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Chapitre I : Perspective sur le genre comme facteur d’inégalité et de ségrégation

1.2 Les contrats sociaux entre les sexes

1.2.1 Les politiques familiales de l’Etat Français

Les féministes ont essayé de « déconstruire » le genre et ont dénoncé la famille patriarcale, dominée par le père comme figure d’autorité et comme pourvoyeur. Mais

14 Le « contrat de genre » correspond à l'idée selon laquelle, dans chaque contexte national, il existe un consensus socioculturel quant aux normes d'interaction entre les sexes. Cette notion a été introduite par Yvonne Hirdmann (1988) pour analyser les fondements culturels des différentes modalités de l'activité féminine en Allemagne et en Finlande.

Knibiehler (1997, p. 14) considère qu’il n’est par sûr que le « patriarcat » disparaisse avec la disparition de la famille patriarcale, « car l’Etat dit ‘providence’ se substitue au père. C’est l’Etat désormais qui étend sur les mères une protection ambivalente, elle aussi discutée, elle aussi menacée ». Ainsi, Hantrais & Letablier (1996) affirment que les systèmes de protection sociale ont été construits au XXe

siècle sur une représentation sexuée des rôles masculins et féminins, les femmes assurant la production domestique, non-rémunérée et les hommes la production économique, rémunérée (p. 75).

Les droits sociaux obtenus par les femmes dans la première partie du XXe

siècle, n’étaient pas destinés personnellement aux femmes car ils visaient à soutenir la famille ou, plus exactement, un certain modèle de famille, celle où les deux parents, mariés, assument des fonctions complémentaires : le père pourvoyeur de ressources, la mère au foyer élevant des enfants (Knibiehler, 1997, p. 30 ; Alvesson & Billing, 1997, p. 57).

L’histoire joue un rôle important dans l’explication de ces signaux contradictoires. Cette contradiction entre le but des politiques interventionnistes en faveur de la conciliation du travail et de la famille et ses résultats actuels n’est pas nouvelle.

1836 : L’ordonnance du 23 juin organise l’enseignement primaire pour les filles et en 1867 les cours secondaires publics pour jeunes filles.

Milieu du dix-neuvième siècle – apparaissent les premières crèches pour les ouvrières dans les usines

1861 : La première femme autorisée à se présenter au baccalauréat, qu’elle obtient en l’ayant préparé seule.

1892 : Le travail de nuit est interdit pour les femmes

1898 : La journée de travail dans les usines est réduite à dix heures par jour 1900 : Jeanne Chauvin devient la première avocate.

1907 : La loi du 13 juillet accorde aux femmes mariées la libre disposition de leur salaire. 1909 : La loi institue un congé de maternité de huit semaines, sans rupture de contrat de travail mais, sans traitement (en 1910, les institutrices obtiennent le maintien du traitement).

1924 : Les programmes de l’enseignement secondaire ainsi que le baccalauréat deviennent identiques pour les filles et les garçons (décret du 25 mars).

1938 : Suppression de l’incapacité civile : les femmes peuvent s’inscrire à l’université sans l’autorisation de leur mari (loi du 18 février).

1944 : Par ordonnance du 21 avril, signée par le général de Gaulle, « les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».

1945 : Le congé de maternité devient obligatoire et payé à 50%.

1946 : Le principe d’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines est désormais inscrit dans le préambule de la Constitution. L’arrêté du 30 juillet supprime la notion de "salaire féminin".

Années 1950 – développement du travail d’assistante maternelle

1965 : La loi du 13 juillet modifie le régime légal du mariage du couple se mariant sans contrat : les femmes peuvent gérer leurs biens propres et exercer une activité

professionnelle sans le consentement de leur mari.

1967 : Loi Neuwirth : la contraception est autorisée. La publicité, interdite par la loi de 1920, n’est toujours pas autorisée en dehors des revues médicales.

1970: Le congé de maternité est indemnisé à 90 % par l’Assurance maternité.

La loi relative à l’autorité parentale conjointe supprime la notion de "chef de famille" du Code civil.

1972 : L’École polytechnique devient mixte.

La loi du 22 décembre relative à l’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes entre en vigueur.

1980 : Le congé de maternité est allongé à 16 semaines ; l’interdiction de renvoyer une femme enceinte apparaît.

1983 : La loi Roudy du 13 juillet établit l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

1985 : Loi relative à l’égalité des époux dans la gestion des biens de la famille et des enfants.

1987 : Abolition de l’interdiction du travail de nuit pour les femmes.

1992 : La loi du 2 novembre définit l’abus d’autorité en matière sexuelle dans les relations de travail (le harcèlement sexuel).

2001 : Adoption de la loi Génisson sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

2002 : La loi de modernisation sociale du 17 janvier aborde dans ses articles 168 à 180, la lutte contre le harcèlement moral au travail.

2004 : Signature par le patronat et les syndicats de l’accord national interprofessionnel du 1er mars 2004, relatif à la mixité et à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. L’accord se décline en plusieurs points : réduire les inégalités salariales, faciliter l’accès à la formation professionnelle pour les femmes, faire en sorte que la maternité ou la parentalité ne freine pas les évolutions de carrière, mettre fin au déséquilibre entre les

hommes et les femmes lors des recrutements.

2006 : La loi no. 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

2008 : Révision de l’article 1er

de Constitution française qui prévoit que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».

Encadré 1. Les dates-clés de l’égalité entre les hommes et les femmes15

Note : Les mesures spécifiques concernant les mères apparaissent en italiques.

Pour des raisons démographiques, la France est un Etat très interventionniste au regard de la maternité (Knibiehler, 2001) (voir Encadré 1 pour une chronologie). Pourtant, ces politiques protégeant les femmes enceintes et les mères ont parfois l’effet pervers de façonner une image de la femme comme celle à qui revient en totalité l’obligation d’élever les enfants (Dambrin & Lambert, 2008).

L’interdiction pour les femmes du travail de nuit ainsi que celle du travail insalubre ou dangereux (1892) et la limitation du travail à dix heures (1898) auront comme résultat une plus grande ségrégation sur le marche du travail entre les hommes et les femmes au nom de la protection que l’Etat doit aux femmes (Bloss & Frickey, 2001, p. 31). De plus, le Code civil napoléonien (1804) enferme les femmes tout au long du XIXe

siècle dans un statut de mineures à vie (Bloss & Frickey, 2001, p. 31).

Aujourd’hui encore, l’Etat Français continue ces politiques ambiguës. D’un côté, les politiques concernant le temps de travail (semaine de 35 heures et le travail à temps partiel) ont facilité un traitement plus égalitaire des hommes et des femmes au travail. Mais, de l’autre côté, les politiques familiales ont encouragé la garde des enfants à la maison (Barrère-Maurisson et al., 2001).

Hantrais (1995) note que les françaises semblent être influencées par la construction sociale de l’emploi féminin et de la maternité, qui ne sont pas considérés comme incompatibles et ainsi le travail des femmes est rendu légitime par l’Etat même. D’autres chercheurs (Dambrin & Lambert, 2008 ; Alvesson & Billing, 1997) attirent l’attention sur l’ambiguïté de cette relation. Il apparaît que ce n’est pas seulement l’impact des politiques

sociales qui compte, mais aussi l’acceptabilité sociale du travail des mères. L’Allemagne est citée fréquemment parmi les pays où, en dépit de l’existence de structures pour accueillir les enfants, les mères ne travaillent pas à cause de la pression importante de leur entourage qui décourage les mères des enfants en bas âge à travailler (Crompton & Harris, 1998).

Dans ce qui suit, je présenterai les principaux dispositifs sociaux de la politique familiale de l’Etat en France : le congé de maternité, les politiques natalistes, ainsi que les structures d’accueil des enfants en bas âge.

Le congé de maternité

Le congé de maternité comprend un congé prénatal et un congé postnatal. Sa durée varie selon le nombre d'enfants attendus et selon le nombre d'enfants à charge. La durée légale du congé maternité est fixée par le Code du travail et varie entre 16 (le cas le plus courant) et 46 semaines. En fonction de la convention collective de secteur, les mères peuvent avoir des congés même plus longs. Le congé de maternité peut être prolongé par le congé parental d'éducation (de un à trois ans).

Le Code du travail et le Code de la Sécurité Sociale imposent que les femmes ne travaillent pas au moins huit semaines avant et après l’accouchement. Si une femme ne s’y conforme elle perd le droit à l’allocation. Quant à l’employeur, il peut se voir confronté à un procès pendant cette période pour avoir reçu une femme enceinte au travail16.

Une directive européenne de 1992 fixe, en effet, la durée minimale des congés de maternité dans tous les pays de l’Union à 14 semaines, mais laisse chaque Etat membre libre de déterminer une durée plus longue ainsi que la rémunération de ces congés. Dans le cadre de sa politique de lutte contre les discriminations et de promotion de l'égalité des chances, la Commission européenne a ensuite adopté, en 1996, une directive relative au congé parental, qui peut être pris aussi bien par la mère que par le père.

Par comparaison, le congé de maternité français est supérieur à celui accordé en Allemagne, en Suède (qui n’a pas de congé de maternité mais dispose d’un congé parental

16Conformément à l’article L224-1 du Code du travail, Loi no. 873-4 du 2 janvier 1973, Journal Officiel du 3 janvier 1973.

long et fractionnable) et en Belgique (15 semaines), équivalent à celui accordé aux Pays-Bas, en Espagne et au Luxembourg (16 semaines), et inférieur à celui accordé au Portugal, au Royaume-Uni, en Irlande, en Grèce, en Finlande (18 semaines réservées à la mère et 26 pour le père ou la mère) en Italie (20 semaines) ou au Danemark (28 semaines).

En Lituanie, en Roumanie : 2 ans En Estonie : 1,5 ans

Au Royaume-Uni : 52 semaines En République tchèque : 28 semaines En Hongrie : 24 semaines

En France, au Luxembourg, en Espagne, à Chypre, aux Pays-Bas et en Autriche : 16 semaines

En Belgique : 15 semaines

En Allemagne, à Malte : 14 semaines

Encadré 2. Durée du congé de maternité dans différents pays de l’Union Européenne17

La France est parmi les pays les moins généreux de l’Union Européenne18 surtout en comparaison avec les pays nouveaux entrants qui ont développé des politiques très favorables pour contrecarrer la baisse importante de la natalité.

Les congés de maternité sont payés par l’Etat dans des proportions qui varient de 66 à 100% du dernier salaire. Dans certains pays comme l’Allemagne, le congé de maternité est payé par l’entreprise.

Il y a deux autres types de congés, le congé parental d’éducation et le congé de paternité.

Le congé parental d'éducation est un dispositif instauré par la loi 84-9 du 4 janvier 198419 et inscrit dans le Code du travail. Il permet à n'importe quel salarié ayant un an d'ancienneté à son poste de suspendre son contrat de travail de la naissance de son enfant et jusqu'à ses trois ans, avec l'assurance de retrouver son emploi initial ou l'équivalent à la fin de

17 Source : http://ec.europa.eu/employment_social/missoc/db/public/compareTables.do (données 2010).

18 Une directive du Conseil de l'Union Européenne (8 mars 2010) fixe le congé de maternité minimal à quatre mois.

19 Loi portant modification du Code du travail et relative au congé parental d'éducation et au travail à mi-temps des parents d'un jeune enfant.

cette période. Le congé parental n’est pas rémunéré et a une durée initiale d'un an. Il est renouvelable deux fois et ne dépasse pas le troisième anniversaire de l'enfant. L'employeur ne peut le refuser quelle que soit la taille de l'entreprise. En Europe, le congé parental – qui pourtant peut être pris soit par les hommes, soit par les femmes – est en très grande majorité l’apanage des femmes : à 80 % en Belgique et en Suède. En France, en raison du manque de rémunération, ce pourcentage est proche des 100 %.

Le congé de paternité est de onze jours consécutifs et est payé par l'employeur dans le cadre du Code du travail.

Des mesures de politique familiale ont été développées : l’allocation parentale d’éducation (APE) qui a profité aux mères de trois puis de deux enfants et, plus récemment, la Prestation d'Accueil Jeune Enfant (Paje) créée pour inciter les familles à faire un troisième enfant. Par ailleurs, des politiques de conciliation entre la vie professionnelle et la vie familiale ont été mises en place sous l’impulsion des pouvoirs publics et d’acteurs intermédiaires comme les collectivités locales, notamment les communes ou les entreprises. Ces dernières en font d’ailleurs un argument pour attirer et garder leurs employés.

Les structures accueillant les enfants de moins de six ans

Aujourd’hui, la politique familiale est assez favorable en France. L’Etat met en place des politiques permettant aux femmes de maintenir leur activité professionnelle : des congés de maternité payés, des aides dès le premier enfant, par exemple pour l'emploi d'une assistante maternelle et des structures pour accueillir l’enfant dès l'âge de trois mois (halte garderie et crèches parentales). Cela contribue à ancrer l'idée que les femmes peuvent travailler tout en ayant des enfants en bas âge. Après trois ans, la quasi-totalité des enfants sont scolarisés dans des écoles préélémentaires.

Avant ses trois ans, l’accueil de l’enfant est en général assuré par un intervenant unique (qu'il s'agisse de la mère ou de professionnels) qui garde l'enfant pendant la semaine. Lorsque les deux parents travaillent à temps complet, 62 % des enfants de moins de trois ans sont pris en charge par un mode d'accueil payant. Pour cela, 28 % des enfants sont gardés principalement par leurs parents. La flexibilisation du temps de travail – en particulier le développement des horaires décalés – explique aussi cette pratique.

La proportion des parents qui recourent à un mode d'accueil payant augmente nettement en fonction des ressources des familles. Plus leur niveau de vie augmente, plus ils sont nombreux à confier leurs enfants à un assistant maternel agréé (CAF, 2005).

Sur l'ensemble du territoire (France métropolitaine), on compte en moyenne 42 places d’accueil pour 100 enfants de moins de trois ans. Les deux tiers de l’offre sont assurés par les assistants maternels. Les disparités géographiques peuvent être importantes, le potentiel d’accueil pouvant varier de 15 à 77 places pour 100 enfants selon les départements, il est ainsi très insuffisant en comparaison avec les besoins (CAF, 2005). Le manque de structures accueillant les enfants de moins de trois ans explique partiellement pourquoi, en France, le taux d’activité des mères qui ont des enfants de plus de trois ans est beaucoup plus élevé que celui des mères avec des enfants de moins de trois ans (Colin et al., 2005).

Après ses trois ans, l'accueil de l’enfant est assuré conjointement par l'école et par d'autres intervenants. Plus de 2,6 millions d'enfants fréquentaient l'enseignement préélémentaire en 2005-2006. Globalement, les enfants de trois à cinq ans sont tous scolarisés. Les effectifs de l'enseignement préélémentaire ont pratiquement doublé entre les années soixante et le milieu des années quatre-vingt. Cela provient de la progression de la scolarisation des enfants de trois ans et, dans une moindre mesure, de celle des enfants de deux ans.

Les écoles maternelles sont gratuites20 et ouvertes entre huit et dix heures par jour (dans la plupart des pays européens elles sont ouvertes seulement quatre heures par jour). 89% des enfants âgés de trois à quatre ans et 99% des enfants de quatre à cinq ans vont à l’école maternelle (Chastenet, 2005).

De nouveau, la situation en France est contradictoire : même si le retour des femmes avec des enfants en bas âge au travail est totalement accepté par la société, les femmes sont souvent confrontées à un manque de structures d’accueil pour les enfants de moins de trois ans.

Cette analyse du contexte montre qu’il y a des problèmes et des contradictions dans les politiques de l’Etat concernant la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. Ainsi, la France se caractérise par la présence du modèle intermédiaire de

20 En 2004, le coût pour un élève de maternelle d’établissement public et privé s’élevait à 4 396 euros, dont seulement 247 euros était la partie financée par les ménages (CAF, 2005).

« l'homme, pourvoyeur principal des ressources ». Les politiques françaises concernant le travail des mères sont assez contradictoires. Ainsi, d’un côté, il existe des mesures d'incitation au retrait du marché de l'emploi des mères d'enfants âgés de moins de trois ans. Mais, de l’autre côté, la provision collective en matière de prise en charge des enfants en bas âge est parmi la meilleure en Europe (surtout pour la tranche d’âge de trois à six ans) (Le Feuvre, 2009).

Les politiques publiques ont certainement une influence importante sur l’emploi des femmes, mais cette relation n’est pas directe. D’autres facteurs, comme par exemple les facteurs organisationnels, se montrent critiques pour la place des femmes dans les professions. Par exemple les initiatives prises en France par des cabinets comme Deloitte, PricewaterhouseCoopers ou Grant Thornton : conciergerie d'entreprise (services à domicile : ménage, repassage, pressing, traiteur, etc.), service SOS garde d’enfants, facilité d'accès au temps partiel choisi et mise en place de politiques pour promouvoir la carrière des femmes. Ces initiatives montrent que les organisations ont compris que pour garder les femmes il faut prendre en compte leur statut de mères. Pourtant, il est légitime de se demander si le vrai enjeu des cabinets est l’évolution de leur business model ou seulement une mise à distance du problème (Dambrin & Lambert, 2008).