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Cadre méthodologique de la recherche : la logique interlocutoire

4.2. Démarche d’analyse de la logique interlocutoire

Pour illustrer, pas à pas, la démarche que doit adopter un chercheur analysant une séquence interlocutoire au moyen de la logique interlocutoire, nous analysons la courte séquence interlocutoire suivante :

1B : Je crois qu’il faut faire la vaisselle et le ménage… il faudrait faire le ménage

2A : alors on va faire le ménage

4.2.1. Formalisation de la structure interne des énoncés : les actes de langage

Le chercheur découpe la séquence en énoncés, c'est-à-dire en unités minimales de sens. Ensuite, chaque énoncé est formalisé en une expression illocutoire <F(P)> afin de rendre compte de sa structure interne. Tout d’abord, on découpe la séquence (ici 1B) en énoncés :

1B1 : Je crois qu’il faut faire la vaisselle et le ménage… 1B2 :

il faudrait faire le ménage

Formalisons maintenant 1B1 en une expression <F(P)> : par 1B1, B asserte qu’il croit qu’il est obligatoire que les sujets effectuent l’action de faire « la vaisselle » et « le ménage ». Ainsi en logique modale quantifiée des prédicats du 1e ordre, nous formalisons 1B1 par : AssertionB {BB [O Eon (faire (vaisselle ∧ ménage))]} et 1B2 par AssertionB {Conditionnel [O Eon (faire (ménage))]}.

4.2.2. Formalisation des relations dicursivo-cognitives entre énoncés

A chaque énoncé est associée une expression ф du système : <Mi, {Mi-k}, {Mi-k}├ Mi, RD, DG>. Cette expression décrit l’énoncé examiné dans son cotexte à travers les relations discursivo-cognitives que cet énoncé entretient avec les énoncés qui le précèdent

examiné, il correspond aux expressions F<P> décrites dans le paragraphe précédent. {M i-k} est l’ensemble de tous les mouvements conversationnels qui précèdent le mouvement Mi et auxquels celui-ci s’enchaîne. Mi peut alors être conçu comme une conclusion qui découle des prémisses {Mi-k}. Le raisonnement qui conduit de {Mi-k} à Mi et que l’on représente par le schéma {Mi-k}├ Mi s’appelle en logique un séquent. RD sont la ou les règles de dialogue qui permettent de dériver Mi des prémisses {Mi-k}. DG est le jeu de dialogue (Carlson, 1983) dont l’énoncé fait partie.

Pour expliciter le raisonnement qui conduit de {Mi-k} à Mi représenté par le séquent {Mi-k}├ Mi, la logique interlocutoire a recours aux méthodes de la logique formelle dont la déduction naturelle. L’intérêt de cette méthode est qu’elle restitue la forme logique des événements interlocutoires tels qu’ils se présentent phénoménalement puisqu’elle procède selon l’enchaînement séquentiel des mouvements conversationnels dans l’interaction (Lepage, 2001). La présentation d’une déduction naturelle est la suivante :

1 A1 Prémisse 1 … … n An Prémisse n n+1 An+1 … … p Ap Conclusion

A gauche on numérote les lignes, correspondant aux étapes successives de la déduction, de 1 à p. On tire un trait vertical à gauche des numéros. A droite de ce trait, on note les prémisses A1 à An les unes sous les autres. Sous les prémisses, on tire un trait horizontal qui rejoint le trait vertical afin de séparer les prémisses des lignes de calcul du raisonnement. Sous le trait horizontal, on note les unes sous les autres les formules progressivement déduites grâce aux règles logiques et aux prémisses jusqu’à ce que l’on parvienne à déduire la conclusion Ap recherchée. Enfin, à droite de chaque formule, on spécifie la règle logique et les numéros de ligne des formules de la déduction auxquelles on a appliqué la règle afin de pouvoir écrire la formule considérée.

Ainsi dans notre séquence, 1B1 est l’expression de la croyance en l’obligation de tâches ménagères à accomplir (vaisselle et ménage) et 1B2 l’expression de l’obligation d’accomplir une des deux tâches, (ménage) proposée en 1B1. La règle (RD) de dialogue (DG) permettant de dériver (1B2) à partir de (1B1) est représentée par le séquent {1B1} ├ 1B2. 1B2 se dérive à partir de l’information 1B1 travaillée avec la règle logique de l’élimination de la conjonction17 La formulation de cette règle est identique dans la méthode de la déduction naturelle appliquée à la logique classique et dans la méthode de la déduction naturelle appliquée à la logique naturelle du langage naturel.

Dans notre exemple, expliciter le raisonnement représenté par le séquent {1B1} ├ 1B2 grâce à une déduction naturelle devrait consister à dériver l’expression illocutoire de 1B2 : AssertionB {conditionnel [O Eon Faire (ménage)]} à partir de la prémisse 1B1 : AssertionB {BB [O Eon Faire (vaisselle ∧ ménage)]}.

Néanmoins, en logique interlocutoire les formules intervenant dans les calculs peuvent être simplifiées de façon à ne restituer que leur contenu propositionnel : en effet, si B (en 1B1) asserte qu’il croit qu’il est obligatoire que les sujets effectuent l’action de faire « vaisselle » et « ménage », selon les lois de la sémantique générale sur l’assertion, cela signifie que B croit qu’il croit qu’il est obligatoire que les sujets effectuent l’action de faire « vaisselle » et « ménage ». Selon les lois de la logique des modalités, si dans l’univers réel W0, B croit qu’il croit qu’il est obligatoire que les sujets effectuent l’action de faire « vaisselle » et « ménage », c’est que dans W0 B croit qu’il est obligatoire que les sujets effectuent l’action de faire « vaisselle » et « ménage » (Gardiès, 1979, p.119). Ensuite, on déplace l’analyse du raisonnement dans un monde possible où il n’est pas nécessaire de prendre les modalités en compte dans les déductions naturelles : si B croit dans W0, qu’il est obligatoire que les sujets effectuent l’action de faire « vaisselle » et « ménage », il existe un monde épistémique WB dans lequel les croyances de B sont vraies, c'est-à-dire un monde dans lequel il est obligatoire que les sujets effectuent l’action de faire « vaisselle » et « ménage ». Dans ce monde WB des croyances de B il

17 a et b, donc a, donc b. Lorsque l’on a réussi à écrire la conjonction de 2 énoncés, on peut écrire chacun des 2 conjoints.

existe, là encore, un monde déontique W’B, dans lequel les événements obligatoires sont vrais, c'est-à-dire un monde dans lequel les sujets effectuent l’action de FaireVaisselle et FaireMénage. Cette expression résultante dans le monde W’B est appelée une formule réduite au contenu propositionnel de l’acte (Trognon, Batt et Saint Dizier, à paraître). Dans le monde W’B, B dispose d’une prémisse (1B1) : FaireVaisselle∧ FaireMénage. Au terme de son raisonnement, B déduit FaireMénage (1B2) :

1 FaireVaisselle∧ FaireMénage Prémisse 1 (1B1) … …

n FaireMénage Conclusion (1B2)

En logique interlocutoire, les étapes de la déduction qui relient les prémisses à la conclusion sont imposées par les propriétés de la logique mais aussi par le discours : en effet, notre démarche est empirique, c’est donc le discours qui nous impose le parcours de la déduction. Les étapes logiques doivent donc, autant que possible, avoir une image, c'est-à-dire un énoncé correspondant, dans le discours du dialogue. Cependant, toutes les étapes d’un raisonnement ne sont pas explicitées discursivement dans un dialogue. Par exemple la prémisse majeure du raisonnement Socrate est un homme donc Socrate est mortel, à savoir tous les hommes sont mortels est implicite dans le raisonnement. Les étapes logiques qui n’ont pas d’image dans le discours représentent des processus cognitifs inexprimés qu’on dénomme « interpolations » (Carlson, 1983 ; Hintikka, 1984) en analyse des dialogues. La démonstration du raisonnement élaboré par B dans notre séquence pourrait être la suivante :

1 FaireVaisselle∧ FaireMénage Prémisse 1 (1B1)

2 FaireVaisselle∧ FaireMénage Réitération de 1

CHAPITRE V

Analyse descriptive du discours des 32 dialogues d’accomplissement de