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La principale caractéristique du deuxième type de notre typologie réside dans le fait que le projet initialement formulé a connu quelques fluctuations au cours de sa phase de conceptualisation et/ou a finalement fait l’objet d’un léger déplacement sur d’autres marchés du travail pour s’opérationnaliser et se mettre en œuvre. Pour autant, les variations qui ont été envisagées au cours de son élaboration n’ont pas toujours été retenues et les changements dont il a fait l’objet dans sa phase de mise en œuvre restent marginaux. Plutôt qu’un véritable changement ou transformation du projet professionnel, il s’agit d’un « pas de côté » auquel nous assistons. En effet, le projet n’est pas fondamentalement modifié dans ses grands axes structurants, aussi bien durant sa phase de conception que dans sa phase de mise en œuvre. Au contraire du précédent type, il n’est pas aussi rectiligne ; sa mise en œuvre n’est pas autant en adéquation avec ce qui a été pensé en amont. Pour autant, nos enquêtés restent globalement, mais globalement seulement, sur la ligne directrice qu’ils ont initialement formulée. Les enquêtés concernés par ce type d’évolution de projet professionnel sont Lucas, Pacôme, Christophe et Massamba, qui ont tous les quatre obtenu leur doctorat en Sciences de l’ingénieur et dont l’évolution du projet professionnel pourrait se schématiser ainsi :

Titre : L’évolution des projets professionnels du deuxième type : fluctuations et déports

2.1. - Des projets professionnels qui visent des segments de secteurs d’emplois

ou de métiers

Les fluctuations des projets professionnels observées au cours du temps sont probablement permises par le fait que les enquêtés de ce type ont tout d’abord élaboré un projet dont les contours sont un peu plus larges que ceux des projets professionnels « constants ». L’objectif définitif ou l’état final auquel le projet doit conduire n’est pas aussi précis et défini. Plutôt qu’un métier identifié, il s’agit souvent de secteur d’activités ou de groupes de métiers qui sont envisagés.

Lorsqu’il est en école d’ingénieur, Lucas vise par exemple le secteur d’activité de l’aéronautique, puis nourrit lors de son doctorat l’envie de travailler dans l’incendie qui est la spécialité de sa thèse ; Massamba vise également un secteur d’activités : il souhaite mettre sa spécialisation en électronique au service du secteur industriel. Pour Christophe, son projet professionnel s’exprime plutôt à travers un ensemble de

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métiers qu’il nomme lui-même « les métiers de la recherche ». L’expression de ce type de projets professionnels laisse apparaître un spectre plus large dans ses contours et peut donc se traduire à travers un certain degré de variations possibles, qu’ils concernent des groupes de métiers ou des secteurs d’activités identifiés. Pour Pacôme en revanche, le spectre avec lequel il évoque son projet professionnel est un peu plus réduit que ses camarades : il veut devenir enseignant de mathématiques. Ce projet est déterminé probablement en partie du fait des objectifs de formation de l’École Normale Supérieure dont il a suivi le cursus et qui visent principalement les métiers relatifs à l’enseignement secondaire ou supérieur et à la recherche. Le secteur d’emploi paraît ici plus réduit puisqu’il concerne l’éducation nationale (l’enseignement secondaire) et que le cœur de métier est clairement défini par l’activité d’enseignement, et plus précisément celle des mathématiques.

La temporalité de l’émergence du projet professionnel ne connaît pas ici de régularité parmi les quatre cas concernés. Les projets nourris remontent aussi bien à la période de lycée qu’à des moments plus récents comme la thèse. Pour Pacôme et Christophe, l’émergence de leur projet professionnel est ancienne et remonte à leurs débuts de parcours dans l’enseignement supérieur. Christophe vise en effet les « métiers de la recherche » depuis la classe de terminale ; Pacôme commence à nourrir le projet de devenir enseignant de mathématiques au cours de sa classe préparatoire aux grandes écoles. Pour Massamba, son projet de travailler dans le secteur industriel s’est confirmé lors de son stage de fin d’études d’ingénieur. Le souhait de Lucas de travailler dans le secteur de l’incendie est consécutif à la spécialisation de sa thèse qu’il a effectuée dans ce domaine précisément. Lorsqu’est venu le temps de chercher l’emploi pour la période d’après-thèse, Lucas décide de rester dans ce domaine plutôt qu’un retour éventuel vers l’aéronautique, spécialité de son école d’ingénieur.

2.2. - Des projets professionnels qui semblaient accessibles mais reportés par

l’entrée en doctorat

Il est intéressant de noter que la portée de leur projet professionnel est reportée alors que la possibilité d’une mise en œuvre à l’issue de l’obtention de leur bac+5 semble possible et ce, particulièrement pour Massamba, Pacôme et Lucas.

Le DUT et l’école d’ingénieur de Massamba étaient déjà spécialisés en électronique et télécom, Pacôme avait obtenu l’agrégation de mathématiques et Lucas était arrivé à la fin de l’école d’aéronautique pour laquelle il avait redoublé sa CPGE afin de pouvoir obtenir le concours d’entrée car c’est le premier secteur dans lequel il souhaitait travailler. Les secteurs d’emploi ou métiers visés par nos trois enquêtés semblent alors accessibles au regard de leur parcours de formation et du projet qu’ils formulaient à cette époque. Pour autant, leur projet professionnel n’est pas mis en œuvre à ce moment-là et ils décident de débuter un doctorat.

Cette décision est plus ou moins assumée comme un moyen de repousser une entrée sur le marché du travail qu’ils jugent peu enviable dans l’immédiat et pour laquelle ils ne se sentent pas prêts. Pour Pacôme par exemple, l’enjeu que représente l’enseignement des mathématiques à des terminales scientifiques alors qu’il n’a aucune expérience d’enseignement est une responsabilité qu’il refuse pour le moment et repousse à une échéance plus lointaine ; pour Lucas, le moment de « se ranger » et « chercher un boulot dans [une entreprise] où il est censé faire carrière » n’est pas venu non plus. Cette décision s’accompagne

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de raisons dont il est peut-être plus facile d’argumenter la légitimité comme le défi personnel, la compréhension de phénomènes physiques, l’envie de continuer d’apprendre. Pour Christophe en revanche, l’accession aux « métiers de la recherche » nécessite peut-être plus fortement de faire un doctorat que pour ses camarades.

2.3. - La période doctorale : expérimenter pour spécifier

Le déroulement de leur doctorat ne va pas changer fondamentalement leur projet professionnel mais la période va leur permettre de le renforcer et/ou de le spécifier au fur et à mesure que l’échéance de la fin du doctorat se rapproche, à travers des choix d’orientations spécifiques qui progressivement, vont restreindre les possibilités professionnelles envisageables ou souhaitables.

Lucas se passionne véritablement pour l’incendie et décide dès lors de travailler dans ce secteur et de délaisser l’aéronautique. Au début de sa thèse, il songe à une carrière académique dans le domaine de l’incendie mais il finit par y renoncer car il estime qu’il n’a pas « le nez creux du chercheur » qu’il définit comme la confiance en soi et l’aisance à choisir les orientations de travail.

La maîtrise de conférences attire également Massamba qui découvre l’enseignement lors de son aterat mais il abandonne l’idée à cause du processus de recrutement qu’il juge trop lourd pour se recentrer sur l’électronique industrielle.

Christophe confirme également son intérêt pour les thématiques relatives à l’optique : la démarche de recherche lui plait mais il hésite encore à choisir le secteur public ou privé ; il choisira l’industrie au regard de l’offre de travail plus importante et mieux rémunérée.

Un processus de validation s’opère également pour Pacôme. Il apprécie certaines phases d’avancées significatives particulièrement en fin de thèse, qui lui font envisager l’éventualité d’un post-doctorat avec un spécialiste de son domaine en acoustique musicale (mais avec lui seulement), sur son instrument de prédilection. Mais les contraintes financières ne rendront pas le post-doctorat possible. Pacôme ne peut pas envisager de travailler avec quelqu’un d’autre et sur un autre instrument : pour garder une motivation suffisante, un fort intérêt pour le sujet et un environnement de travail bienveillant, franc et ouvert à la discussion sont nécessaires mais non suffisants. La nécessité d’avoir des échéances à court terme et une évolution visible et relativement rapide est une meilleure garantie du maintien de son intérêt pour son activité, ce qui est trop difficilement compatible avec l’activité de recherche. Sa mission complémentaire d’enseignement lui procure plus de plaisir et moins d’angoisses que l’activité de recherche. L’enseignement secondaire comme projet professionnel semble de son point de vue mieux lui convenir.

La période de doctorat constitue donc une phase de découverte, d’expérimentation d’autres activités, dans un cadre de travail spécifique, et permet d’envisager de nouvelles possibilités. Mais ces dernières sont observées, évaluées et souvent rejetées au profit de leur projet initial, tel que nous le suggère le moteur « évolutionniste » de l’analyse processuelle.

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2.4. - Une entrée sur le marché du travail qui engendre une déviation du projet

professionnel

Ils devancent tous les quatre la fin de leur doctorat en anticipant leur devenir respectif trois à quatre mois avant son issue. Leur projet professionnel qui semble pourtant s’être affiné va connaître néanmoins et une nouvelle fois, certaines modifications somme toute marginales et relatives.

Après avoir renoncé aux carrières académiques, Lucas dirige sa recherche d’emploi vers le secteur privé mais craint la « course à la productivité » des activités de conseils ou de sécurité incendie qu’il veut éviter : il pense plutôt aux bureaux d’études incendie. Face à la faiblesse des offres, il se dirige alors vers le secteur public : il se présente au concours d’ingénieur d’études au sein de la fonction publique d’état et candidate dans des établissements publics où il espère pouvoir se « poser pour réfléchir » aux problématiques de l’incendie. Il est classé 2ème au concours, ce qui ne lui permettra pas d’être recruté. Après plusieurs candidatures dans des organisations assurant des missions de service public, il intègre le service de désenfumage et incendie d’un établissement public dans lequel il accède à un régime spécial d’emploi à durée indéterminée.

Massamba a suffisamment anticipé sa recherche d’emploi et, au moment de sa soutenance, sait déjà où il travaillera. Pour cela, il lui a toutefois fallu faire des concessions, notamment en termes de caractéristiques d’emploi. L’obtention d’un contrat à durée indéterminée est le critère le plus important de sa recherche d’emploi, juste devant le contenu de ses missions qui doivent avoir trait à l’électronique. Il est également attaché à sa ville d’inscription en doctorat où il aimerait rester travailler. C’est sur la localité qu’il a finalement concédé : il trouve un contrat à durée indéterminée dans l’électronique, mais en région parisienne.

Le processus de recherche d’emploi de Christophe est similaire : souhaitant accéder aux « métiers de la recherche » dans le secteur privé, Christophe recherche en priorité un emploi à durée indéterminée, la continuité de la thématique de son doctorat avec celle de son emploi est recherchée aussi, tout comme une localisation « dans le sud ». Mais il a rencontré plus de difficultés à trouver un emploi que ses camarades et les renoncements aux critères de localisation et continuité de thématiques de recherche ont été plus importants du fait de la durée de sa recherche d’emploi relativement longue (une dizaine de mois). Il a certes trouvé un emploi à durée indéterminée mais dans un domaine différent de sa thèse et en région parisienne. Bien que leur contrat de travail soit à durée indéterminée, Massamba et Christophe auraient tous les deux souhaité être recrutés en direct et en interne dans une entreprise mais ils travaillent pour une société de prestations de services. La stabilité de leur contrat de travail est garantie mais ils auraient tous les deux préféré connaître également la stabilité de leur mission de travail et s’installer sur le moyen terme dans une entreprise. La prestation de services ne le leur permet pas pour le moment car la durée de leur mission chez leur « client » est renouvelée constamment.

Pacôme anticipe également son après-thèse car il a l’intention d’aller vivre aux États-Unis. Il cherche alors un moyen d’y travailler en tant qu’enseignant de mathématiques et envisage d’entrer en contact avec les écoles d’immersion où l’enseignement primaire est effectué dans une autre langue que l’anglais. Il espère pouvoir y trouver un poste d’assistant voire d’enseignant. Le projet d’enseignement n’est donc pas

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fondamentalement modifié là non plus mais trouve d’autres marchés du travail dans lesquels il peut se réaliser.

Au final, les projets professionnels poursuivis dans ce deuxième type de la typologie observent un certain degré de muabilité, tout du long du processus de construction du projet mais également au cours de sa mise en œuvre. Le projet professionnel de Lucas porte sur la thématique de l’incendie et devait se déployer dans les bureaux d’études mais il prendra finalement forme dans le service incendie d’un établissement public ; celui visé par Christophe s’organise autour des métiers de la recherche de l’optique mais relèvera en fait de la recherche et développement en aéronautique ; Massamba visait l’électronique marseillaise, ce sera finalement l’électronique parisienne ; le projet d’enseignement de Pacôme était voué à prendre place au sein de l’éducation nationale française mais il émigre aux États-Unis et prend forme dans un établissement d’enseignement étranger. Cette muabilité relève de la fluctuation de faible amplitude : un projet est progressivement élaboré via des options envisagées, puis retenues ou abandonnées et il connaît des écarts au moment de sa mise en œuvre, sans que ces derniers soient très éloignés de ce qui était précédemment envisagé.