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LES MODÈLES SPÉCIFIQUES 1 Complexité et spécificité

Bernard HOSTEIN

3. LES MODÈLES SPÉCIFIQUES 1 Complexité et spécificité

Le système technique, par opposition, est un être-en-relations ; d'abord in- ternes, car la justification de chacun de ses éléments passe par ses compati- bilités (mécaniques, chimiques, procédurales, économiques,...) avec les au- tres parties ; ensuite externes, car d' autres composantes viennent déterminer le produit(le marché, la main-d'oeuvre, l'entreprise, etc.). Pour reprendre l'étiquette de ROQUEPLO15, il convient d'analyser les phénomènes techni-

ques comme éléments d'une techno-nature, dont les lois sont aussi univer- selles et contraignantes que celles de la nature, mais dont le principe organi-

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sateur est celui de finalité et non de causalité, et qui ne permet plus de fonc- tionner sur l'opposition culturelle millénaire de notre société occidentale entre théorie et pratique.

C'est au nom de la pluralité des composantes désormais présentes dans cha- que système technique, que les textes d'orientation et de définition des pro- grammes de l'enseignement en Lycées techniques se rattachent explicite- ment à une approche-système. C'est la nécessité d'une intercommunication de plus en plus complexe qui avait conduit déjà les entreprises à s'y référer. Le "système technicien" n'est donc pas totalitaire, sinon par confusion entre sa valeur spécifique d'inventivité et de créativité, et "les sens de la techni- que"16 qui ne sont absolument rien de technique, selon la formule célèbre,

parce que l'on y retrouve, comme le montre SCARDIGLI, toutes les ambi- guïtés des rapports entre l'homme et son environnement quel qu'il soit.

Dès lors, c'est avec les axes spécifiques des activités techniques actuelles que les modèles utilisés dans les disciplines technologiques doivent se met- tre en cohérence optimale. D. IDHE 10 caractérise les divers paradigmes qui

ont présidé à la description des rapports entre savoirs et techniques. Après l'idéalisme, le dualisme et le matérialisme qui ont voulu établir des féodali- tés ou des ruptures totales, le "systémisme" permet de situer et d'expliquer les interactions entre l'homme et l'environnement, celui-ci étant fait des rap- ports entre milieu naturel et techniques.

Toutes ces approches manifestent la vertu spécifique des apprentissages techniques : elle résulte du renversement des rapports théorie-pratique, cau- salité-finalité, discours-action, tels que les font vivre les autres disciplines scolaires. Sollicitant il est vrai G. VERGNAUD, on pourrait avancer que les techniques apparaissent alors comme des "théorèmes en acte", une entité matérielle unifiant logique(analyse fonctionnelle), technologie (compromis structurels), science (calcul, matériaux, indépendance des variables) et culture (les techniques conditionnent, modifient, développent, organisent la vie sociale)7. Ces considérations peuvent paraître bien éloignées de notre

propos. Hors le fait qu'elles appliquent leurs théorisations sur des exemples très proches de ce que les programmes proposent aujourd'hui, elles me pa- raissent indispensables pour faire éclater les carcans présents dans lesquels enferme la prégnance des modèles utilisés, empruntés aux autres disciplines scolaires ou bien à une représentation très vieillie de la technologie. Elles expliquent aussi les malaises qui peuvent naître chez certains enseignants entre leurs expériences industrielles et scolaires actuelles, les orientations pédagogiques nouvelles et les habitudes ou les instruments d'enseignement disponibles.

3.2. Variété et complémentarité

"Le modèle n'est rien d'autre que sa fonction; et sa fonction est une fonction de délégation"1. Cette assertion de S. BACHELARD nous rappelle la néces-

rence, de recenser les délégations confiées spécifiquement à des modèles technologiques. À défaut d'être totalitaire, la technique est globalisante. Dans une logique systémique, chaque modèle ne peut rendre compte que d'un point de vue particulier. Le domaine des techniques comprend une telle variété, les acteurs intervenant au cours du cycle de vie pullulent en si grand nombre, les étapes de vie et les interactions de tous ces facteurs s'imbri- quent tellement les uns dans les autres, que la première nécessité consiste à repérer les divers modèles, utilisés pour rendre compte du meilleur point de vue à un instant donné, dans une typologie qui permettra à l'élève d'inter- préter la position relative de ceux-ci, rencontrés à propos d'un système. Cette complexité des points de vue légitime certes la référence systémique, mais celle-ci se justifie plus encore à partir de l'indissociabilité des dimen- sions théoriques (versant "technologique") et pratiques (versant "techni- que") d'un système technique et de leur justification par les seules finalités intrinsèques et les projets humains (versant "professionnel") auxquels il ré- pond. Aucun de ces versants à lui seul ne peut justifier ni expliquer un sys- tème technique, même si l'accent porte davantage à un moment ou à un au- tre sur l'un ou l'autre ; il faut donc que les modèles utilisés soient repérés sur le versant concerné, et complété même sommairement, par d'autres modèles esquissant la totalité seule porteuse du sens global. Beaucoup de difficultés dans les passages de "passerelles" entre les diverses filières des formations techniques, et dans les transitions, y compris des ingénieurs, vers la vie ac- tive, viennent de l'exclusivité qu'un enseignement technologique donné se réserve sur un seul de ces versants, sans même faire soupçonner l'existence des autres.

Un autre danger, souvent conjoint du précédent, vient de l'usage exclusif ou survalorisé d'un type de modèles. Une typologie des multiples outils de mo- délisation en usage dans les diverses formations technologiques du 2d cycle du Second Degré8 permet de repérer, selon leur fonction basique et leur ni-

veau d'abstraction, plusieurs catégories d'outils de modélisation. Il semble bien 2,17 que chacun ait ses fonctions et registres proprement adaptés à cer-

taines finalités de tel ou tel modèle, et que son adaptation aux tâches de modélisation des élèves y soit plus ou moins corrélée. Dans cette typologie, le modèle technologique se rapproche de l'un des trois pôles8 : figuratif(Cf.

dessins, organigrammes,...), et alors il s'oppose à d'autres modèles opéra- tifs(Cf. GRAFCET, algorithmes,...) ; construit (Cf. schéma cinématique,...), opposé à empirique (Cf. schéma éclaté) ; formel (Cf. mathématisation). Une vision importée des domaines scientifiques dans leurs âges les plus ca- noniques tend à privilégier, parfois exclusivement, les modèles les plus formels, au point que modéliser signifie, pour des étudiants de technologie, mathématiser. Nullement habitués aux méthodes de la "renormalisation", par laquelle les chercheurs de sciences expérimentales corrigent une loi mathématique par des approximations successives, les étudiants donnent alors au modèle un statut de théorie, réduisant l'activité de modélisation à un exercice de mathématiques. L'abstraction du modèle devient alors, plus

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gravement encore que dans les analyses de PIAGET portant sur d'autres champs, "une tromperie, déviation de l'esprit, ne couronnant pas une suite ininterrompue d'actions".

3.3. Exemple d'articulation

La nécessité d'emprunter des modèles situés à divers niveaux d'abstraction, et en positions différentes par rapport aux référents empiriques et aux autres modèles, a été manifestée par les travaux de BOYE & CUNY5. En électri-

cité, le schéma explicatif dit développé est un outil qui permet divers usages correspondant à diverses modélisations. Simple substitut du référent dans une première étape, il remplit dans un second temps une "fonction de com- plétion", et acquiert alors une valeur d'autonomie aussi bien par rapport au référent, qu'au regard de l'activité de l'apprenant. La chasse à l'implicite, assurée par le schéma électrique d'autre part, fait de celui-ci un outil d'ex- plicitation de ce que les auteurs appellent la "formalisation sémiologique", et que l'on peut certainement interpréter comme une activité de modélisa- tion observable sous la forme des schématisations produites. Les situations décrites, d'apprentissage et d'évaluation, ont pour effet de distancier les ap- prenants par rapport aux connaissances déclaratives mises en mémoire du- rant les séances de technologie d'une part, et durant les activités de schéma- tisation d'autre part ; ce qui conduit les élèves à plus de création et d'activi- tés procédurales dans chacun des deux types de travaux, la mise en corres- pondance favorisant particulièrement les activités de modélisations.

4. APPRENDRE À MODÉLISER