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LES QUATRE DIMENSIONS DU MASQUE

A. Présentation de la méthodologie

2. Les difficultés

Notre parcours a été semé d’embuches. La première difficulté que nous avons connue se résume en cette interrogation : comment se débarrasser des notions et connaissances profondément ancrées en soi pour aborder des recherches avec suffisamment de neutralité ?

En tant qu’individu issu du (des) milieu(x) de la recherche, initié à des pratiques de masques depuis plus d’un quart de siècle, médiateur culturel dans le domaine et ayant participé à des enquêtes antérieures sur les pratiques de masques, nous avons eu l’impression de connaître déjà une bonne partie de notre sujet. Il ne nous resterait plus qu’à y ajouter les réponses fournies par les enquêtés qui ont bien voulu se soumettre à l’exercice de nos questions. Or tout le danger est là, de se cantonner à sa connaissance et ne produire à la fin qu’un essai inspiré de ses propres représentations culturelles et sociales. Les acquis culturels théoriques et empiriques sur lesquels nous avions déjà bâti un raisonnement, du simple fait de notre origine, notre parcours socio-professionnel et le formatage de l’éducation sociétale, il fallait les faire taire pour aller à la conquête de nouvelles compréhensions. D’ailleurs, les faits sociaux sont :

« d'autant plus susceptibles d'être objectivement représentés qu'ils sont plus complètement dégagés des faits individuels qui les manifestent. » (Durkheim, 1895, p. 61).

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Dans la quête de méthode de recherche scientifique qui requiert la rigueur et l’objectivité, avons-nous constamment réussi à dépasser nos prénotions dues à l’expérience ordinaire ? Nous pensons avoir toujours essayé et réussi dans l’analyse des faits. Par contre, en ce qui concerne le choix des lieux et couvents à visiter, la majeure partie des personnes et familles à enquêter, la manière d’aborder les gens notamment les initiés et les gens ordinaires des localités, une certaine part de subjectivité nous a guidé. Globalement nous n’avons pas eu besoin de conseiller en repérage. Grâce justement à la subjectivité, au cours de nos entretiens semi-directifs, nous pouvions rebondir sur des réponses, recadrer nos interlocuteurs et les conduire méthodiquement à nous dire la vérité. C’est là que les approches méthodologiques sont très importantes à utiliser d’une manière rigoureuse.

La deuxième difficulté réside dans le manque de moyen financier. Notre recherche n’étant pas financée, nous devions compter sur nous-même pour tous les déplacements. Ce qui suppose qu’il faut travailler à côté pour avoir un peu de moyens. Et en travaillant, surtout dans des domaines qui n’ont rien à voir avec notre thème de recherche, la concentration régulière sur la thèse a été difficile. C’est ainsi que nous avons mis trop de temps à finaliser cette thèse.

La troisième difficulté est l’usage excessif de la langue de bois par certains enquêtés. En d’autres termes, comment faire pour amener les individus enquêtés à se défaire des réponses formatées, lorsque ceux-ci acceptent de se soumettre à l’exercice ? Généralement, c’est quand l’entretien commence, qu’on se rend compte qu’ils ont délibérément choisi de raconter des invraisemblances parfois hors sujets ou des choses surprenantes. Les entretiens avec ces derniers ont parfois été très longs, nous obligeant à trouver un surplus d’ingéniosité créative pour leur faire dire des choses concrètes. Mais ça n’a toujours pas marché. D’autres personnes ont été interviewées deux ou trois fois, à diverses occasions et même sur plusieurs années. La raison est que nous les savions détentrices de connaissances dont nous souhaitions la révélation de leur part.

La quatrième difficulté à mentionner, c’est rationnaliser sa recherche et de la planifier selon un calendrier universitaire ou civil, car le chercheur est dans l’incapacité de savoir plusieurs mois à l’avance les dates exactes de tenue de certaines manifestations coutumières. Nous avons affaire à des masques dont la sortie rituelle de certains d’entre eux est soit soumise à la consultation de l’oracle, soit tributaire d’un calendrier. Or, des circonstances (un deuil par exemple) peuvent encore tout remettre en cause. Sur plusieurs années, il nous

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est ainsi arrivé de guetter des manifestations, parce qu’étant dans l’optique d’un travail de thèse bien accompli. Observer à nouveau tous les masques en situations réelles est primordial selon nous, si tant est que nous refusons la « très évidente intelligence, (…) excessivement

sûre d’elle-même au point de perdre contact avec le bon sens. »(Moraze, 1956).

La cinquième difficulté dont il faut nécessairement parler est liée au manque de documentation, le sujet étant peu traité. Pour une thèse qui se mène sur les masques d’un pays, il est normal de parcourir les bibliothèques importantes de ce pays-là. Mais nous avons constaté que la production littéraire sur les masques n’est pas fournie. Il y a certes des mémoires de licence et de maîtrise dont la plupart se sont intéressés au masque Guèlèdè dans le tourisme. Les rares travaux que nous jugeons intéressants sur le plan de la réflexion, sont des thèses dont le nombre se compte sur le bout des doigts. Il y a même des ouvrages dont nous connaissions déjà le titre, qui sont collaborativement écrits par des chercheurs béninois et occidentaux, mais que nous n’avons pas trouvés en bibliothèques au Bénin. Le manque est plus frappant concernant certains masques pour au moins deux raisons probables : les potentiels chercheurs ne trouvent pas l’intérêt d’en parler (cas du Kaléta) ou ils (les masques) sont carrément inconnus bien qu’existant dans le paysage socio-culturel (Abikou par exemple).

La sixième difficulté a trait à la tradition. Diverses formes de formalités d’usage ont été – au besoin – accomplies afin que nous atteignions nos objectifs. Argent, boissons, oiseaux domestiques y sont passés, et il faut être aguerri, rôdé aux usages des terroirs avant de capter les manières détournées qu’ont les gens pour demander ces dons. Ils y vont dans des métaphores qu’il faut savoir déchiffrer avant que le message soit audible. Parmi ces expressions imagées nous retenons : « comment êtes-vous venu ? »69, « la main sèche ne

masse point la bosse » 70 et « nous devons demander l’autorisation. » 71 Appelé "agban" en langue fon ou "èrou" en langue yorouba, le symbolique geste d’offrandes à des divinités ou de libéralités à leurs émissaires, n’est pas un achat de conscience. Il ne suffit même pas de satisfaire à cette tradition pour garantir que les enquêtés s’ouvrent sans retenue.

69 C’est une manière de s’enquérir des dispositions que vous avez prises afin que votre quête ne soit honorée, si vous êtes prêt pour que tout démarre, si vous savez déjà quoi faire.

70 Pour faire un massage, il faut généralement une huile appropriée. Dès lors que la main sèche ne masse pas la bosse, c’est qu’il y a lieu de la lubrifier. Or le lubrifiant, c’est à vous de l’assurer.

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La septième situation difficile à laquelle nous avons été confronté est le manque de disponibilité de ceux que nous avons appelés intellectuels. On peut dire que c’est un public qui nous a paru relativement difficile. Ce sont des gens qui habituellement se permettent d’interroger les autres personnes et expriment leurs idées sur la société. Mais eux-mêmes semblent ne pas vouloir être un public enquêté. En tous les cas, ils ne se sont pas prêtés volontiers à notre enquête avec la diligence que nous aurions espérée de leur part. Néanmoins leur participation à nos yeux paraissait nécessaire car souvent ils peuvent devenir vecteurs d’informations ou encore mieux ceux qui influencent le grand public. Comment expliquer la difficulté de les interroger malgré nos constantes relances ? Peut-être étaient-ils méfiants. Peut-être étaient-ils négligents. Peut-être étaient-ils "très" occupés. Ou peut-être n’avaient-ils pas trouvé d’intérêt à notre recherche. Ainsi nous avons décidé d’aller les interroger directement et notre questionnaire s’est transformé en grille d’entretien.

Enfin, nous voudrions faire part d’un huitième obstacle qui a freiné l’avancement de notre travail. Il est d’ordre administratif et concerne notre condition de doctorant étranger en France. Cela s’appelle le « renouvellement de titre de séjour ». Cette formalité, somme toute normale, nous a quelques fois donné du fil à retordre. Alors que nous étions au Bénin, à attendre la tenue d’événements culturels auxquels nous voulions participer, il a fallu revenir rapidement en France parce que notre titre de séjour devait expirer. Dans l’autre sens, c’étaient parfois l’expiration du titre de séjour et le délai d’attente pour l’obtention d’un rendez-vous en préfecture qui nous ont empêché d’aller sur le terrain, suivant le calendrier préétabli. En tous cas, la nécessité d’être en situation régulière nous a parfois pris du temps et occasionné du contre-temps. Mais tout compte fait, la situation finit par se décanter.

Conclusion du chapitre 3

La méthodologie de travail que nous avons adoptée se divise en plusieurs étapes clés. La recherche documentaire a été primordiale en début de thèse sans être uniquement centrée sur des travaux scientifiques. Comme les chercheurs dans le courant interactionniste, nous avons décidé de mobiliser toutes sortes de sources de connaissances utiles. Ensuite nous avons mené une enquête exploratoire auprès d’opérateurs culturels organisant des festivals. Entre autres avantages, cela nous a permis de comparer leurs points de vue au nôtre, pour mieux cerner l’échantillonnage des individus à enquêter. C’est ainsi que cinq échantillons

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d’enquêtés ont été constitués : les populations, les initiés, les autorités, les médiateurs culturels et les intellectuels auprès de qui une enquête prioritairement qualitative a été menée sur le terrain.

Les grilles élaborées ont servi en même temps de guides d’entretien sur le terrain où l’observation a joué un rôle essentiel dans la compréhension du fait scientifique de l’intérieur. Tout cela n’est pas sans difficultés. La maîtrise du terrain et la connaissance des masques peuvent être à la fois des atouts ou des inconvénients. Il faut signaler que dans l’appareillage utilisé, nous citons les expériences vécues antérieurement pour la facilité qu’elles nous apportent dans l’orientation et la démarche à suivre sur le terrain. En tant qu’initié à des pratiques de masques, nous sommes aussi investis dans l’organisation d’activités autour des masques et pour nous, c’est une expérimentation exploratoire. Les grilles d’entretien sont composées de questions analogues pour pouvoir comparer et des questions propres à la catégorie. Cette approche du terrain s’est inscrite dans une intentionnalité ayant comme objectif de cerner la réalité sociale et comprendre davantage ces relations particulières.

Que peut avoir le monde africain avec l’objet masque ? Plus précisément, comment l’évolution et les transformations du monde actuel jouent-elles le rôle de transformatrices des relations particulières ? Il y a également lieu de se demander comment un festival qui devient un intermédiaire peut jouer un rôle important. Ce qui nous a le plus intéressé au niveau de l’enquête ce sont les relations particulières avec les masques. Nous estimons qu’il y a trois thèmes généraux traités dans cette recherche : la connaissance, la compréhension de la signification et ce que représentent les masques pour les Béninois.

En intégrant dans la population de l’enquête l’étude des personnes qui jouent le rôle de médiateurs dans la mise en avant des masques dans l’espace public, on a obtenu une étude complète. Comme on l’a noté plus haut, l’objectif était de comprendre les relations que la population entretient avec les masques et l’évolution ou mutation de cette relation.

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