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E NQUETE DE TERRAIN ET ANALYSE

B. Analyse par échantillons d’enquêtés

5. Les intellectuels

A 75% d’hommes contre 25% de femmes, cet échantillon est constitué d’enseignants de divers ordres (du secondaire au supérieur), de journaliste, de sociologue et de doctorant. Le moins diplômé et détenteur d’un Bac+5. Nous pensons que ce sont des individus capables de prendre du recul par rapport aux pratiques de masques bien qu’ils appartiennent aux sociétés détentrices desdits masques, ou bien qu’ils y seraient initiés. Ainsi, ils pourraient analyser les traditions populaires de manière scientifique en dépit de leur appartenance aux sociétés de masques et contrairement à certains enquêtés qui s’exprimeraient émotionnellement et sentimentalement. C’est avantageux pour l’enquête que nous ayons aussi l’opinion des cadres intellectuels de l’espace géographique de recherche, surtout que nos questions sont ouvertes et qu’elles suscitent de l’argumentation.

Intellectuels Oui Oui mais Non Non mais Total

Musée 3 4 1 0 8

Festival 2 6 0 0 8

Total 5 10 1 0 16

Pourcentage 31,35 % 62,50 % 6,25 % 0 % 100 %

Tableau 28 : Les tendances des initiés face aux musées et festivals

Globalement, les intellectuels perçoivent les mutations comme des opportunités pour les traditions africaines. Dès lors que « les détenteurs de la tradition meurent sans toujours

passer le relai aux générations d’après », l’enquêté 69 « comprend les "puristes" qui disent que la place du masque n’est pas dans un musée. Mais [il] respecte également ces hommes de culture qui estiment que si c’est le prix à payer pour que les générations futures puissent connaître des masques, il faut le faire. Par ailleurs, certaines traditions africaines se partagent mal en Afrique. Alors si un musée doit assurer une certaine pérennité à des masques, pourquoi pas ? » L’avis de cet homme de 44 ans fait partie des 62,50 % d’opinions

favorables sur conditions chez les intellectuels.

Ceux-ci ont fait pratiquement les mêmes remarques que les autorités et bien d’autres échantillons d’enquêtés. « Il faudra juste faire la part des choses quand on se lance dans un

projet d’exposition muséale des masques. Il y a lieu de discuter avec les dépositaires des pratiques de masques. Il faut avoir à leur endroit une pédagogie explicative pour les amener

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à l’acceptation de la démarche d’ouverture au monde nouveau. »120 L’enquêté 65 (homme,

72 ans, professeur d’université à la retraite, Cana) suggère une démarche à la fois courageuse et respectueuse qui répond aux deux dernières hypothèses que nous avons émises, à savoir que l’habitude peut constituer la cause du blocage de l’exposition de certains masques béninois, ou c’est peut-être la peur qui bloque. Dès lors que ces verrous sauteraient, cela dégagerait la voie pour l’option de médiation culturelle car « Tous les masques ne sont pas

encore prêts à ça. »

Dans cette condition, pour reconnaître les masques qui s’y prêtent, il faudra peut-être classer les canaux de médiation et les pratiques de masques elles-mêmes selon une échelle de valeur clairement définie. Ce que nous ferons dans le dernier chapitre consacré à la synthèse générale. Mais les prémices d’une catégorisation des masques émergent déjà de plusieurs réflexions parmi lesquelles celle de l’enquêté 66 (un enseignant chercheur de 42 ans) pour qui : « Le musée est un lieu de monstration. Si l’on considère que les masques

relèvent de l’art, de l’esthétique des traditions culturelles d’un peuple, leur présence dans un musée n’a rien de choquant. Cependant, cette monstration ne doit pas conduire à une désacralisation à outrance, car si on s’en tient à l'étymologie du mot, est « sacré » ce qui est chargé de présence divine, mais aussi ce qui est interdit au contact humain. » La

problématique de notre thèse se trouve ainsi résumée en partie. Quel est le fossé entre l’artistique et le sacré ? Comment démarquer le culturel du cultuel ? L’analyse par thématiques pourrait nous apporter certaines réponses.

Conclusion du chapitre 4

Quel est le degré de réceptivité du déplacement noétique observable dans les pratiques de masques ? Les Béninois partagent-ils les mêmes avis au sujet de la mutation ou de l’élargissement des fonctions des masques ? Tous les enquêtés ont été sollicités pour apprécier l’exposition des masques en musée et leur participation aux festivals artistiques. Dans la perspective de cerner la question à partir d’un maximum d’angles, l’analyse est menée par étapes bien délimitées, favorisant du coup une vérification graduelle. Elle

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s’appuie, mais pas uniquement, sur les échantillons d’enquêtés dès lors que l’enquête exploratoire en a révélé l’importance. Elle est également faite par variables identitaires.

Les variables identitaires concernent l’âge, le genre, le niveau d’étude et le milieu social des enquêtés. Ceux-ci ont été regroupés en 7 catégories d’âge de 10 à 80 ans. Jusqu’à 59 ans, les enquêtés préfèrent le festival au musée. Entre 60 et 69 ans, les choix s’équilibrent pour s’inverser totalement dans la tranche 70 - 79 ans où la tendance est plutôt à la préférence muséale. En considérant le genre, il est aussi clair qu’auprès des hommes que des femmes, la monstration des masques par le festival l’emporte sur la muséographie. La même évidence s’observe dans l’analyse par la variable selon les niveaux d’étude et nous en avons considérés quatre : les non-scolarisés, le niveau primaire, le secondaire et le supérieur. La dernière variable identitaire (selon le milieu de vie) quant à elle, n’a fait que confirmer la tendance. Une fois encore, les avis favorables dépassent nettement en nombre les avis défavorables. Il y a cependant une remarque à faire : les urbains (50%) paraissent plus prudents que les ruraux (37,50%) face à la problématique du déplacement des masques.

Avec les cinq échantillons d’enquêtés pris comme variables d’analyses, le résultat prouve que les gens ne sont pas réfractaires aux changements. En grande majorité, les populations, les initiés, les médiateurs, les autorités et les intellectuels acceptent l’idée de la monstration des masques en dehors des cadres traditionnels. Mais entre l’adhésion totale (oui) et l’adhésion mesurée (oui mais) les positions fluctuent. Aussi le festival reste-t-il le choix principal.

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C

HAPITRE

5 :

A

NALYSE PAR THEMES

Plusieurs thèmes sont abordés. Ils ont pour but de vérifier des postulats, bien que les questions soient parfois indirectes et ne laissent pas toujours l’enquêté deviner l’objectif précis de l’enquêteur. En demandant par exemple à un intellectuel s’il est initié et pourquoi, c’est pour mieux apprécier ses opinions individuelles sur la représentation des masques dans ce que le psychiatre suisse Carl Gustav Jung (1968, p. 42-53) appellerait l’« inconscient

collectif » des Béninois. Il y un double avantage à atteindre en connaissant d’abord son statut.

C’est détenir un instrument supplémentaire d’analyse pour étudier, non pas uniquement ses opinions en elles-mêmes, mais aussi l’angle sous lequel il se place pour poser son regard intime sur les masques.

Tous les thèmes nous fournissent des instruments de vérification des hypothèses en aidant à situer les masques béninois et les individus face aux enjeux de la diversité culturelle. Aussi favorisent-ils l’élan du scientifique à définir le périmètre d’exercice du médiateur culturel au travers de la vulgarisation des normes existantes dans un milieu taiseux et dominé par l’oralité.