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Le premier type de projet professionnel rencontré est probablement celui qui s’appréhende le plus facilement. Sa conceptualisation n’a connu que très peu voire pas d’évolution au cours du temps et son atteinte39 a été rapide. En effet, le mouvement qui sépare le moment effectif de mise en œuvre du projet conceptualisé et celui de son aboutissement fait état d’un temps de réalisation particulièrement court. En effet, la mise en œuvre des projets formulés avant la soutenance fait l’objet d’une concrétisation rapide et correspond à ce qui était envisagé. L’adéquation entre le projet anticipé et la position professionnelle effectivement occupée par la suite semble parfaite et ce, dès la première vague d’enquête ayant eu lieu quelques mois après la soutenance seulement. Leur atteinte ne semble donc pas un artefact de l’enquête. En deuxième vague, le « travail » sur le projet professionnel ne s’est pas arrêté pour autant : les enquêtés opèrent de nouveaux développements qui se situent dans la linéarité de leur projet et de leur trajectoire antérieure. Les enquêtés qui connaissent ce type de projet professionnel sont au nombre de quatre : il s’agit de Laure, Hippolyte, Daphné et Jean. L’évolution de leur projet professionnel pourrait se schématiser ainsi :

Titre : L’évolution des projets professionnels du premier type : constance et linéarité

39 Le terme « atteinte » est ici synonyme d’accès et fait référence à « l’atteinte d’un but », ou dans notre cas, « l’atteinte d’un projet ». Le terme d’ « atteinte » nous paraît particulièrement pertinent en ce qu’il met l’accent simultanément sur trois dimensions : la distance entre l’état initial et final, sur le mouvement nécessaire à la réduction de cet écart ainsi que le temps au cours duquel ce mouvement se produit. D’autres alternatives terminologiques existent mais nous semblent moins adéquates : le terme de « réalisation » se concentre sur le mouvement seulement, le terme d’ « aboutissement » met en avant le temps nécessaire au mouvement seulement, la « réussite » fait référence quant à elle à la congruence entre l’état initial et final du projet seulement avec une insistance particulière sur la qualité satisfaisante de l’état final. « Atteinte » ne fait en aucun cas ici référence à la notion de préjudice ou d’altération.

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1.1. - Des projets professionnels aux contours précis et clairs, élaborés de

longue date

Les contours des projets professionnels évoqués dans ce premier type sont précis et clairs. Au moment de leur soutenance, Laure veut devenir maîtresse de conférences en droit privé ; Hippolyte recherche un poste d’ingénieur en recherche et développement dans le secteur aéronautique ou énergétique dont les missions techniques portent soit sur la mise en place d’essais, soit sur du calcul scientifique ; Daphné est intéressée par le secteur aéronautique également et recherche quant à elle un poste ayant trait aux problématiques de la combustion ; Jean vise, si ce n’est l’accession à un poste d’ingénieur de recherche, l’exercice des missions afférentes à la mise en place ou participation à des activités de recherche relevant des méthodes numériques cinétiques et du calcul scientifique. Il s’agit de métiers bien identifiés dont le secteur d’emploi et la spécialité se définissent avec de plus en plus de précisions.

La temporalité de l’émergence des projets professionnels poursuivis est, pour trois d’entre eux, antérieure à leur entrée en thèse. Hippolyte et Daphné ont tous les deux fait une école d’ingénieur et leur souhait de travailler dans le secteur industriel remonte à cette période. Alors qu’ils pourraient intégrer une entreprise en tant qu’ingénieurs, ils se dirigent vers le doctorat pour l’avantage distinctif qu’il procure sur un secteur d’emploi fortement concurrentiel et principalement investi par leurs anciens camarades. Pour le premier, le diplôme de doctorat représente un atout pour internationaliser sa carrière alors que pour la seconde, il augmente ses chances de trouver un emploi dans la spécialité visée, c’est-à-dire en combustion ou à minima, en énergétique. Même s’ils réalisent tous les deux leur doctorat en CIFRE40 et que leur projet de recherche répond à un besoin de l’entreprise, il n’en demeure pas moins régi par des exigences académiques relatives au diplôme universitaire qu’ils préparent. L’hybridation de leur expérience de doctorat entre université et secteur industriel renforcera leur souhait d’intégrer le secteur industriel et ce, tout du long de leur parcours. Daphné sera plus intéressée par les applications de la recherche industrielle alors qu’Hippolyte est plus en phase et sensible aux temporalités de court et moyen termes du secteur industriel comparativement à la vision de trop long terme à son goût de la recherche académique. Jean occupe un poste d’ingénieur d’études au CNRS41 pour lequel il est affecté dans une unité mixte de recherche (sous la double tutelle d’une université et du CNRS) depuis huit ans lorsque débute son doctorat. Il commence à s’intéresser à certains projets de recherche depuis quatre ans déjà et c’est au cours de cette période que naît le projet de doctorat afin de pouvoir s’investir plus intensément et de manière plus autonome sur des thématiques de recherche qui l’intéressent et ainsi, acquérir la légitimité dont il dit

40 Il s’agit du sigle désignant une Convention Industrielle de Formation et de Recherche. Il s’agit d’un type de financement doctoral tripartite entre un doctorat, un laboratoire de recherche académique et un organisme du monde socioéconomique (entreprise, association, établissement public).

41 Sigle qui désigne le Centre National de la Recherche Scientifique. Il s’agit d’un établissement public de recherche dont plus d’un millier de laboratoires de recherche sont répartis sur le territoire national. Il couvre l’ensemble des disciplines et domaines de la connaissance et est composé de chercheurs mais également d’ingénieurs, de techniciens et d’adjoints techniques contribuant à ses activités. Ses missions principales consistent à produire, valoriser, partager et former à la recherche scientifique.

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manquer. Les collaborations qu’il engage durant son doctorat lui permettent d’apprendre et d’évoluer en autonomie, ce qu’il apprécie fortement.

Laure connaît une temporalité d’émergence de son projet professionnel plus tardive. Alors qu’elle souhaitait suivre les pas de sa mère avocate, sa réussite universitaire pousse un de ses encadrants à l’inciter à faire une thèse. Il la soutiendra pour l’obtention d’un financement, à condition qu’elle renonce à entrer à l’école des avocats et vise une carrière académique en tant qu’enseignante-chercheuse. Au cours des premiers mois de doctorat, elle apprécie les activités d’enseignement et de recherche qu’elle découvre et finit ainsi par adhérer et adopter ce projet professionnel.

1.2. - Le doctorat comme outil de réduction des incertitudes d’accès aux

activités visées

Même si les projets de ce type ne connaissent que peu d’évolutions, les incertitudes qui pèsent sur leur potentielle réalisation ne sont pas pour autant inexistantes. Les contraintes de recrutement dans les secteurs visés pour Laure, Hippolyte et Daphné ainsi que les conditions d’emploi que connaît Jean pourraient peser sur l’issue favorable de leur projet professionnel.

Alors que les recrutements dans le laboratoire étaient jusque-là régis par un certain localisme42, le départ du directeur du laboratoire au cours de la troisième année de thèse de Laure introduit du flou et de l’incertitude sur les règles qui seront adoptées à l’avenir en la matière. Laure se fera-t-elle recruter dans son laboratoire où elle a effectué son doctorat, ainsi qu’il lui était jusque-là permis de le croire ?

Hippolyte et Daphné sont confrontés à la faiblesse du nombre d’offres d’emploi dans le secteur aéronautique et à la forte attractivité dont il jouit auprès des jeunes diplômés. L’enjeu pour eux est donc double : trouver une offre d’emploi qui corresponde à leur spécialisation et ensuite, se démarquer de la concurrence afin de se faire recruter sur le poste en question.

La participation de Jean à des projets de recherche n’entre pas dans sa fiche de poste. En revanche, la direction actuelle de son laboratoire lui permet toutefois de disposer du temps de travail qu’il parvient à dégager une fois ses missions remplies pour s’impliquer dans des projets de recherche. Mais la direction d’un laboratoire de recherche étant potentiellement amenée à changer tous les cinq ans, Jean n’a pas de garantie que la prochaine direction de laboratoire, si elle change, lui permettra de continuer d’organiser son temps de travail de la même manière.

1.3. - La consolidation du projet professionnel au cours de l’expérience

doctorale

Au cours de leur parcours universitaire et professionnel, la volonté d’accéder au projet formulé se fait de plus en plus forte. Le projet poursuivi est renforcé par des actions qui visent son atteinte, ce qui démontre un positionnement proactif au regard de l’objectif fixé. Que ce soit l’implication de Jean sur différents

42 Le localisme peut se définir comme la plus forte propension des candidats locaux à être recrutés dans un laboratoire de recherche, comparativement à des candidats externes.

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projets de recherche, le changement de sujet de thèse de Laure, l’anticipation de la recherche d’emploi et les démarches d’accompagnement à la transition professionnelle menées par Hippolyte et Daphné, l’ensemble des enquêtés de ce type engagent ainsi des actions concrètes durant leur période de doctorat afin de favoriser la réalisation de leur projet professionnel.

Leur ressenti d’expériences et leur rapport à l’activité de recherche sur la période confirment également, chacun à leur manière, leur orientation dans la direction choisie. La pression intense que Laure ressent à l’accomplissement de l’exercice de la thèse est fortement corrélée à son attente de résultats : sa thèse doit lui permettre de devenir enseignante-chercheuse ; Jean est particulièrement attentif à ses conditions de travail et aux directives de sa hiérarchie : il veut garder la possibilité d’utiliser le temps de travail qu’il dégage une fois ses missions statutaires remplies comme il le souhaite, c’est-à-dire en s’investissant sur des projets de recherche ; Hippolyte et Daphné voudraient se sentir plus intégrés au projet de leur entreprise d’accueil en travaillant sur les études de faisabilité technique de court terme plutôt que sur la compréhension générale d’un phénomène amont et dont les applications sont à long terme. Actions et vécus confirment et convergent vers le projet professionnel initialement formulé.

1.4. - Des actions anticipatrices en vue d’une mise en œuvre rapide du projet

professionnel

L’échéance à laquelle ils espèrent voir leur projet professionnel se réaliser est immédiatement consécutive à l’obtention de leur doctorat. Pour cela, ils anticipent tous la fin de leur thèse et préparent en amont la phase de transition qui leur permettra de voir leur projet professionnel se concrétiser le plus rapidement possible.

Déjà en poste, Jean participe à plusieurs projets de recherche au sein de son laboratoire, qu’ils relèvent directement de son travail de thèse ou qu’il s’agisse de travaux des équipes de son unité de recherche. Dans les faits, son projet est déjà en œuvre avant même sa soutenance et il se situe en cela plus dans une continuité d’expérience. Les trois autres enquêtés relevant de ce type devancent également la fin de leur thèse pour préparer leur transition professionnelle. Hippolyte commence à rechercher un emploi plus d’un an avant la fin prévue de son doctorat. Sa fréquentation du milieu industriel le conforte dans sa perception d’une concurrence forte et de possibilités d’emploi peu nombreuses, ce qui joue contre des conditions d’emploi favorables. Très attentif aux offres publiées dans les secteurs identifiés, il trouve finalement une offre d’emploi qui le satisfait entièrement ; il est recruté sur le poste qui se situe même au-delà de ses espérances. Ayant terminé ses expérimentations et étant dans la phase finale de rédaction, il met alors fin prématurément à sa CIFRE afin de pouvoir commencer son nouveau contrat tout en terminant sa thèse et les derniers préparatifs relatifs à sa soutenance.

Daphné commence elle aussi à regarder les publications d’offres d’emploi un an avant le terme de sa CIFRE et commence à postuler six mois avant la fin de son contrat. Comme Hippolyte, elle est confortée dans sa stratégie d’anticipation au regard du peu d’offres publiées dans le secteur qu’elle a identifié. Quatre mois avant la fin de son doctorat, elle trouve sa « fiche de poste rêvée », postule, et est retenue pour occuper le poste dès qu’elle aura soutenu sa thèse.

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Dans leur phase de recherche d’emploi, concomitante à la fin de leur thèse, ils ont tous les deux bénéficié d’accompagnements à l’insertion professionnelle : Hippolyte a sollicité le réseau d’anciens de son école d’ingénieur alors que Daphné s’est tournée vers l’Association Bernard Gregory et l’Association Pour l’Emploi des Cadres.

Laure a pu obtenir un appui similaire, bien que moins institutionnalisé peut-être : durant son doctorat, elle suit des formations de préparation à la qualification par des membres du CNU43 en poste à la faculté de droit de son université et est conseillée par des anciens candidats à la qualification. En amont de l’échéance, elle prépare son dossier de qualification qu’elle est en mesure de déposer quelques jours seulement après sa soutenance. Quelques semaines plus tard, elle sera qualifiée et pourra alors présenter sa candidature sur les postes ouverts dans sa section (droit privé et sciences criminelles). Elle effectue de nombreuses candidatures et sera finalement recrutée dans l’université où elle a effectué son dernier aterat44.

Au final et malgré des incertitudes principalement relatives aux modes de recrutement dans les secteurs visés, l’anticipation de leur recherche d’emploi et l’appui dont ils ont pu bénéficier afin d’affiner leur stratégie de positionnement sur le marché du travail visé semble leur avoir permis d’atteindre les objectifs professionnels qu’ils se sont donnés. Dès la première vague, ils déclarent tous les quatre occuper exactement l’emploi qu’ils espéraient : ils n’ont opéré aucun renoncement en acceptant le poste : ni sur le contenu, ni sur le secteur, ni sur les missions, ni sur la localisation.

1.5. - Une suite pour le projet professionnel, dans la linéarité du projet et du

parcours antérieurs

Si leur projet professionnel pour l’après-thèse a été atteint et ce, dans des délais relativement courts puisqu’ils sont atteints dès la première vague d’enquête, cette situation ne signifie pas pour autant une absence de projection concernant la suite de la carrière. Dans l’intervalle de temps écoulé entre la première et la deuxième vague d’entretiens, l’évolution des projets professionnels se poursuit par la prolongation de leur projet initial à travers la formulation de nouveaux objectifs qui succèdent à la première étape qu’ils viennent de franchir. Ayant récemment pris leurs fonctions, ils n’ont pas l’intention

43 Conseil National des Universités : il s’agit de l’instance nationale devant laquelle les candidats aux fonctions de maîtres de conférences et de professeurs des universités doivent se présenter afin d’obtenir la qualification aux fonctions de maître de conférences et éventuellement plus tard dans la carrière, aux fonctions de professeur des universités. Organisée par disciplines universitaires ou « sections », ces dernières sont composées de représentantsde deux corps. L’obtention de la « qualification » est une étape préalable à la candidature sur les postes en question ouverts dans les universités ou établissements assimilés.

44 Il s’agit du sigle lexicalisé désignant le contrat de travail auquel sont adossées les fonctions spécifiques occupées par les « ATER », c’est-à-dire les Attachés Temporaires d’Enseignement et de Recherche. Ces fonctions s’exercent dans le cadre d’un contrat de travail d’un an à temps plein (apparaissent aussi des aterats à mi-temps sur un an, ou à temps plein sur six mois) et mêlent activités d’enseignement et de recherche. Il est destiné aux doctorants en fin de thèse ou aux jeunes docteurs.

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de se satisfaire à moyen terme des contours de leur poste mais souhaitent poursuivre la trajectoire entamée en se spécialisant et continuant d’évoluer professionnellement via une montée en compétences. Laure ambitionne ainsi de devenir professeure des universités, grade auquel la réussite au concours d’agrégation du supérieur lui permettra de prétendre. En droit, l’agrégation du supérieur alterne, tous les deux ans, les spécialités de droit public et droit privé. Ce calendrier lui a permis, durant sa première année en tant que maîtresse de conférences, de dispenser son service d’enseignements et d’anticiper la préparation de ce concours qui se déroule durant la deuxième année qui suit sa prise de fonction. Tout comme la qualification aux fonctions de maîtres de conférences et le recrutement, l’issue de l’agrégation du supérieur reste largement incertaine45. Une réussite à la première tentative est rare et plusieurs présentations sont nécessaires pour espérer être lauréat, sans pour autant que de multiples candidatures garantissent l’obtention du statut d’agrégé du supérieur. Elle prépare donc ce concours, participe à des entraînements collectifs proposés dans trois universités disséminées sur tout le territoire français. Elle se présentera donc à l’agrégation l’année suivante ; en cas d’échec, elle envisage de s’y présenter une seconde fois. Si elle connaît à nouveau une issue malheureuse, elle songera à accéder au statut de professeure des universités par la voie du CNU. Sinon, elle se verrait bien prendre des responsabilités pédagogiques comme la direction d’une licence ou d’un master en tant que maîtresse de conférences.

Dans l’industrie aéronautique, Hippolyte aimerait connaître une évolution professionnelle qui tende à lui octroyer une vision transversale des différents projets en cours dans l’entreprise. Pour cela, il hésite encore entre une carrière d’expertise et la voie managériale dans laquelle il prendrait des responsabilités de projets de taille moyenne pour ensuite coordonner des programmes de recherche de plus grande envergure.

Daphné a quant à elle choisi son orientation : c’est véritablement vers l’expertise qu’elle souhaite orienter la suite de son parcours professionnel. Hippolyte et Daphné sont tous les deux optimistes sur la probabilité de voir la prolongation de leur projet professionnel se réaliser dans l’entreprise qui les a recrutés.

Jean souhaite boucler les projets de recherche entamés dans le cadre de sa thèse et les valoriser par des publications. Si sa direction de laboratoire lui permet de continuer d’utiliser son temps libre comme il l’entend, il entamera de nouveaux projets de recherche. Si jamais son temps de travail est entièrement contraint par des missions techniques, il songera alors à passer les concours d’ingénieur de recherche46

que lui facilite l’obtention du diplôme de doctorat afin de poursuivre son activité de recherche.

45 A titre indicatif, les candidats autorisés à se présenter au concours d’agrégation du supérieur en droit privé et sciences criminelles en 2018/2019 étaient au nombre de 162 pour 22 postes offerts : http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid22721/les-concours-nationaux-d-agregation.html

46 Le métier d’ingénieur d’études et d’ingénieur de recherche sont des corps de catégorie A de la fonction publique. Schématiquement, les ingénieurs d’études concourent aux activités scientifiques alors que les ingénieurs de recherche les mettent en œuvrent et coordonnent les activités de recherche. Les concours d’ingénieur d’études sont accessibles sous conditions d’obtention d’un diplôme de niveau licence tandis que les concours d’ingénieur de recherche sont accessibles aux docteurs, agrégés et diplômés d’écoles d’ingénieurs.

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