• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 - Des ingénieurs sur leur lieu de travail

2.5 Les conclusions de cette première enquête

2.5.2 Les praxéologies de la formation initiale

La formation initiale ne peut pas répondre à tous les besoins mathématiques des ingénieurs. Nous avons vu que pour des praxéologies spécifiques, les ingénieurs doivent se former seuls ou avec leur pairs sur leur lieu de travail.

En outre, nous avons vu dans notre enquête que les ingénieurs sont assez peu satisfaits de leur formation en cycle ingénieur, estimant seulement à 52% qu’elle est adaptée à leur besoin. A l’inverse, quelque soit le type de cycle préparatoire, celui-ci semble mieux adapté à leurs besoins quotidiens de mathématiques (à 71%). Nous allons tenter de donner des éléments d’explication sur ce fait dans ce qui suit, avant de préciser les pistes fournies par les ingénieurs pour expliquer ce manque d’adaptation.

Formation mathématique des ingénieurs : des cycles préparatoires et un cycle ingénieur

Après l’enseignement secondaire, la formation mathématique des ingénieurs est répartie, en premier lieu, sur le cycle préparatoire puis, sur le cycle ingénieur (en particulier en première année). Sans que cette première enquête ne concerne précisément le cycle préparatoire (nous ferons néanmoins une analyse à ce sujet dans le chapitre 4), nous avons pu obtenir ici des élé-ments qui nous ont servi à faire la comparaison avec le cycle ingénieur sur certains aspects.

Comme son nom l’indique, le cycle préparatoire doit préparer les étudiants à la formation en cycle ingénieur, en particulier en mathématiques. Cette préparation doit passer par l’enseignement d’un certain nombre de compétences et de connaissances utiles ultérieurement. Comme nous l‘avons vu en 2.5.1, les praxéologies mathématiques de base semblent en effet s’y développer, ainsi que des praxéologies transversales comme l’apprentissage de la rigueur et du raisonnement logique. Le paradoxe de cette formation en cycle préparatoire est que, bien qu’elle ne semble pas passionnante pour beaucoup d’étudiants, elle est (à en croire, par exemple, le taux de 71% rappelé ci-dessus) hautement utile.

Le haut niveau de technicité et de théorie souvent relevé dans l’enseignement en cycle pré-paratoire (notamment en CPGE) semble créer une attente chez les futurs ingénieurs pour leur formation mathématiques en cycle ingénieur. Pour eux, cette formation devrait en effet être le lieu de la découverte et du développement des praxéologies mathématiques pratiques et liées à des concepts professionnels. Or, celle-ci est justement décriée pour son manque de liens avec le monde réel ainsi qu’avec les connaissances mathématiques déjà acquises. Le manque de mise en situation concrète et le manque d’application des concepts enseignés ressort clairement dans l’enquête que nous avons présentée ici.

Des conditions et contraintes de la formation en cycle ingénieur

À propos de leur formation mathématique en cycle ingénieur, nous avons pu relever cer-taines conditions et contraintes clairement mises en avant par les ingénieurs dans notre en-quête. Nous avons situé ces contraintes sur l’échelle des niveaux de codétermination didactique. La qualité de l’enseignement lui-même est souvent pointée du doigt par les ingénieurs, ceux-ci soulignant le rôle joué par leurs enseignants dans leur propre motivation pour les mathéma-tiques. Nous verrons dans le chapitre suivant que nombreux sont les enseignants qui n’ont effec-tivement pas suivi de formation pédagogique et que le développement de leurs qualités dépend bien souvent de leur bonne volonté. Ceci pourrait en partie expliquer cet avis.

Encore à propos de l’enseignement lui-même, nous avons relevé peu de commentaires sur le fait que les cours magistraux et les TD soient majoritaires dans la formation en cycle ingénieur, au détriment d’enseignements pratiques ou de projets, par exemple. Il semblerait pourtant qu’un enseignement sous forme de projet puisse répondre à certains des besoins évoqués ; nous approfondirons cet aspect dans le chapitre 5.

Le cycle ingénieur voit se mélanger des étudiants provenant de cycle préparatoires de na-tures bien différentes, notamment en terme de formation mathématiques. Les CPGE, qui repré-sentent environ 50% de ses effectifs ont reçu la formation la plus importante en terme d’horaire, de régularité du contrôle etc. Les autres étudiants (venant des autres cycles préparatoires, no-tamment IUT, STS ou université) se trouvent parfois plus en difficulté, ce qui crée une hétérogé-néité qui dessert la cohésion de groupe et qui ralentit l’efficacité des enseignements aux yeux des ingénieurs.

Enfin, même si nous aurons plus de données à ce sujet dans le chapitre 3, les volumes ho-raires semblent être une piste pour comprendre le point de vue négatif des ingénieurs sur leur formation de mathématiques en cycle ingénieur. Certains trouvent que ce volume est faible qu’il faudrait plus d’heures, d’autres trouvent au contraire ce volume trop élevé et qu’il en faudrait moins.

Terminons cette synthèse du chapitre 2 sur le point de vue des ingénieurs sur leur formation mathématique par une citation (Alice) qui met en perspective le cas de la France avec celui d’un autre pays d’Europe : « Bien qu’étant ingénieur matériaux j’ai une bonne connaissance en phy-siques et en mathématiques me permettant de comprendre ou de rentrer facilement dans des thé-matiques demandant plus de connaissances en mathéthé-matiques. Les ingénieurs (ou étudiants) alle-mands sont souvent étonnés et ont plus de mal quand il faut calculer ou modéliser quelque chose. Ils doivent beaucoup plus chercher et apprendre par eux-mêmes (...). La formation allemande est plus spécialisée et a beaucoup moins de mathématiques que la nôtre. »

Cette citation permet de voir la perspective offerte par la formation française : son aspect théorique permettrait in fine de fournir les « armes » pour répondre au besoin de modélisation inhérent au métier d’ingénieur que nous retrouvons, du point de vue des enseignants, dans le chapitre 3 et dans les travaux récents de Faulkner, Earl et Herman (2019)

Pour conclure, notons que nos résultats semblent indépendants d’un certain nombre de fac-teurs, comme la spécialité du diplôme ou la régularité du besoin de mathématiques au quotidien. C’est pourquoi, malgré les différents cycles préparatoires, parler de la formation mathématique « des ingénieurs » paraît adapté à la réalité. Notre thème de recherche, bien que situé à un ni-veau général d’observation, trouve en partie sa justification dans la cohérence de ces résultats.

Les problématiques soulevées dans des travaux antérieurs présentés au chapitre 1 se re-trouvent au cœur de notre étude en France : la place des mathématiques dans la formation des ingénieurs, l’équilibre entre théorie et pratique (avec le concept d’utilitarisme) (Castela, 2008; Romo-Vázquez, 2009, p. 29).

De même, la citation de (Kent et Noss, 2002, p. 3) : « Pour tout ingénieur qui doit utiliser un résultat mathématique, l’analyse mathématique ne peut pas être absolument une boîte noire, mais (…) elle ne peut pas non plus être absolument ouverte » trouve un écho dans notre contexte en France.

Nos analyses recoupent également celles de Castela (2015) mettant en évidence que « la plupart des parties pratiques des praxéologies ne sont pas enseignées ».

Ces dernières remarques nous permettent de souligner que notre première enquête détail-lée dans ce chapitre dans le contexte français a permis d’obtenir des premiers résultats qui sont dans la continuité des études internationales faites à ce sujet. Dans le chapitre suivant nous poursuivons la recherche d’éléments de réponses pour nos trois premières questions QR1, QR2 et QR3 en nous tournant vers des enseignants de mathématiques en cycle ingénieur.

Chapitre 3 - Formation mathématique

Outline

Documents relatifs