• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 - Formation mathématique en cycle ingénieur : point de vue des

3.3 Analyse de supports de cours

3.3.1 Comparaison d’un cours expert et non-expert

Nous justifions plus loin notre choix d’étudier l’intégrale de Riemann dans deux cours diffé-rents. Pour pouvoir faire une analyse comparative des supports de cours pour des ingénieurs de première année du cycle sur ce thème, nous analysons les parties correspondantes dans les dia-poramas de fournis par Pascal et Marianne. Comme nous l’avons vu en 3.1., au vu de sa forma-tion en mathématiques pures, Pascal peut être qualifié d’expert, tandis que Marianne, qui a suivi une formation d’ingénieur puis de recherche en robotique, se considère comme non-experte.

Pour comparer des ressources de même nature, nous laissons donc intentionnellement de côté les exercices et le polycopié de cours fournis en outre par Pascal. Lorsque cela apporte un éclairage intéressant, nous utilisons les descriptions faites lors de l’entretien avec chacun des deux enseignants.

Dans un premier temps, nous présentons les cours dans lesquels la partie sur l’intégrale de Riemann est enseignée. Dans un second temps, nous procédons à notre analyse comparative des passages concernés.

Place de l’intégrale de Riemann dans les cours de Pascal et Marianne

Nous avons cherché dans les ressources mises à notre disposition par les six enseignants rencontrés en entretien des contenus communs pour pouvoir les comparer. Nous étions à la

recherche d’un enseignement correspondant à des bases mathématiques. Dans leur entretien Pascal et Marianne ont tous les deux parlé de l’intégrale de Riemann comme un contenu de base à bien maîtriser par les étudiants et c’est ce qui a guidé notre choix.

Pour Pascal, il s’agit du cours de « mathématiques du signal » qui est composé au total de 18 heures de cours magistraux et de 24 heures de TD. Les étudiants qui suivent ce cours provien-nent autant de CPGE que de BTS, DUT et Licence réunis. Selon lui, l’intégrale de Riemann sert ici de prérequis pour l’enseignement de l’intégrale de Lebesgue qui est fait dans la continuité de cette partie de cours de première année. Pour Marianne, il s’agit d’un outil de base présenté au même titre que d’autres outils (rappels d’analyse, variables aléatoires et algèbre matricielle) à l’intérieur de son cours de « remédiation mathématique » qui se déroule en début de première année du cycle ingénieur en électronique et informatique industrielle. Cet enseignement (facul-tatif dans la formation, mais rendu obligatoire par Marianne) est composé de 26 heures de TD et s’adresse essentiellement aux élèves ayant suivi leur cycle préparatoire en IUT (Informatique, STID, Réseaux et télécommunication, Génie électrique et informatique industrielle). L’objectif de ce cours est d’après Marianne de montrer que « les mathématiques, c’est important », de rendre « les étudiants un peu curieux en recontextualisant » et de « développer l’intuition » des outils qu’il faut utiliser pour résoudre un problème donné.

La partie du cours de Pascal sur l’intégrale de Riemann est la partie introductive à l’intégrale de Lebesgue en toute première partie du diaporama intitulé « Maths du signal – Initiation » (192 diapositives) dont le plan est le suivant et pour lequel nous ne détaillons que la partie en lien avec l’intégrale de Riemann (partie 1 avec, en gras, la sous-partie traitant de l’intégrale de Rie-mann) :

1. Intégrale de Lebesgue

a. Motivation et définition

b. Théorèmes d’inversion de limites c. Boîte à outils

2. Convolution

3. Transformation de Fourier 4. Séries de Fourier

Comme son nom l’indique, la partie 1.a (22 diapositives) permet à l’enseignant de justifier l’utilisation de cette nouvelle intégrale puis de donner les définitions utiles pour le reste du cours. De même, la deuxième partie 1.b (13 diapositives) permet de détailler les théorèmes d’inversion de limites dans les intégrales dépendant d’un paramètre, dans des suites ou des sé-ries de fonctions. La troisième et dernière partie 1.c (14 diapositives) donne enfin sous forme de « boîte à outils » les propriétés et résultats utilisables sur l’intégration de Lebesgue : relation de Chasles, linéarité, positivité, intégration par parties, changement de variable, pour des fonctions de deux variables : théorème de Fubini et changement de variables polaires, comparaison sé-ries/intégrales, espace Lp, inégalités utiles et autres espaces courants.

Pour l’enseignement de remédiation présenté par Marianne, l’intégrale de Riemann se trouve à deux endroits. Nous donnons le plan général et nous détaillons ci-dessous uniquement le plan des sous-parties en lien avec ce contenu (parties 1 et 5 avec, en gras, les sous-parties trai-tant de l’intégrale de Riemann) :

1. Rappels d’analyse

2. Intégrales

a. Calcul d’intégrales b. Intégrales multiples

c. Intégrales généralisées et convergence 3. Variables aléatoires

4. Algèbre matriciel

5. Intégrales de Lebesgue

En présentant des cas de fonctions non intégrales au sens de Riemann, (elle prend l’exemple de la fonction indicatrice d’un ensemble ! et de la fonction de Dirichlet), Marianne justifie enfin la nécessité de construire une nouvelle intégrale pour des calculs de probabilités ou des séries de Fourier.

Dans la suite de son cours en traitement du signal, Pascal justifie la nécessité de considérer l’intégrale de Lebesgue pour pouvoir travailler avec des fonctions définies par des intégrales ou des séries et pour lesquelles des problèmes d’interversion se posent, notamment pour des inté-grales « impropres » (notion non-définie). Il fera encore référence à la notion d’intégrale de Riemann quelquefois pour la comparer à l’intégrale de Lebesgue (notamment pour les théo-rèmes de convergence). Marianne n’y reviendra jamais.

Bilan de ces comparaisons

Rappelons que les deux cours que nous avons choisis de comparer sont destinés à des pu-blics différents : le cours de Pascal est un cours de mathématiques du signal et celui de Marianne est un cours de remédiation mathématique (respectivement pour des élèves ingénieurs en « électronique » et en « électronique et informatique industrielle »). Nous avons choisi d’observer la présentation d’un contenu déjà introduit au lycée et faisant partie des bases de cycle préparatoire : l’intégrale de Riemann.

Bien que son cours soit destiné majoritairement à des étudiants venant d’IUT, Marianne pense que cette partie introductive sur l’intégrale de Riemann n’aurait pas sa place dans un cours fait par un enseignant « expert » dans son école d’ingénieurs. Selon elle les étudiants de première année du cycle ingénieur sont réputés maîtriser cette notion d’intégration.

Nous avons dressé un certain nombre de constats tant sur le fond que sur la forme et nous les résumons ici.

Sur la forme tout d’abord, même si nous avons choisi de comparer les diaporamas de cours, nous observons des différences assez marquées entre les deux. Tout d’abord, les énoncés des définitions et propositions sont mis en valeur de manière appuyée chez Pascal (dans des cadres spécifiques numérotés), ce qui n’est pas le cas dans le diaporama de Marianne où les définitions et propositions sont écrites au même titre que des remarques ou commentaires. De même, les diapositives semblent contenir plus de détails mathématiques, mais moins de commentaires explicatifs (en langage parlé) dans le cours de Pascal que celui de Marianne.

Les deux diaporamas sont bien fournis en illustrations graphiques, mais celles-ci sont plus complexes dans le cas de Marianne que celui de Pascal. Par exemple, alors que Marianne utilise des abscisses génériques à la base de ses rectangles (xk et xk+1) sur [a,b] Pascal trace des gra-phiques avec des exemples chiffrés.

Sur le fond, les deux diaporamas présentent des différences encore plus importantes. Tout d’abord, notons que les deux cours sont destinés à des étudiants de première année du cycle ingénieur en électronique, pourtant, seul celui de Pascal fait concrètement référence à cette spé-cialité. Le cours de Marianne qui est prévu pour aider les étudiants ayant suivi leur cycle prépa-ratoire en IUT à faire des liens avec ce qu’ils connaissent déjà (« j'essaie de leur faire ‘sentir’ les choses pour qu'ils accrochent au concept », « mon idée, c'est qu'ils comprennent que les concepts ‘s'emboîtent’ les uns avec les autres, que l'un a besoin de l'autre pour fonctionner... bref, faire un lien ! ») semble, au début du cours beaucoup plus éloigné de considérations pratiques. Pour elle, il semble qu’il s’agisse de faire des liens entre les concepts mathématiques, alors que Pascal tente de faire un lien avec le domaine physique correspondant.

Pour les deux enseignants en revanche, l’intégrale de Riemann est rappelée en introduction de leur cours dans le but de montrer ses limitations et ainsi de justifier la nécessité de la cons-truction de l’intégrale de Lebesgue pour répondre à des besoins exprimés par les contenus ma-thématiques qui seront vus dans la suite du cours : les variables aléatoires, les probabilités, les séries de Fourier pour Marianne, et théorèmes d’interversion de limites pour la convolution, la transformation et les séries de Fourier pour Pascal.

Les deux cours présentés ici se basent sur des prérequis ou des notions intuitives plus ou moins explicites comme la notion d’aire (dans les deux cas) ou la notion de découpage (chez Marianne).

Cependant, Marianne développe dans son cours des contenus nécessitant à la fois un forma-lisme mathématique d’un niveau élevé (somme de Riemann, limites inférieure et supérieure, sommes de Darboux) et des hypothèses plus faibles et plus générales que dans les résultats fournis par Pascal. Par exemple, Pascal ne présente et n’illustre que la méthode des rectangles à gauche pour des fonctions continues (sans évoquer le terme de « sommes de Riemann »), alors que Marianne laisse la généralité à un niveau plus élevé (notion de fonctions Riemann-intégrables).

Remarquons également que dans le cours de Pascal, il n’est jamais fait mention de la notion de primitive, contrairement à celui de Marianne dans lequel les liens entre la notion de primitive et d’intégrale sont explicités mais pas justifiés. Nous pouvons supposer qu’il s’agit de connais-sances qu’elle suppose acquises en cycle préparatoire.

Pour résumer cette analyse, nous pouvons expliciter une comparaison des praxéologies sur l’exemple très précis de l’intégrale de Riemann que nous avons choisi dans ces deux cours.

Pour le type de tâche « Calculer l’aire sous une courbe », nous constatons que l’enseignant expert (Pascal) semble privilégier des techniques de calcul approché directement utilisables par les étudiants comme la méthode des rectangles à gauche. Il fournit une seule technologie (la formule de la convergence) mais ne la justifie pas de manière théorique. Il illustre en revanche la théorie par des graphiques. Il place cette praxéologie mathématique dans un contexte lié au do-maine de spécialité des futurs ingénieurs auxquels il enseigne : le traitement d’image. Ses choix praxéologiques semblent guidés par les objectifs du cours et Pascal semble se reposer sur des connaissances de cycle préparatoire sans y revenir.

D’un autre côté, pour le même type de tâche, l’enseignante non-experte en mathématiques (Marianne) rappelle au détour d’une formule les techniques de calcul exactes à partir des primi-tives vues en cycle préparatoire. Elle complète ces praxéologies en proposant pour le calcul ap-proché des techniques formelles et difficilement utilisables par les étudiants (sommes de Rie-mann dans le cas général). Elle apporte une justification technologique de ces techniques (somme de Darboux, intégrales inférieure et supérieure) en se reposant sur des théories qui ne sont vues dans aucun cycle préparatoire, mais qui sont plutôt réservées à des spécialistes en mathématiques. C’est un paradoxe que l’on peut souligner dans cette analyse.

Après avoir comparé une partie de cours commune à deux enseignants que nous avions ren-contrés en entretien, nous proposons dans la sous-partie suivante de nous intéresser à un cours de statistiques destiné à des ingénieurs chimistes. Dans notre étude ici, les statistiques présen-tent le double intérêt de ne pas être au programme des cycles préparatoires et d’être pourtant le point mathématique central dans le quotidien d’une grande majorité d’ingénieurs (cf. chapitre 2). En outre, les statistiques descriptives semblent d’après nos enquêtes faire parfois partie des bases mathématiques nécessaires sur le lieu de travail des ingénieurs, et les statistiques plus avancées font également partie des contenus spécifiques utiles dans certains domaines de l’ingénierie.

Ce sont toutes ces raisons qui nous ont fait choisir ce cours pour essayer d’observer les praxéologies statistiques mises en jeu dans le début de la formation en cycle ingénieur.

Outline

Documents relatifs