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a) Des dispositifs d’accompagnement aux stratégies hétérogènes

Malgré les difficultés relevées, la pluriactivité existe depuis longtemps et dans tous les secteurs d’activités, et elle n’est pas absente des dispositifs d’accompagnement67. La problématique de la création d’activités éloignée des cadres classiques est principalement du ressort des structures associatives (Revol, et al., 2009). Les institutions ont en effet tendance à déléguer la prise en compte des projets complexes aux associations dont les démarches plus souples et reposant sur l’élaboration d’un projet plutôt que sur l’inscription dans un statut, favorisent l’innovation. Dans ces structures, l’autonomie (relative) des acteurs, principe de base de l’accompagnement, et la délégation par les institutions des modalités pratiques de l’accompagnement, ouvrent des marges de manœuvre. Certaines pratiques d’accompagnement peuvent ainsi être originales et innovantes, mais sont peu reproductibles (Giuliani, 2008).

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Constatons que les projets pluriactifs se retrouvent en faible nombre dans les dispositifs d’accompagnement classiques de la création d’activité, ce qui justifie en retour le faible investissement de ces structures dans la recherche d’un accompagnement spécifique. L’existence de porteur de projets qui ne trouvent pas aujourd’hui l’accompagnement qu’ils espèrent est avérée, et leur nombre croissant dans la part des installations agricoles justifie de s’y arrêter (Aubrée et Maréchal, 2008). La mise en place d’un dispositif d’accompagnement spécifique à la pluriactivité se heurte d'abord au manque d’éléments de compréhension du phénomène.

Si peu de dispositifs d’accompagnement du projet pluriactif existent en tant que tels, on peut toutefois constater une réelle évolution de la prise en compte du projet pluriactif dans les formes de soutien public à la création d’activité (Mundler, et al., 2004). Dans le secteur agricole, la discrimination dont la pluriactivité faisait l’objet tend à s’estomper. L’étude sur l’accompagnent des agriculteurs menée dans le PSDR « Territoires, acteurs et agriculteurs en Rhône-Alpes » montre que depuis 1992 l’accès au conseil et à l’appui technique se fait de plus en plus en référence à l’activité ou à la taille de l’exploitation, plutôt qu’au statut proprement dit. Les possibilités d’accompagnement sont plus ouvertes à l’heure actuelle et tendent à être de plus en plus liées aux politiques locales. L’accompagnement proposé devient de plus en plus hétérogène, variant d’un territoire à l’autre, d’un dispositif à l’autre voire d’un accompagnateur à l’autre. Les postures des accompagnateurs ou de l’institution qui auront pour mission d’accompagner la mise en place d’une activité pluriactive peuvent être fondamentalement différentes et relever de visions totalement divergentes de la pluriactivité.

Dans la région Rhône-Alpes, quatre stratégies principales appliquées à la pluriactivité dans les structures de conseil et d’accompagnement ont pu être relevées (Laurent, et al., 2006). La première consiste à pérenniser les situations de pluriactivité en adaptant les conditions de vie et de travail des personnes concernées (par exemple par la réhabilitation de logements pour les travailleurs saisonniers, par la mise en place de formations adaptées, par des assouplissements ciblés de la réglementation…).

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Tout l’accompagnement nécessaire à la mise en place d’une activité ne passe pas par le dispositif d’accompagnement, de nombreuses études montrent l’importance du réseau du créateur pour assurer

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La seconde considère la pluriactivité comme une situation transitoire. L’enjeu est d’encourager, voire d’accompagner un retour à la monoactivité quel que soit le statut final envisagé. Un recours temporaire à la pluriactivité permet l’installation progressive agricole en assurant un revenu au ménage le temps de la montée en puissance de l’exploitation, ou permet au contraire une sortie progressive de l’activité indépendante vers le salariat.

La troisième consiste à construire une situation administrative de monoactivité qui permette aux pluriactifs de bénéficier des droits liés à un statut social (salariat dans le cas de groupements d’employeurs, de coopératives d’activité, de portage salarial ou indépendance ; reconnaissance d’activités liées à l’exploitation - agrotourisme, artisanat, etc.- et rattachées au statut d’activité agricole).

La dernière consiste à travailler à la mise en place d’un statut de l’activité qui confère des droits et une protection sociale dans la durée et qui permette une reconnaissance sociale de la polyvalence et de la mobilité professionnelle des individus.

Ces différentes stratégies sont la marque de conceptions de l’activité pluriactive parfois diamétralement opposées, qui n’ont pour point commun que la prise en charge d’un même phénomène, une activité professionnelle basée sur la pratique de plusieurs activités. Il est ainsi difficile de repérer au sein de ces pratiques des éléments généralisables qui pourraient servir de base à la construction de dispositifs d’appui et de soutien à la pluriactivité. La singularité des situations rencontrées, la référence à un projet de vie, les difficultés de combiner les statuts sont autant de situations non reproductibles et qui nécessitent une attention spécifique de la part du conseiller ou de l’accompagnateur. C’est donc bien à l’intérieur de l’accompagnement que doit s’opérer cette prise en main de la complexité. L’accompagnement est un outil au service de l’émergence du projet. Il prend en compte l’incertitude, et partant de là nous faisons l’hypothèse que les projets « incertains » peuvent y trouver une écoute et les formes de soutien dont ils ont besoin.

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b) L’influence grandissante des territoires

Le territoire est un élément fondamental du développement de la pluriactivité, la pluriactivité étant à la fois structurelle de l’activité des territoires ruraux, dans la mesure où depuis des siècles elle a permis aux populations d’optimiser au mieux l’ensemble des ressources de leur territoire, mais aussi conjoncturelle. Les territoires sont en effet aujourd’hui largement inclus dans leurs périphéries et dans la société englobante et ne peuvent y faire abstraction ; à l’âge des mobilités physiques (la voiture et le développement des infrastructures routières continuant à désenclaver les territoires excentrés) et virtuelles (Internet et téléphonie mobile), la pluriactivité tire parti des diverses échelles territoriales ainsi encastrées et des logiques réticulaires qui induisent de nouvelles approches de l’activité (innovations en particulier). Le pluriactif comme le territoire sont face à de nouvelles opportunités. L’économie résidentielle, la capacité d’innovation apportée par les pluriactifs, l’image du territoire qui, par le vecteur d’un produit, peut faire le tour du monde de manière totalement aléatoire, sont autant d’ingrédients de la transformation économique des territoires. Connaître et maîtriser les ressources territoriales apparaît donc comme un enjeu majeur des démarches de soutien aux porteurs de projets pluriactifs. En amont de l’accompagnement, se pose donc la question de savoir comment est pensée l’organisation territoriale du large dispositif de soutien dont peuvent bénéficier les pluriactifs (de l’aide sociale à l’accompagnement ou au conseil technique…), et des espaces possibles d’interaction des pluriactifs, acteurs mettant en jeu des pratiques territoriales singulières, par leurs mobilités, leurs réseaux imbriqués ou non, et la relation au paysage et à l’espace partie prenante du projet chez de nombreux néo-ruraux. L’impulsion donnée dans ce sens par une collectivité fédérant un réseau d’appui territorial68 peut permettre de construire un diagnostic fin de l’activité et des acteurs sur un territoire donné, à condition d’intégrer les porteurs de projet eux-mêmes, en particulier les pluriactifs. En d’autres termes, le dispositif doit intégrer l’hétérogénéité des demandes qui émanent de la diversité des porteurs de projet d’un territoire. Cette dimension territoriale est très importante dans le projet de recherche Terriam « Territoires et initiatives par l’agriculture multifonctionnelle », mené de 2004 à 2007 par la

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Le projet « sites de proximités » de la région Rhône-Alpes est un bon exemple de démarche en direction des porteurs de projet, qui met en avant le territoire, la proximité et les compétences. Ces sites essayent de regrouper l’ensemble des structures d’appui à l’emploi et à la création d’activité sur des territoires isolés de la région Rhône-Alpes.

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Fédération régionale des Civam de Bretagne et un collectif de chercheurs. Le projet portait sur l’accompagnement des porteurs de projets « agri-ruraux innovants ». Ces « agri-ruraux innovants » alimentent la catégorie large des créateurs d’activité qu’on ne sait pas trop classer, appelés couramment « atypiques ». Le terme renvoie à des conceptions de systèmes d’activités agricoles originaux, sans références connues (en particulier technico-économiques), faisant évoluer des pratiques ou repensant entièrement les modalités de conception et de conduite d’une activité agricole. Projets « à la marge », innovants ou encore « hors norme », ils sont très souvent pluriactifs. Ces projets sont en progression dans les espaces ruraux, et leur caractère polyvalent et plurisectoriel oblige les professionnels à intervenir dans des contextes d’actions différents de ceux dont ils avaient l’habitude. Dire d’un projet qu’il est « atypique », c’est dire qu’il ne peut être vraiment compris que dans son propre contexte, et accompagner de tels projets renvoie pour une large part à « l’intelligence de la situation » (Couix et Girard, 2006), conduisant à croiser différents types d’enjeux au sein des territoires ruraux. Dans le programme Terriam, l’analyse des logiques des structures d’accompagnement a permis de matérialiser deux axes, déterminés le premier par la sensibilité aux enjeux territoriaux et le second par le focus du dispositif sur la technique ou sur la personne (figure 16 ci-dessous). Les auteurs observent que certains dispositifs sont assez largement indépendants des enjeux locaux. Ils ont pour objectif l’acquisition de compétences permettant de maîtriser au mieux un système d’exploitation relativement « normé ». Au contraire, d’autres s’appuient sur les caractéristiques locales de l’activité agricole. Sur l’axe de la maîtrise de la technicité versus l’ouverture du champ des motivations, nous pouvons remarquer que dans les projets « simples » (une seule activité) l’accompagnement est centré sur l’acquisition de connaissances et de pratiques pour la conduite de la production. Les projets « complexes » exigent quant à eux une attention plus soutenue à l’imbrication des activités, au projet personnel et familial, à la gestion du temps de travail ou aux compétences relationnelles (TERRIAM, 2007). Ces deux axes délimitent quatre secteurs, dans lesquels l’accompagnement préconisé pour les projets agri-ruraux est clairement positionné entre territoire et attentes individuelles ou motivations axiologiques des accompagnés.

135 Attentes personnelles (motivations) Pratiques standardisées (conduite d’une exploitation selon des normes) Enjeux territoriaux

Maîtrise des techniques Échanges et accompagnement au sein de groupes Conseil standard de filière de type technico-commercial

Conseil centré sur des produits ou des services spécifiques accompagnement basé sur l’intégration de l’environnement territorial impliquant le

décloisonnement des secteurs

Perspectives d’accompagnement des projets agri-ruraux innovants du programme Terriam

TERRIAM

Figure 16: Positionnement des projets agri-ruraux du programme Terriam dans les postures d’accompagnement relevées en Bretagne (TERRIAM, 2007)

Cet accompagnement bien distinct d’un accompagnement plus classique et plus instrumental, est basé sur l’intégration de l’environnement territorial, qui implique une démarche de décloisonnement des secteurs.

c) Des logiques imbriquées et complexes

Nous voyons ainsi que les logiques d’accompagnement à la pluriactivité sont complexes. Elles découlent d’un agencement de facteurs très divers, parfois difficile à repérer tant leurs interactions peuvent les rendre ambivalentes. Nous avons tenté de synthétiser dans le tableau suivant (tableau 4) les divers éléments qui constituent ces logiques, éléments repérés dans la littérature sur l’accompagnement à la pluriactivité :

136 Composantes des logiques d’accompagnement à la pluriactivité

Les stratégies :

(Laurent, et al., 2006)

Pérenniser les situations de pluriactivité

Considérer la pluriactivité comme une situation transitoire

Reconstituer une situation administrative de monoactivité

Œuvrer pour l’élaboration d’un statut de l’activité »

Les trajectoires :

(Celavar, 2009; Boudy, 2009; Chaxel, 2010 ; Cré-entreprendre, 1998 ; Avenir Nord-Pas de Calais, 2007)

Parcours non linéaire, bonds, boucles. Importance de la diversité et de la possibilité des rencontres. Chaque projet est particulier, c’est le dispositif qui s’adapte. Intégration de la complexité

Parcours linéaire, balisé en étapes conduisant à une « insertion ». Tous les projets entrent dans ce parcours. Améliorer l’information et l’influence des institutions pour atteindre les créateurs les plus atypiques.

Les postures :

(Loloum, 2008; Bernardini, 2009)

Posture diffusionniste (conseil/expertise) / savoir expert

Animation de réseau / savoir social et savoir appliqué

Accompagnement co-actif / savoir méthodologique et psycho-social / constructivisme

Les valeurs:

(Joyeau, 2008 ; Loloum, 2008 ; Avenir Nord-Pas de Calais, 2007)

Importance de déterminer les systèmes de valeur et de justification des porteurs de projet et des structures d’accompagnement (mondes de Boltanski et Thevenot) »

Importance de prendre en compte l’épanouissement de la personne dans le projet

Indépendance apportée par le projet

Les enjeux :

(Aubrée et Maréchal, 2008 ; Loloum, 2008; Laurent et al.2006; Pombo, 2008 ; Ubiergo, 2003)

Traitement des crises sectorielles

Développement territorial

Lutte contre la flexibilité et la dérégulation du travail versus reconnaissance de nouvelles formes d’emploi

Maintien du métier d’agriculteur versus affaiblissement du statut par son ouverture

La reconnaissance:

(Laurent et Al, 2006, Bernardini, 2009, Mundler et Al., 2004 ; Avenir Nord-Pas de Calais, 2007)

Reconnaissance affichée ou non affichée

Divergences dans l’affichage et la pratique

L’émergence du dispositif :

(Celavar, 2009; Bernardini et Perez, 2009)

Bottom up ou top down

Tableau 4: Les composantes des logiques d’accompagnement à la pluriactivité, Tallon H, 2010

Les logiques d’accompagnement qui découlent du croisement de ces éléments sont composites et il serait réducteur de n’affecter qu’une seule logique à un organisme, mais nous voyons cependant assez clairement comment se décline, dans ces éléments juxtaposés, la place de l’individu, du projet, du territoire ou du secteur d’activité. De là découleront des postures et des politiques, qui, elles, donneront une ligne directrice marquée à l’accompagnement proposé.

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