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Analyse interlocutoire des dialogues des quatre dyades réussissant la tâche

6.2. Structure discursivo-cognitive des quatre dialogues

6.2.2. Le jeu de dialogue entre les partenaires

Le jeu de dialogue coopératif d’investigation entre les deux partenaires consiste à découvrir lesquelle(s) des quatre carte(s) posées sur la table il est nécessaire mais suffisant de retourner pour savoir si la règle (x) (Vx⊃ Px) est vraie ou fausse. 16 réponses différentes peuvent être données : {(∅), (E), (4), (K), (7), (E, 4), (E, K), (E, 7), (4, K), (4, 7), (K, 7), (E, 4, K), (E, 4, 7), (E, K, 7), (4, K, 7), (E, 4, K, 7)}. Selon l’interprétation descriptive de la règle (Stenning & Van Lambalgen, 2004), une seule réponse est correcte : le couple (E, 7). Dans les jeux de dialogue coopératif des dyades 5, 17, 27 et 29, chacune des dyades va décider – plus ou moins coopérativement et mutuellement – de tourner cette paire de carte. Nous présentons dans la suite les stratégies discursivo-cognitives employées par chacune des dyades pour aboutir au choix de ces deux cartes.

6.2.2.1. Analyse quantitative de la gestion sociale du jeu de dialogue par chacune des dyades

Dans le paragraphe 5.3.3.2. nous avons présenté la répartition des productions verbales sur les deux partenaires des dialogues. Nous rappelons dans le tableau 6.1. cette répartition pour les quatre dyades qui réussissent.

Dyade A B

5 57% 43%

17 56% 44%

27 51% 49%

29 54% 46%

Tableau 6.1. Répartition des productions verbales sur les partenaires des dyades qui réussissent la tâche

Les partenaires de chacune des quatre dyades se répartissent le volume de la parole de manière relativement équitable (les χ² de comparaison à une distribution théorique ne sont dans aucun cas significatifs ; dyade 5, χ²(1) = 0,98 ; dyade 17, χ²(1) = 0,72 ; dyade 27,

χ²(1) = 0,02 ; dyade 29, χ²(1) = 0,32). Cependant, si l’on s’intéresse au jeu de dialogue entre partenaires accomplissant la tâche, le fait de constater que les partenaires se

partagent équitablement le volume de la parole ne suffit pas. Ce jeu de dialogue en effet, est un jeu de dialogue coopératif d’investigation, c'est-à-dire en quelque sorte un jeu d’enquête et un jeu de vérification où les partenaires ont pour objectif de définir la vérité (Trognon, Batt & Laux, 2006) de manière coopérative. Ainsi, qui nous dit, même si la parole est équitablement répartie que les partenaires jouent vraiment « le jeu de ce jeu » et s’il est bien le cas qu’ils le jouent, comment coopèrent-ils du point de vue socio-cognitif. Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser aux fonctions conversationnelles des énoncés des partenaires du dialogue et aux objets référentiels qu’ils citent. Les tableaux 6.2. et 6.3. présentent la répartition (en pourcentages) des fonctions conversationnelles et des objets référentiels sur les partenaires des dialogues.

Dyade Locuteur Proposition Accord

Information

R

éponse

Requête d’informat

ion Ju stificatio n Opposition Déduct ion Hypot hèse Demande de confi rmat ion C onfi rmat ion Complément A 2% 2% 7% 0% 4% 1% 3% 7% 7% 1% 0% 23% B 6% 3% 8% 1% 2% 0% 3% 7% 6% 1% 0% 10% CPL5 OR significativité25 3,42 NS 2,79NS 1,82NS - 1,28NS - 1,35NS 1,39NS 1,19 NS 1,33 NS - 2,285% A 1% 8% 8% 1% 2% 4% 4% 4% 2% 1% 1% 10% B 1% 3% 7% 0% 0% 1% 2% 4% 1% 2% 0% 12% CPL17 OR significativité 1,26 NS 2,48NS 1,12NS - - 2,51NS 1,3NS 1,13NS 1,06 NS 2,58 NS - 1,59NS A 3% 3% 4% 1% 1% 4% 4% 3% 2% 4% 2% 15% B 3% 4% 6% 1% 1% 0% 2% 5% 2% 3% 2% 13% CPL27 OR significativité 1,05 NS 1,38NS 1,61NS 1,05NS 1,44NS - 1,64NS 1,69NS 1,2 NS 1,34 NS 1,05 NS 1,14NS A 2% 7% 3% 0% 0% 0% 0% 10% 8% 3% 0% 14% B 2% 5% 8% 0% 0% 0% 0% 2% 2% 2% 0% 5% CPL29 OR significativité 1,19 NS 1,14NS 3,41NS - - - - NS6,0 4,81 NS 1,73 NS - 2,67NS

Tableau 6.2. Répartition des principales fonctions conversationnelles sur les partenaires des dialogues des dyades qui réussissent26

25 Dans les tableaux 6.2. et 6.3., la significativité est évaluée à partir de l’intervalle de confiance à 5% (IC95%) du rapport de chances (OR). Si l’intervalle de confiance comporte la valeur 1 entre ses bornes, OR n’est pas significatif et nous inscrivons NS dans le tableau. Si l’intervalle de confiance ne comprend pas la valeur 1 entre ses bornes, OR est significatif à 5% et nous inscrivons 5% dans le tableau.

Dyade Locuteur E K 4 7 E7 E4 K7 K47 Règle A 2% 1% 2% 1% 2% 0% 0% 0% 15% B 2% 2% 0% 3% 0% 2% 2% 0% 9% CPL5 OR significativité 1,12 NS 2,72NS - 5,67NS - - - - 1,32NS A 1% 1% 0% 0,5% 0% 0% 0% 1% 7% B 1% 2% 1% 2% 0% 0% 0% 0% 6% CPL17 OR significativité 1,26 NS 2,58NS - 6,59NS - - - - NS1,1 A 2% 2% 4% 2% 0% 1% 0% 0% 1% B 1% 2% 2% 2% 0% 1% 1% 0% 3% CPL27 OR significativité 2,44 NS 1,32NS 2,77NS 1,32NS - 1,59 NS - - 2,54NS A 0% 0% 0% 2% 0% 0% 0% 0% 0% B 3% 0% 0% 2% 0% 0% 0% 0% 0% CPL29 OR significativité - - - 1,19NS - - - -

-Tableau 6.3. Répartition des objets référentiels sur les partenaires des dialogues des dyades qui réussissent

Les tableaux 6.2. et 6.3. montrent que :

- dans la dyade 5, B fait plus de propositions que A et ce dernier développe plus son discours que B (23% de compléments). Les partenaires utilisent les autres fonctions conversationnelles dans des proportions semblables. Concernant les objets référentiels A travaille plus que B sur l’appropriation de la consigne, seul A cite explicitement les cartes « 4 » et « E, 7 » et, inversement, seul B cite explicitement les cartes « E, 4 » et « K, 7 » ;

- dans la dyade 17, A donne plus d’accords, fait des requêtes d’information alors que B non, donne un peu plus de justifications et marque un peu plus son opposition que B. Les partenaires utilisent les autres fonctions conversationnelles dans des proportions semblables. Concernant les objets référentiels les partenaires citent les mêmes objets référentiels, sauf « 4 » qui n’est citée explicitement que par B et « K, 4, 7 » dont seul A parle ;

- dans la dyade 27, A marque un peu plus d’oppositions que B et justifie ses propositions (ce que B ne fait pas), B quant à lui, fait un peu plus de déductions que A. Les partenaires utilisent les autres fonctions conversationnelles dans des 26 Les pourcentages sont calculés en fonction de la productivité de la dyade.

proportions semblables. Concernant les objets référentiels, A cite un peu plus « 4 » et seul B parle de « K, 7 ». Les autres objets sont cités par les partenaires dans des proportions semblables ;

- dans la dyade 29, A fait un peu plus d’hypothèses, de déductions et développe plus son discours que B. Pour les objets référentiels, A et B citent « 7 » dans la même proportion et seul B cite « E ».

Hormis dans la dyade 5 où A développe significativement plus son discours que B nous ne relevons aucunes différences quantitatives significatives entre les partenaires des dyades tant concernant les fonctions conversationnelles employées que concernant les objets référentiels cités (cf. calcul des OR et de leur significativité, Tableaux 6.2 et 6.3.). Ainsi, la supériorité de la productivité des dyades par rapport aux individus ne provient pas des simples propriétés des éléments compositionnels du discours mais des propriétés d’un ordre supérieur : les propriétés structurelles du discours.

De plus, ces résultats signifient que le mode d’insertion n’a pas d’influence significative sur la gestion sociale et cognitive de la tâche puisqu’en effet, les modes d’insertion sociale de ces quatre dyades étant différents – la dyade 5 est en situation de comparaison sociale réussite/réussite et que les dyades 17, 27 et 29 sont en situation de non comparaison sociale avec des modalités de « statut cognitif des sujets » différentes (respectivement réussite/réussite, échec/échec et réussite (A)/échec (B).

6.2.2.2. Le jeu de dialogue entre les partenaires de la dyade 5

Le jeu de dialogue coopératif d’investigation des partenaires de la dyade 5 se déroule de 1B à 36A dans leur discussion :

1B : ah

2A : alors si une carte a une voyelle au dessus alors elle a un nombre pair au dos alors 3B : bon ben j’sais lesquelles les cartes qu’il faut retourner on peut dire ?

4A : qu’est ce que tu me dis là ?

5B : si une carte a une voyelle au dessus alors elle a un nombre pair au dos quelles cartes et seulement quelles cartes doivent être retournées pour savoir si la règle est vraie ou fausse et ben c’est le E

7B : ça c’est un nombre impair donc ça peut pas être ça ça c’est un nombre impair donc hors de question c’est pas une voyelle donc c’est ces deux là forcément 8A : mais si une carte a une voyelle au dessus

9B : au dessus au dessus c’est devant nous au dessus au dessous enfin moi je comprends comme ça

10A : moi je croyais que c’était dans le sens de l’alphabet

11B : alors elle a un nombre pair au dos donc quand t’as une voyelle on parle d’une voyelle et un nombre pair t’enlève la consonne et le nombre impair moi j’sais pas moi j’vois ça comme ça pas trop m’en demander hein ?

12A : si une carte a une voyelle au dessus alors elle a un nombre pair au dos quelles cartes et seulement quelles cartes doivent être retournées pour savoir si la règle est vraie ou fausse

13B : pour savoir si la règle est vraie ou fausse pourquoi ?

14A : bon ben doit elle être vraie ou fausse ? si une carte a une voyelle au dessus 15B : au dessus moi je vois ça comme ça au dessus au dessous

16A : ah oui donc celle-là (E) elle a un nombre pair au dos 17B : moi je dirai E et celle-ci et celle-ci (4)

18A : non pair pair impair impair quelles cartes et seulement quelles cartes doivent être retournées pour savoir si la règle est vraie ou fausse attends si une carte a une voyelle au dessus bon donc celle-là (4) elle est paire ben celle-là c’est donc une voyelle (4)

19B : hum

20A : donc celle là c’est pas une voyelle (K) quelles cartes doivent être seulement retournées pour savoir si la règle est vraie ou fausse

21B : pourquoi tu te tortures l’esprit comme ça ? 22A : alors il faut savoir quelle oui ben suffit de 23B : si elle est fausse et ben c’est ça K7

24A : ben faut retourner

25B : si elle est vraie c’est E4 si elle est fausse c’est K7 K dessus 7 dessous 7 au dos 26A : bon si on retourne celle là elle aura forcément un nombre pair donc si jamais elle

a pas un nombre pair ça voudra dire que ça y est c’est tout’suite on sait si ça c’est vrai ou si ça sera faux

27B : oui bien voilà

28A : bon déjà celle-là bon si elle celle-là c’est pas forcé si elle a un nombre pair que ça soit quand même une voyelle (4) donc suffit de retourner celle-là (E) si celle là si on la retourne et pis qu’on a un nombre pair ça voudra bien dire que ça c’est juste 29B : oui si on a un nombre pair ça se vérifie pas

30A : il faut essayer de voir si on a un chiffre et si on a un chiffre impair vraiment on a une voyelle dessous c’est ces deux là (E7)

31B : si on a un chiffre impair

32A : pour vérifier si celle-là on a un chiffre pair derrière ça voudra bien vérifier ça 33B: si c’est juste ça d’accord

34A : mais si on retourne un chiffre impair pour bien voir que ce ne sera pas une voyelle 35B : hum

Le raisonnement de la dyade 5 se construit dans le discours de A, en relation avec le discours de B, en deux mouvements. L’interaction débute par un mouvement où les sujets centrent leur discussion sur les cartes « E, 4 ». Une fois les raisonnements de justification de la pertinence de retourner ces deux cartes élaborés, B croit que son partenaire et lui se sont accordés sur le choix du couple « E, 4 » comme réponse et il s’attend à la clôture du jeu de dialogue. En réalité, pour A il ne s’agit que d’un accord sur l’image qu’ils ont des faces cachées des cartes « E » et « 4 ». A poursuit donc sa réflexion et B, comprenant que A n’a pas encore pris de décision concernant les cartes à retourner, est contrarié. B ouvre alors un second mouvement en interpellant ironiquement son partenaire en 21B sur la raison de la poursuite de sa réflexion. Dans ce second mouvement, B donne un argument à son partenaire pour défendre la paire « E, 4 » mais l’énonciation de cet argument, au lieu de servir son point de vue, permet justement à A de découvrir la solution du problème.

6.2.2.2.1. Premier mouvement (1B-19B) : le choix du couple « E, 4 »

En 5B, B énonce, sans justifier son choix, que la carte à retourner pour savoir si la règle est vraie ou fausse est le « E ». B poursuit son raisonnement en 7B : il observe chacune des 3 cartes restantes et considère qu’il faut rejeter la paire de cartes « K, 7 » et retourner la paire de cartes « E, 4 », choix qu’il réaffirme en 11B. A, quant à lui, ne comprend correctement la règle de la tâche qu’en 10A : en effet, nous comprenons rétroactivement en 10A qu’il interprète jusqu’en 8A la règle, comme : « si une carte a une voyelle au-dessus (= qui la précède dans l’alphabet), elle a un nombre pair au dos ». Cette erreur est corrigée au moyen du dialogue avec B, précisément grâce à l’échange 8A-9B-10A. A n’exprime pas de manière explicite son interprétation mais B perçoit son hésitation et lui énonce, explicitement, sa propre interprétation (9B). En réponse, A expose son interprétation première de la règle et se range à l’interprétation de B pour la suite de son raisonnement. Une fois cette interprétation mutuellement acceptée, A s’intéresse en premier lieu à la carte « E » et déduit, en 16A, qu’elle doit avoir un nombre pair sur son autre face. A n’élabore à ce moment que la première partie du raisonnement de justification de la nécessité de retourner « E » : confirmer la règle en découvrant un nombre pair sur l’autre face de cette carte (cf. 1e partie de la déduction naturelle présentée figure VI.3. du paragraphe 6.3.1.).