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a) Une « nébuleuse », ou de larges registres de pratiques

Aujourd’hui, l’appui à la création d’activité est formé d’un ensemble de structures de différentes natures (collectivités territoriales, associations, chambres consulaires…), aux objectifs divers, convergents ou non. L’accompagnement et son dispositif se caractérisent par de nombreuses pratiques co-existantes, plus ou moins liées, se côtoyant et formant une « hétérogénéité articulée » (Paul, 2004). Cet ensemble de structures forment une « nébuleuse » de l’accompagnement, dans laquelle on retrouvera des structures ayant des démarches et des pratiques différentes, adaptées aux besoins des projets des individus. Cette idée d’accompagnement intègre à la fois du conseil, du tutorat, du parrainage, de la formation, de l’orientation et de l’information, ou de manière plus transversale du compagnonnage sous ses formes les plus diverses. Ce foisonnement de termes n’est pas neutre : « Tout domaine de savoir et d’activités est caractérisé par un ensemble de termes et d’expressions qui lui sont nécessaires et spécifiques. Aussi n’est-il pas anodin, au moment où l’accompagnement émerge en France comme pratique professionnelle (années 1990), d’observer un retour conséquent d’anglicismes (counselling, coaching, sponsoring, mentoring) qui, sans être des néologismes, sont utilisés avec des contenus renouvelés et contribuent notamment à la différenciation entre pratiques spontanées, bénévoles, et pratiques professionnelles. Ces anglicismes côtoient une multitude d’autres termes (tutorat, conseil, parrainage…) tandis que le mot accompagnement, malgré ou grâce à son imprécision, opère un consensus et se trouve adopté par des secteurs d’activités aussi divers que le tourisme ou les sports, le domaine éducatif, médical ou celui de l’insertion, le terme ne trouvant à se déterminer que par son champ d’intervention. » (Paul, 2003) p. 14.

C’est l’ensemble de ces pratiques, bien que différenciées, qui composent la nébuleuse de l’accompagnementle (figure 15 ci-dessous), et que l’on retoruve en partie dans le dispositif d’accompagnement.

123 Councelling Orientation guidance Développement adaptation Maturation Actualisation Construction identitaire Médiation sociale Différents Litiges Résolution de problème Sens, interprétation, appropriation Vision techniciste, normative

Action concrète, dans les faits Action réflexive

SECTEUR 1

Orientation (selon des valeurs)

SECTEUR 2

Litige (résolution de problèmes)

SECTEUR 3

Insertion (questionnement sur la place de l’individu) SECTEUR 4 Performance (optimisation de l’action) socialisation autonomisation Parrainage Insertion conformité Adaptation soutien Coaching Efficacité Réussite personnelle Performance Excellence Optimisation Rendement contrôle Conseil Délibération Ouverture des choix Décision Projet orientation Médiation éducative Éducation humanisation Apprentissage remédiation Mentorat Orientation projet Actualisation de soi Guidance Transmission filiation Tutorat Production Conformité Adaptation Insertion Formation Encadrement apprentissage Compagnonnage Transmission Filiation formation Apprentissage humanisation

Figure 15 : Nébuleuse de l'accompagnement, Tallon H. 2010, d’après Paul, 2004

Les grandes familles de pratiques définies par Maela Paul ont chacunes leurs caractéristiques propres. Elles sont reliées par leur rapport à la relation, à la transition, à l’action et à l’expérience. Nous pouvons lire ce « glissement continu » des pratiques de l’accompagnement selon deux axes, matérialisés sur la figure 15 :

- l’axe 1, où les pratiques de l’accompagnement peuvent se concentrer tant sur l’action à proprement parler que sur des activités réflexives : la réflexion sur le projet de vie des individus, le projet sociétal ou les valeurs défendues par exemple ;

- l’axe 2, où les pratiques de l’accompagnement peuvent se décliner entre deux pôles, du plus techniciste (l’expertise par exemple) au plus interactif et subjectif (autoformation ou médiation éducative par exemple).

On peut ainsi distinguer quatre registres de pratiques de l’accompagnement qui conditionnent les démarches des accompagnateurs :

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- un registre d’« orientation », qui consiste à orienter le développement du projet par le dialogue et la co-construction en fonction de valeurs ;

- un registre d’« insertion », dans lequel le sens personnel et le sens professionnel du projet sont liés par la formation, l’implication, le parrainage ;

- un registre de « litige64 ou résolution de problème », qui a pour but de résoudre les problèmes par l’expertise, la norme et la spécialisation professionnelle ;

- un registre de « performance », qui mobilise les moyens nécessaires à l’atteinte des objectifs du projet par l’appui technique ou financier.

Ces quatre registres dessinent deux logiques bien distinctes. La logique de l’autonomisation, permise par les activités réflexives développées dans l’accompagnement, regroupe les registres de l’orientation et du litige. Dans cette logique, la personne accompagnée est considérée comme sujet-acteur, capable d’identifier et de mobiliser ses propres ressources pour construire son autonomie, et devenir ainsi maître de sa démarche créative. La logique de la socialisation regroupe les registres de l’insertion et de la performance et voit l’individu porteur de projet comme partie prenante d’un environnement socio-économique, culturel et familial, détenant des ressources, cognitives ou expérientielles, qu’il s’agit avant tout de valoriser pour mieux les mobiliser. Pour cet individu, l’accompagnement est essentiellement une démarche d’intermédiation le mettant en relation directe avec l’univers réglementaire, juridique et statutaire qui constituera l’environnement de son projet, et lui permettant de s’inscrire dans une profession et un territoire d’action.

L’accompagnement est un espace où toutes ces pratiques entrent en résonance. Il peut passer par tous les pôles conçus alors comme des étapes, facultatives voire aléatoires, pôles mis en tension dans une dynamique créative. L’accompagnement permettra de travailler à la fois la réflexivité et les actions opérationnelles et stratégiques, les ressources et les résistances, et de porter un regard qui ne met pas en contradiction le sens et l’optimisation technique du projet. Tout « l’art » de l’accompagnateur résidera dans sa capacité à créer un « espace » qui mettra en mouvement ces polarités complémentaires. À cela, comme le note Le Bouëdec, se superpose le cadre institutionnel de l’accompagnement qui détermine le cadre

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d’action de l’accompagnateur : « Il existera donc une palette de styles d’accompagnement en fonction de la personnalité de l’accompagnateur, de la tradition dans laquelle il s’inscrit et de la prégnance de l’institution qui le mandate » (Le Bouëdec, et al., 2001) p.163.

Dans le domaine de l’accompagnement à création d’activité, deux pratiques sont particulièrement développées, le conseil et le coaching. Nous les présentons rapidement.

Le coaching porte en lui l’idée d’entrainement. Comme le mentoring, il est une « méthode d’apprentissage personnalisé qui vise à aider les gens à atteindre l’excellence » (Lefebvre, 2002, cité par Paul, 2004). Il vise l’efficacité, la performance, l’excellence, et s’adresse à des individus cherchant à dépasser une situation ou réussir un challenge. Le coach est un « catalyseur », un « accoucheur de talents », un « développeur de potentiels ». Le registre du coaching est résolument situé dans l’action. Le coaching valorise l’individu, partant de l’idée qu’il porte en lui-même des potentialités qu’il s’agit de libérer ou de réorganiser. Il n’est donc pas surprenant de voir le succès de cette pratique dans le management actuel d’entreprise, qui brouille les limites entre performance et dépassement de soi (Paul, 2004). C’est ce terme que nous retrouvons le plus couramment dans la littérature anglo-saxonne relatant ce que nous désignons par accompagnement65. Il est souvent associé au terme « training ». Comme nous l’avons vu précédemment, le coaching valorise la performance dans l’individu et se démarque de l’accompagnement, réservé aux individus fragiles. Pour beaucoup d’auteurs, la distance est grande entre accompagnement et coaching :

« Le crime parfait du coaching, c’est sa sympathie, consciente ou non, avouée ou non, pour les idées de totalisation, de vérification, de perfection, de « solution finale », d’identification de l’homme à lui-même ; ce sont également les idées de calcul, d’opérationnalité ou encore de comptabilité existentielle. Le coaching, en fin de compte, est une simulation de développement personnel destinée à adapter l’homme à un simulacre de réalité »(Rappin, 2006) p.217.

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Le litige est un conflit centré sur les arguments avancés par les acteurs. Dans sa résolution, le litige peut laisser place au compromis, ce qui suppose une concertation entre chaque membre en désaccord afin de dégager un intérêt commun (Boltanski, Thévenot, 1991).

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Bien que l’accompagnement « à la française » se situerait plutôt quelque part entre le coaching et le councelling.

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Le conseil66, pratique immémoriale, est un concept opérationnel dans l’appui à la création d’activité depuis plus de 50 ans. Le terme banalisé réduit le conseil à son sens le plus restrictif « d’avis donné à autrui pour guider sa conduite dans une direction conforme aux intérêts de celui-ci » (Lhotellier, 2003). La multitude des emplois faits de ce terme permet bien souvent de s’affranchir d’une réflexion critique sur l’efficacité de l’agir au détriment de son sens (ibid.). L’origine du terme le ramène à une démarche beaucoup plus large. Tenir conseil amène à délibérer pour agir. Cette dimension fait interagir une relation dialogique avec une recherche de sens, dans une temporalité donnée, qui au final permet l’autonomie et l’émancipation : « Tenir conseil est acte de confrontation avec soi, avec autrui, avec une situation, avec des institutions au présent. Confrontation n’est pas affrontement mais lutte pour le sens (dialogue), reconnaissance des différences et travail de production de soi, de construction identitaire » (Lhotellier, 2003) p. 43. Ces deux postures amènent à des pratiques opposées. Dans le premier cas la qualité d’expert du conseiller ou consultant lui permettra d’agir en médiateur de décisions qui posent problème, dans un objectif d’optimisation de l’action. La subjectivité du sujet n’entre pas en ligne de compte, dans la mesure où l’intervention de conseil est brève et ponctuelle. Cette posture fait appel à « l’intelligence organisationnelle plus qu’à la compréhension des sujets » (Paul, 2004) p.35. La deuxième pratique est, elle, centrée sur la relation et le processus. Le conseiller est impliqué, il répond à une demande d’un sujet-acteur, d’une personne en situation (c’est à dire dans l’articulation dynamique de ses éléments) non donnée d’avance mais que le projet fait évoluer, et il cherche à construire une démarche active de délibération (Lhotellier, 2003). Cette dernière posture fait du conseil une démarche d’accompagnement (Paul, 2004), (Le Bouëdec, et al., 2001).

Enfin, pour mieux introduire l’expérimentation support de cette thèse, nous devons expliciter très rapidement le terme « formation », pour le distinguer de l’accompagnement. La formation, pourtant intimement liée à l’accompagnement, n’apparait pas dans la nébuleuse de Maela Paul. Car la différence majeure entre la formation, dont l’objectif est défini par le formateur, qui met en œuvre des méthodes balisant un parcours identifié, et l’accompagnement, dont le point d’arrivée n’est pas connu par avance, tient dans la fonction d’autorité que l’on trouve dans l’une et qui est absente de l’autre : « L’accompagnement exclut les

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situations qui appellent de la part de quelqu'un dont c’est la fonction statutaire, soit un enseignement, soit un conseil (au sens de donner un conseil), soit, plus généralement une solution, une décision ou une expertise technique. Toutes ces fonctions […] relèvent d’une posture qu’on peut désigner de manière générique par le verbe « diriger », ou « exercer l’autorité », et cela à quelque niveau hiérarchique que ce soit. »(Le Bouëdec, et al., 2001) p.133. Il ne s’agit pas d’opposer formation et accompagnement. De nombreuses pratiques éducatives à visée autonomisante stipulent que l’éducation est une forme d’intervention « dans et sur le monde », et qu’elle pose comme incontournable la question de la « présence humaine » et du « sujet / architecte de sa propre pratique » (Freire, 2006). Il s’agit de bien montrer que l’accompagnement n’est pas histoire de transmission mais de posture. Cette posture d’accompagnement se retrouve dans de nombreuses pratiques de formation (ou d’éducation), et les formes hybrides entre formation et accompagnement sont nombreuses. Mais les dispositifs d’accompagnement et de formation sont, eux, clairement distincts dans notre système d’appui à l’emploi, en particulier dans son financement. Notons que nous jouerons sur cette ambiguité pour mettre en place l’expérimentation ERP, qui permettra de tester des formes d’accompagnement à l’intérieur d’un dispositif de formation.

Dans l’accompagnement, tel qu’il est pratiqué actuellement, nous pouvons observer un glissement d’une logique d’expertise centrée sur l’action du professionnel, à une logique d’autonomisation centrée sur la personne (Bachelart, 2002). Ainsi, l’accompagnement peut être vu comme l’indice d’un changement de paradigme professionnel (Beauvais, 2004),(Paul M., 2004), qui progressivement fait son chemin dans la sphère de l’appui à la création d’activité, sans cependant se substituer totalement aux démarches diffusionnistes encore couramment appliquées : « Si l'accompagnement s'inscrit selon nous dans le paradigme du constructivisme et de la complexité, c'est non seulement parce qu'il s'inscrit dans une perspective téléologique, qu'il privilégie la compréhension à l'explication, mais c'est aussi parce qu'il réserve une place significative à l'incertitude et au doute. » (Beauvais, 2006) p.7. Les professionnels peuvent, comme nous le verrons dans l’accompagnement à la pluriactivité et plus spécifiquement dans notre expérimentation, se trouver en réelle difficulté lorsque les cadres de références sont incertains et que leurs capacités d’action sont limitées par le contexte institutionnel.

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b) Le dispositif actuel d’accompagnement

Le dispositif actuel d’accompagnement en zone rurale remplit deux missions principales : accueillir dans les meilleures conditions possibles les nouveaux arrivants actifs et assurer le développement ou le maintien des activités en place ou émergentes sur le territoire. Un dispositif est « un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit, aussi bien que du non-dit. Le dispositif lui-même, c’est le réseau qu’on peut établir entre ces éléments. »(Foucault, 1994) p.299.

Le dispositif d’accompagnement d’un territoire est composé des structures d’accompagnement, des accompagnateurs, ainsi que des usagers de l’accompagnement. Le dispositif fait émerger, autour d’actions stratégiques qui répondent à un besoin, un réseau de relations et d’interactions, au cœur d’un espace partagé de connaissance et de médiation qui parcourt ses éléments. Le dispositif d’accompagnement à la création d’activité en milieu rural a des fonctions très diverses : définition et mise en œuvre d’actions transversales variées (animation, accompagnement, information, ingénierie, communication-prospection) ; actions sectorielles comme l’accès au logement ou au foncier ; appui aux activités économiques et au développement des services, en phase avec les attentes et les besoins des nouveaux arrivants ; mise à la disposition du créateur d’activité, dans toutes les phases de son parcours, d’informations et de formations ; mise en réseau, relationnel, suivi (Saleilles, 2007). Cet ensemble de tâches demande des compétences et des analyses ciblées mais partagées.

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Le Collectif Ville-Campagne (2003) distingue trois types de structures d’accompagnement : les structures d’appui aux territoires, les structures d’interface entre territoires et porteurs de projets, et les structures de proximité, accompagnant concrètement la mise en place du projet (tableau 3 ci-dessous).

Missions Types de structures

Appui Appui aux territoires Services de l’Etat, régions, cabinets

d’études, agences de développement Information et communication Médias

Interface

Formation, apports de compétences, intégration

Chambres consulaires, associations de développement et de

conseils/services…

Proximité Accueil et accompagnement des candidats à l’installation

Communes, communautés de commune, pays, PNR, GIP, association…

Tableau 3: Structures d’accompagnement à la création d’activité en zone rurale et principales missions d’accompagnement. Collectif Ville-Campagne (2003), cité par Saleille (2007)

En France l’accompagnement à la création d’activité est sectorialisé et cloisonné. De nombreux dispositifs de droit commun orientent les publics dont ils relèvent, par le biais de prescriptions, vers des organisations en général conventionnées. Ces organisations ont en retour à rendre des comptes et peuvent ainsi difficilement sortir des cadres qui leur sont impartis. Un chômeur par exemple aura accès à un panel de structures d’accompagnement, auquel une personne déjà en activité n’aura pas accès (à moins de trouver les financements par elle-même). A l’inverse, certaines chambres consulaires orientent les personnes en situation de précarité économique vers des structures spécifiques, pour ne prendre en compte que les projets les plus avancés.

Pour un porteur de projet, l’offre d’accompagnement, pourtant abondante en France, apparaît en première instance trop fréquemment spécialisée par son espace géographique d’intervention, les secteurs d’activité pris en compte (agriculture, artisanat, etc.), ses cibles sociales (public RSA, chômeurs, etc.), ses domaines de compétences (conseil technique, finance, etc.), ses postures de principe (normative / constructiviste, attention portée au projet ou au porteur de projet, etc.), les phases des projets accompagnés (création, développement, transmission), les statuts et modes de financement (instances consulaires, associations, établissements publics, banques, etc.). D’autre part, la superposition des zones d’intervention de chacune des structures, ou les antagonismes émergeants là où l’on attendrait des

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complémentarités et des synergies, complexifie le cheminement dans le dispositif d’accompagnement pour le créateur d’activité, parfois peu au clair avec son propre projet et son territoire d’installation. Localement, des correctifs aux dissymétries voire impasses provoquées par ce fonctionnement très spécialisé sont apportés et de plus en plus de dispositifs territoriaux se mettent en place. Une collectivité territoriale se saisit de la question de l’accompagnement pour adapter au mieux les réponses d’accompagnement aux attentes des publics. Cependant, l’organisation régionale et territoriale de l’aide sociale, des structures d’aide à l’emploi et des structures d’accompagnement n’est pas forcément en phase avec les logiques de construction des projets, d’où les difficultés rencontrées par les porteurs de projet en décalage avec la vision ou le cadre de l’activité attendus sur le territoire. La question du traitement de la pluriactivité dans l’accompagnement révèle parfaitement les problèmes de connexion entre structures, en particulier celui des interactions sectorielles.