps que nécessaire sur la tâche. Pour ce faire, ils ont dit à ces sujets qu’ils n’étaient pas obligés de réussir la tâche mais qu’ils étaient obligés de participer à l’étude pendant les 50 minutes imparties pour obtenir un quitus dans le cadre de leurs études. Les sujets avaient donc toutes les raisons de prendre tout leur temps. Lorsque les étudiants en condition individuelle avaient noté leur réponse et sa justification, on leur donnait la réponse correcte et on leur demandait de réfléchir à nouveau à la tâche et de justifier la réponse correcte. On leur laissait donc à nouveau du temps pour réfléchir. Si le temps avait été le facteur expliquant les différences de performances, le fait de laisser à nouveau du temps aux sujets seuls pour réfléchir aurait dû augmenter leur compréhension de la tâche ; pourtant les sujets fournissaient le plus souvent des justifications incohérentes de la bonne réponse ou disaient tout simplement qu’ils ne comprenaient pas pourquoi c’était la bonne réponse. A partir de ces observations, les auteurs concluent que la différence de temps passé à accomplir la tâche n’explique pas la supériorité des groupes sur les individus pour résoudre ce problème.

Les auteurs se demandent ensuite si la supériorité des groupes sur les sujets seuls ne peut être due à la pression sociale poussant à la conformité. Dans la constitution des groupes de la condition « résolution individuelle/interactive », la réponse correcte n’était jamais la réponse majoritaire donnée individuellement avant la discussion, et n’était même jamais la réponse la plus commune donnée individuellement avant la discussion. Les auteurs s’intéressent encore à l’hypothèse selon laquelle les membres ayant choisi cette réponse individuellement et argumentant en sa faveur dans la discussion auraient une grande influence sociale sur les autres membres du groupe ; cependant tous les membres sont des étudiants de l’enseignement supérieur assignés aléatoirement aux différents groupes, donc il n’y a aucune raison que ceux qui militent pour la réponse correcte soient mieux perçus que les autres pour autre chose que la qualité de leurs arguments. Les auteurs en concluent que ni la pression à la conformité, ni même une influence sociale des membres défendant la réponse correcte dans la discussion ne peuvent être des facteurs expliquant la supériorité des groupes sur les individus dans la résolution de ce problème. D’autant que – et c’est sans doute le meilleur argument permettant de rejeter l’hypothèse d’une influence sociale des membres défendant la bonne solution comme facteur explicatif de la supériorité des groupes sur les sujets seuls – les trois groupes dans lesquels aucun des membres n’avait donné la bonne solution individuellement réussissent finalement le tâche lors de la résolution collaborative.

Après avoir vérifié que la supériorité des groupes est bien due au fait que l’interaction sociale facilite la meilleure compréhension des aspects logiques de la tâche de sélection, les auteurs s’intéressent à la nature de cette « rationalité collective » (Moshman & Geil, 1998, p.242). En raison de la réussite des trois groupes dont aucun membre ne connaissait la solution avant la résolution collaborative, les auteurs considèrent que la conception des schèmes de décision sociale selon laquelle « la vérité gagne si défendue », est une conception insuffisante pour expliquer leurs résultats. Ils réalisent une analyse discursive très fine des discussions de deux des trois groupes où aucun des sujets n’a donné dans un premier temps la bonne réponse individuellement (la conversation du troisième groupe ayant été perdue) pour comprendre la nature des mécanismes en jeu. La conclusion de leur analyse est que la supériorité des performances du groupe sur le meilleur des membres de ce groupe s’expliquerait par le fait que dans ce

genre de situation, la solution émerge du groupe : elle n’émerge pas comme la sommation des compétences initiales des sujets entrant dans le groupe.

1.2.4.3. Résolution en dyades au moyen d’un dialogue coopératif

Trognon et Rétornaz (1989, 1990 ; Rétornaz, 1990) s’intéressent à la résolution de la version de la tâche de sélection en dyades au moyen d’un dialogue coopératif. Considérant que « « les traces » des processus cognitifs sont plus naturellement produites dans une conversation que dans une tâche de verbalisation où il est demandé à des sujets de « penser tout haut » » (Trognon et Rétornaz, 1989, p.70), ils enregistrent les dialogues de dyades en train d’accomplir la tâche2 afin de les examiner au niveau conversationnel

selon une « démarche clinique ». Ils analysent en particulier une séquence

conversationnelle entre deux interlocutrices et montrent comment l’articulation des faits conversationnels comme la réciprocité des perspectives, l’autocorrection, la remise en question d’un double accord « constituent une trace des processus cognitifs accomplis par les interlocuteurs pour résoudre le problème » (1989, p.71).

CHAPITRE II