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Chapitre III : Une approche réflexive et sociologiquement ancrée

2.2 Préparation et réalisation du terrain

2.2.3 Le déroulement des entretiens

Les entretiens se sont déroulés sur une période d’environ un an et demi, de novembre 2007 à juillet 2009. Ils ont eu une durée variable, entre trois quarts d’heure et deux heures.

Les entretiens se sont déroulés généralement dans un cadre formel et ont été tous enregistrés. Quelques entretiens se sont déroulés dans un cadre plus informel, par exemple dans un bar, au cours d’un déjeuner ou chez la personne interviewée. La retranscription a alors été d’autant plus difficile qu’il s’agissait d’entretiens qui ont eu lieu dans des lieux publics avec beaucoup de bruits de fond, beaucoup de mouvements et forcément des interruptions.

Important au regard de la qualité et de la finesse de la restitution, et donc de la preuve, l’enregistrement soulève néanmoins des interrogations sur d’éventuels risques d’inhibition chez les interlocuteurs. Ce risque est d’autant plus présent que les répondants étaient jeunes et leurs témoignages sensibles. À cet égard, il n’a été formulé que de rares réticences avant les entretiens. Quelques interlocuteurs ont voulu être rassurés concernant la confidentialité des témoignages et la manière dont j’allais les utiliser.

L’arrêt de l’enregistrement a parfois provoqué une relance de la discussion. Dans ce cas, j’ai redémarré le dictaphone. Quand cela n’a pas été possible, j’ai procédé tout de suite après les entretiens à une retranscription de la discussion.

Les guides d’entretien

Les entretiens réalisés ont été construits afin de laisser les interlocuteurs s’exprimer le plus librement possible. Le guide d’entretien a été construit de manière ouverte et avec comme principaux buts de relancer, si nécessaire, la discussion et de m’assurer que je n’oublie d’aborder une question qui m’intéressait. Il a constamment progressé pour se construire d’une manière itérative par l’inclusion des thèmes issus des entretiens précédents et au fur et à mesure de l’approfondissement de l’objet de recherche.

La question « comment et pourquoi avez-vous choisi la profession comptable ? » m’a paru une bonne question pour servir de préambule. C’était une question qui avait le rôle de mettre l’interviewé(e) à l’aise, une question simple qui nécessitait un retour mental à ses débuts comme comptable pour remonter ensuite vers le présent avec la question sur le parcours professionnel.

Les autres thèmes ont été par ailleurs adaptés selon les interlocuteurs, leur nombre d’années d’expérience, le type du cabinet, etc.

Le guide d’entretien du début est plus structuré autour des thèmes centraux de la recherche :

- choix de la profession,

- parcours professionnel,

- socialisation,

- méthodes utilisés pour concilier la vie professionnelle et la vie familiale,

- le travail en tant qu’expert-comptable,

- contradictions entre vie familiale et profession,

- les femmes et la profession comptable,

- réflexions sur le futur

Pour voir le premier guide d’entretien, se référer à l’Annexe 3, encadré 3.

Ce guide d’entretien a évolué en parallèle avec l’affinement de la problématique pour inclure des questions liées aux attentes des femmes en tant que professionnelles et/ou mères, les réactions de l’entourage par rapport à l’accomplissement de leur rôle de mère

et de professionnelle. Pour voir le deuxième guide d’entretien se référer à l’Annexe 3, encadré 4.

Les conditions sous-jacentes au déroulement des entretiens

Après une première phase difficile qui a marqué ma première rencontre en tant que chercheur avec le terrain, j’ai commencé à me sentir plus confiante et moins stressée par le fait que je pouvais faire des erreurs en parlant. Pourtant, cette peur a fait que j’ai adopté une position discrète qui s’est avérée porteuse pour obtenir des témoignages riches avec beaucoup d’aperçus sur des éléments assez intimes de la vie des personnes interviewées. J’étais l’étranger parfait au sens propre et non pas seulement au sens figuré dont parle Kaufmann (2008) :

Pour l’informateur, l’enquêteur idéal est un personnage étonnant. Il doit être un étranger, un anonyme, à qui on peut tout dire puisqu’on ne le reverra plus, qu’il n’existe pas en tant que personne jouant un rôle dans son réseau de relations (p. 53).

En tant que chercheuse j’ai été amenée à poser des questions afin de comprendre mes interlocuteurs et d’obtenir leurs témoignages : « comment avez-vous réussi à faire cela? », ou « comment êtes-vous venue à occuper ce poste ? ». Mais les questions ont également été retournées contre moi plusieurs fois. Parfois, des questions plus ou moins rhétoriques m’avaient été adressées pendant l’entretien : « et vous ? », « êtes-vous mariée ? », « je ne sais pas si vous avez des enfants… ». Parfois, en présentant que la personne en face de moi ayant observé mon accent se demande d’où je suis, je disais : « je suis roumaine. Je suis venue en France en 2006 pour faire un doctorat en sciences de gestion ». Une fois, je suis restée après l’entretien pendant des heures avec la personne que je venais d’interviewer pour répondre à ses questions sur mon passé en Roumanie. L’interrogatrice était devenue l’interrogée. Ce qui fait possible ce genre de relation est un remplacement de la méthode de recherche traditionnelle dans laquelle le chercheur dépersonnalise les sujets de la recherche et renforce le pouvoir détenu par le chercheur (Haynes, 2008) par une relation plus égalitaire. Ce qui fait que non seulement l’interviewé est exposé aux questions et à la demande de rendre compte, mais aussi le chercheur.

D’une manière générale, j’ai évité de prendre des notes pendant les entretiens car cela aurait empêché, à mon avis, la spontanéité de la communication. Le contact visuel a

joué un rôle très important, et j’ai été amenée à ressentir une réelle empathie pour la personne que j’interviewais. D’ailleurs, pendant presque tous les entretiens j’ai senti comment les yeux de mon interlocuteur cherchaient mes yeux, mon approbation et souvent une sorte de complicité s’est instaurée entre nous. Ce genre de communication, plus que la communication par le langage, a favorisé une atmosphère détendue, propice aux confessions.

Quelquefois, à la fin des entretiens, il y a eu des femmes qui m’ont fait la remarque qu’on n’a pas souvent des occasions de se raconter comme cela et que cela fait du bien. Le sentiment était celui d’une légèreté presque palpable.

Je pense avoir su être une bonne auditrice, un talent que je me suis découverte durant mon enfance en écoutant les histoires de vie de la jeunesse de ma grand-mère. Ces entretiens m’ont appris la patience et la nécessité de se mettre à la disposition de la personne interviewée, de s’exposer en quelque sorte aussi à ses questions. La relation avec l’autre doit être une relation basée sur l’empathie, une relation non abusive dans le but d’avoir un impact sur la vie des femmes (Haynes, 2008), mais de se laisser aussi toucher par les personnes rencontrées.