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Chapitre 2 - Des ingénieurs sur leur lieu de travail

2.5 Les conclusions de cette première enquête

2.5.1 Les praxéologies mathématiques sur le lieu de travail

Tout d’abord, nous voulons commencer cette synthèse des praxéologies mathématiques pro-fessionnelles des ingénieurs français en soulevant la question de la cohérence des résultats ob-tenus dans les deux temps de notre enquête. Nous avons, grâce à ce travail pu identifier deux principaux types de ces praxéologies. Le premier type de praxéologies mathématiques que nous

qualifions de « propres15» est directement lié à des contenus mathématiques qui peuvent être soit généraux, soit spécifiques (calculs, analyse statistique, cryptographie, etc.). Le second type de praxéologies que nous qualifions de « transversales » (modélisation, raisonnement, etc.) cor-respond à une autre forme de besoins mathématiques qui semble tout aussi importants sur le terrain (lieu de travail) pour les ingénieurs rencontrés.

Les différentes catégories de praxéologies rencontrées sur le lieu de travail

Commençons par nous intéresser aux praxéologies mathématiques « propres » qui nous ont été décrites par les ingénieurs. Celles-ci se classent selon nous en trois catégories.

La première catégorie, décrite dans le questionnaire, mais surtout mise en avant dans les en-tretiens est celle qui correspond à l’utilisation de bases mathématiques. Les praxéologies liées à ces bases mathématiques sont parfois présentées par les participants à notre enquête de ma-nière imprécise car elles semblent diffuses dans le quotidien des ingénieurs. Nous pouvons donc dire qu’elles sont liées à des calculs élémentaires ou plus élaborés en analyse (calculs de vo-lumes, devis, équations différentielles, analyse de Fourier, etc.), en algèbre (calcul matriciel, ré-ductions matricielles, etc.) ou même en statistiques (statistiques descriptives de base). Notons que prises dans leur ensemble, ces praxéologies sont enseignées dans plusieurs types d’institutions de l’enseignement secondaire au cycle ingénieur en passant par le cycle prépara-toire.

La deuxième catégorie qui joue également un rôle primordial sur leur lieu de travail selon nos ingénieurs (dans tous les domaines de spécialité) est la catégorie des praxéologies statis-tiques. Comme nous venons de le spécifier auparavant, certains aspects des statistiques font partie des bases. Cependant, les praxéologies dont il est question ici sont plus élaborées et cor-respondent à des analyses de phénomènes aléatoires ou expérimentaux (analyses de données, plans d’expérience, big data, etc.). Si les statistiques ne font pas partie (selon nos informations) des programmes de cycle préparatoire, elles semblent être la discipline la plus enseignée en cycle ingénieur (devant l’analyse et l’algèbre).

Il existe enfin une dernière catégorie de praxéologies propres que nous appelons praxéolo-gies « spécifiques ». Elles sont liées à des contenus mathématiques spécifiques utiles seulement dans certaines spécialités de diplômes comme la cryptographie, le traitement du signal ou le traitement d’image, des optimisations d’algorithmes dans le développement de logiciels etc. Les contenus correspondants sont appris le cas échant dans les cycles ingénieurs correspondants à ces spécialités. Dans le cas contraire, les ingénieurs font face à une nécessité de formation conti-nue voire d’autoformation.

Les praxéologies transversales reconnues par les ingénieurs sur leur lieu de travail corres-pondent elles aussi à trois catégories.

La première que nous abordons est celle qui correspond à un besoin de modélisation (puis de simulation) mathématique. C’est un apprentissage qui n’est pas proposé en tant que tel dans beaucoup de formations et dont les problématiques sont partagées, comme le montrent Gonza-lez-Martin, Gueudet, Barquero et Romo-Vázquez (à paraître) par tous les enseignements de ma-thématiques à des non-spécialistes.

La deuxième catégorie de praxéologies transversales correspond à l’utilisation des mathé-matiques comme vecteur de communication entre pairs. Il s’agit d‘échanges autour de résultats dans lesquels les mathématiques semblent jouer le rôle de langage commun voire de culture commune. À cet aspect de communication, s’ajoute un aspect de documentation qui correspond à l’utilisation de ressources pour répondre à des besoins de mise à niveau. Ces ressources peu-vent être de diverses natures comme des ressources documentaires ou des ressources hu-maines. C’est dans ce dernier point que se rejoignent la communication et la documentation. Comme la catégorie précédente, ces praxéologies mathématiques ne sont pas directement ensei-gnées dans une quelconque institution de formation.

La dernière de ces praxéologies transversales est celle de la logique, du raisonnement rigou-reux, de l’analyse et de la résolution de problèmes. D’après les ingénieurs rencontrés, cette der-nière famille de praxéologies est très importante dans leur quotidien. Bien que transversales (et donc, d’après notre définition, non rattachées à un contenu mathématique spécifique) elle sem-blent être le fruit de l’enseignement en cycle préparatoire, en particulier celui dispensé en CPGE. Nous indiquons dans le Tableau 2–25 ci-dessous les différentes classes de praxéologies pro-fessionnelles décrites par les ingénieurs dans cette première enquête :

Praxéologies mathématiques propres Praxéologies de base Praxéologies statistiques Praxéologies spécifiques Praxéologies mathématiques transversales Praxéologies de modélisation

Praxéologies de communication et documentation Praxéologies de raisonnement logique et rigoureux

Tableau 2–25 Classification des praxéologies mathématiques professionnelles selon les ingénieurs La technologie : entre technique et théorie

Lors de notre analyse praxéologique réalisée à partir du questionnaire et des entretiens au-près d’ingénieurs français, nous avons observé un certain nombre de difficultés méthodolo-giques. Nous expliquons dans cette section comment nous avons pu les contourner.

Dans le bilan que nous avons fait au-dessus, nous avons nous sommes référés à la notion de praxéologies mathématiques définie en 1.5, qui rappelons-le correspond à des praxéologies dans lesquelles les mathématiques interviennent dans au moins l’une des composantes. Or, dans les praxéologies décrites par les ingénieurs, nous avons très souvent fait face à la difficulté de re-connaître certaines composantes. Ceci peut d’une part provenir d’un manque d'information lié à notre prise de données (la forme questionnaire et entretiens ne fournit pas les mêmes données qu’une observation de travaux ou de séances professionnelles, par exemple). D’autre part, ceci peut être mis sur le compte de l’incomplétude des praxéologies déjà soulignée dans (Bosch et al., 2004).

L’observation de la place de la théorie Θ dans la réalité praxéologique est de même une ga-geure qui oblige à une certaine précision d’analyse. Mais, l’utilisation dans les travaux de Castela (2008) de la notion de « folklore institutionnel », que nous avons rebaptisé ici « folklore logique » permet selon nous de trouver une voie médiane. En effet, la dissociation de la techno-logie θ en une composante technique et une composante théorique apporte une réelle souplesse qui nous permet des observations plus pertinentes dans le cadre précis de l’analyse des praxéo-logies mathématiques professionnelles des ingénieurs que nous avons effectuée.

Si la question est de savoir « les mathématiques sont-elles une discipline à portée technique ou théorique dans le travail quotidien des ingénieurs ? », nous avons pu observer que la réponse apportée par les ingénieurs n’est pas tranchée, à l’image de la citation suivante : « Si l’on consi-dère les mathématiques comme une caisse à outils, le problème est que si on ne l’ouvre pas pendant dix ans, elle est fermée (…). Par contre, il y a des sujets qui ne se prêtent pas à cette vision, et c’est là que les mathématiques sont un peu la philosophie des sciences » (George).

L’observation de la place des logiciels dans la résolution de problèmes permet aussi d’illustrer le fait que les besoins mathématiques ne peuvent être couverts par l’utilisation d’un logiciel. Bien souvent, l’utilisation d’un outil logiciel (souvent simple) vient en support d’une praxéologie.

Enfin, nous avons vu dans un cas particulier que la preuve mathématique de théorèmes pou-vait être utile d’un point de vue technique pour l’amélioration de caractéristiques d’un produit dont un des ingénieurs rencontré avait la charge du développement (logiciel audio).

Même si nous avons vu que la moitié des ingénieurs ayant participé à notre enquête déclare ne pas avoir de besoin mathématique particulier sur son lieu de travail, nous avons pu voir que pour les autres, le besoin de mathématiques est réel et diversifié. Or, ce besoin ne semble pas toujours couvert par les institutions de formation initiale que traversent ces ingénieurs. Dans la sous-partie suivante, nous allons donc faire la synthèse des points soulevés dans notre enquête qui nous ont permis de mieux comprendre la réalité de leur formation mathématique.

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