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États des lieux des différents domaines sollicités par notre étude

6.6 Les principales limites de la télé-orthophonie

L’utilisation de la télé-orthophonie présente toutefois certaines limites. Ainsi, les aspects techniques posent parfois problème. En effet, la résolution de l’image, le contraste lumineux, la qualité du son et la position du sujet par rapport à la caméra ne sont pas toujours parfaits. De ces difficultés techniques découlent des contraintes cliniques telles que l’impossibilité d’administrer certaines tâches, d’effectuer des manipulations directes et la difficulté à percevoir certains aspects visuels plus subtils.

La question centrale reste néanmoins la question du soin et la relation orthophonique où le langage est à la fois l'objet et le médium. Le patient arrive avec son histoire, ses drames, et ses

symptômes, et le professionnel possède lui-même sa propre histoire, son (in)expérience, ses angoisses. La rencontre pédagogique de ces deux personnes va les bouleverser toutes les deux, dans un ensemble de réactions positives et négatives, conscientes et inconscientes, d'interprétation, d'identification, de transfert et contre transfert. L'introduction d'un écran, de la distance va redéfinir cette relation. La rééducation est un accompagnement à l'acquisition des connaissances sociales et culturelles des hommes, dont les langages oral et écrit font partie. C'est une conduite de disponibilité à la disposition de celui qui cherche, qui peut trouver lui-même une réponse à sa question ou éventuellement trouver une aide, une orientation, un accompagnement chez l'autre. La notion d'absence dans la distance modifie les échanges où se déroule cette communication “ naturelle ”, où chacun apporte sa spécificité à l'autre. Le terme de relationnel se conçoit aisément et le langage y est porteur de sens. La télé-orthophonie doit donc construire ce nouveau cadre relationnel où la qualité du dialogue thérapeutique doit être encadrée et préservée. Cela passe par des notions de confidentialité qui ne sont pas toujours respectées, d'intimité (Or, aujourd'hui, de nombreuses données sont tracées, localisées et convocables sans que l'individu en soit forcément conscient) et de responsabilités partagées.

Il est également impératif de considérer que la télé-orthophonie implique une modification de la dynamique dans la relation thérapeutique. Il est donc nécessaire de redéfinir les représentations, les manières d'être, d'espérer, de douter et de renoncer afin de s'assurer de l'intersubjectivité de la relation. Il est donc important d'investir ces nouveaux dispositifs de communication avec une réflexion sociétale, en tenant compte de la dignité humaine, sans naïveté, ni illusion. S'interroger sur le rapport au corps, à la pathologie, à la normativité et aux dimensions communicationnelles de l'acte de soin nécessite de la part des praticiens une posture éthique qui doit être révélée, interrogée et évaluée, dans la construction des scénarios prospectifs et l'accompagnement de l'innovation.

6.6.1 Le lien patient/thérapeute

L’établissement d’une relation thérapeutique de qualité, établie sur la confiance, est à la base de l’intervention. Si certains s’inquiètent du risque possible de technicisation des soins de santé par l’inclusion de nouvelles technologies telles que la télémédecine, d’autres y voient des avantages dans la relation entre le patient et son thérapeute : « Parce qu’elle rendra l’expertise externe accessible au médecin traitant, sur place, elle lui permettra de maintenir avec son patient un lien qui se perd aujourd’hui, quand le malade passe d’un spécialiste à un autre » (Luc Bessette,

urgentologue à l’hôpital Saint-Luc cité dans Sormany, 1996). C’est aussi le pronostic de Betsy Blakeslee, du bureau de gestion des technologies médicales de l’armée américaine : « La téléconsultation et les autres outils de la télémédecine comme les bases de données cliniques ou épidémiologiques et l’information médicale on line, vont permettre à ces pourvoyeurs de soins primaires d’établir une relation professionnelle plus complète avec leurs clients. Cela nous conduira à une revalorisation du lien patient-thérapeute » (cité dans Sormany, 1996). Bien que ces opinions concernent la médecine, on peut très bien les appliquer à l’orthophonie lorsque, par exemple, au lieu d’être transféré, le patient continue d’être traité localement par l’orthophoniste en place qui reçoit les conseils d’un expert situé dans un grand centre. Ce genre de situation peut se rencontrer dans les cas de problématiques particulières demandant plus d’expérience de la part du thérapeute. Les cas de transfert sont parfois inévitables mais lorsque la consultation à distance est possible, certains peuvent être évités.

La télé-orthophonie n’est pas toujours utilisée dans un but de consultation : elle peut aussi constituer un médium par lequel la thérapie elle-même prend place. Dans ce cas, l’implication du thérapeute local est moins importante. La question de la relation thérapeutique à distance est alors plus à propos. Force est de constater qu’une intervention à distance ne permet aucun contact physique ou proximité ; mais les soins sont-ils moins humains pour autant ? Rappelons qu’avant l’avènement de l’orthophonie à distance, les citoyens n’ayant pas accès à des soins dans leur région devaient recevoir ces soins dans une région qui n’était pas la leur. Cela impliquait des déplacements, des absences au travail et l’établissement à plus ou moins long terme, selon le plan de thérapie, dans un nouveau milieu. Toutes leurs activités de la vie quotidienne étaient alors interrompues pour recevoir une intervention qui, si les services avaient été disponibles sur place, n’aurait pas nécessité un tel investissement de leur part. La possibilité de recevoir des soins à distance, dans leur milieu de vie naturel, s’avère dans ce cas une alternative plus humaine.

L’absence de proximité entre le patient et le thérapeute peut être problématique, en particulier lorsque le patient est un enfant. A ce sujet, une enquête australienne se pencha sur la faisabilité d’une rééducation orthophonique à distance. Elle démontra cependant que l’intermédiaire de la technologie n’avait pas de répercussions sur la relation entre l’orthophoniste et les enfants, même lorsque ceux-ci étaient timides ou réticents (Fairweather et al., 2014).

Parmi les points faibles qui ont été relevés suite au projet de télé-orthophonie s’étant déroulé dans la région du Bas Saint-Laurent et de la Gaspésie avec des enfants bègues et dysphasiques, on note qu’il n’est pas toujours facile d’obtenir la collaboration de l’enfant, en particulier pour les enfants très jeunes, turbulents, avec problème d’attention ou de comportement, inintelligibles, etc. De plus, comme la télé-orthophonie exige une organisation complexe entre les partenaires (parents, orthophoniste à distance et personnes ressources sur place), la rencontre peut difficilement être déplacée dans le cas où l’enfant ne collabore pas (Marquis, 2000).

Dans ce même projet québécois, un volet de l’étude consistait à offrir de la formation à un groupe de parents par visioconférence. L’absence de contact physique et le peu de contacts avec les participants permettant d’aborder des sujets délicats et de partager leurs émotions figurent parmi les commentaires négatifs soulevés (Marquis, 2000).

Une étude rapportée par MacDuffie (2013) dans C. Baudet et C. Lamy (2016) sur l'éducation précoce auprès d'enfants TSA (Trouble du Spectre Autistique) et de leurs parents montre que les parents voient un bénéfice identique aux séances en visiophonie qu'aux séances en face à face.

Des difficultés interactionnelles liées à la distance peuvent également survenir avec des patients adultes. Dans une étude menée par Duffy et al. (1997), concernant des sujets adultes présentant une histoire de maladie du système nerveux central, on mentionne que : « Certains patients avec des problèmes langagiers ou cognitifs présentent parfois des difficultés à comprendre le processus interactionnel à travers les moniteurs et ont besoin d’être bien orientés ».

La télé-orthophonie ne peut remplacer une intervention directe par une orthophoniste œuvrant dans notre région, ce qui constitue encore la situation idéale. Elle s’avère par contre une ressource intéressante dans les cas où l’accessibilité ou la disponibilité aux soins nécessaires pour répondre aux besoins du patient sont problématiques. Cette solution propose une approche parfois moins humaine que l’intervention directe sur place mais tout de même plus humaine que ses alternatives. En veillant à la congruence des paramètres discursifs, contractuels et environnementaux de la séance à distance, la télé-orthophonie assurera la cohérence nécessaire à la préservation de la relation de soin et permettra ainsi au patient et au rééducateur de construire, ensemble, les univers référentiels de leurs échanges.

Conception de la pratique