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E NQUETE DE TERRAIN ET ANALYSE

A. Les thèmes principaux : des liens à l’état d’esprit

2. L’initiation : un état d’esprit

Les acteurs de l’univers des masques ont des relations particulières à l’initiation. Ce processus d’intégration a une valeur sociale, morale et spirituelle. Dans notre espace de recherche, l’initiation n’est pas simplement un état d’esprit propre aux individus ayant subi des rites initiatiques qui font d’eux des membres à part entière d’une confrérie de masques. Elle est surtout un état d’esprit généralisé dans la population. Les membres de la société en font une certaine représentation où la maturité, l’honneur et le devoir sont des sentiments qui priment et à l’aune desquels se dégage la valeur identitaire des masques dans leur estime.

Etes-vous initié(e) à une pratique de masque ? Pourquoi êtes-vous initié(e) ? Avez-vous des parents qui sont initié(e)s à des pratiques de masques ? Pourquoi ? Ce sont les questions posées aux enquêtés en fonction de l’échantillon dans lequel nous les plaçons. Dans la plupart des réponses, une expression populaire au Bénin a été reprise : « être un

circoncis » ou « être comme un incirconcis »121. La perception qu’on se ferait de la

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circoncision dans certaines cultures (occidentales notamment) est purement une question de mutilation génitale. La mutilation génitale est une atteinte à l’intégrité corporelle. Par conséquent, c’est un acte répréhensible. Mais ici, l’image de cet acte renvoie plutôt à une idée pratiquement conventionnelle que les enquêtés ont déclinée en plusieurs expressions :

« être un garçon »122, « être un homme »123, « être un brave homme »124, « être un homme

complet »125.

L’initiation est avant tout une marque de maturité

L’initiation à certaines pratiques de masques donne le signal du passage à la maturité. L’initié est considéré comme celui qui accède à ce grade supérieur de la société dans laquelle il vit. Cela ne fait pas forcément de lui un adulte. Bien des personnes initiées entre la préadolescence et l’adolescence ont encore le temps de maturation. L’initiation donne l’assurance qu’on ne soit pas infantilisé, dérangé et ridiculisé presque. Car :

« Si on n’est pas initié, on ne peut pas sortir pour vaquer à ses activités au cours des

cérémonies de certains masques. » (Enquêté 11, homme, 35 ans, instituteur, Adjohoun). Et « … beaucoup de parents sont bien impliqués dans les pratiques de masques. Ils sont initiés parce qu’il faut être un vrai homme. Tant qu’on ne peut circuler librement, c’est qu’on n’est pas garçon. Il ne faut pas être un demi-garçon. » (Enquêté 5, homme, 28 ans, puisatier, Adjohoun). D’ailleurs, « Tous les hommes autour de l’enquêté 4 (homme, 52 ans, pêcheur,

Porto-Novo) sont initiés sauf les enfants de moins de 12 ans. Parce que c’est normal. Un

garçon ne doit pas demeurer un fruit non mûr », comme ce fut le cas du père de l’enquêtée

2 (femme, 23 ans, étudiante, Cotonou). Il « a dû s’initier au Zangbéto quand il était à

l’université. Selon ce qu’il (…) a raconté, il vivait dans un coin reculé de Calavi où il n’y avait pas d’électricité. Ses camarades et lui restaient donc sur le campus universitaire pour travailler jusqu’à une heure tardive avant de rentrer. Mais, les zangbéto quadrillaient tous les secteurs autour de leur zone d’habitation. A plusieurs reprises, ils ont été empêchés de rentrer chez eux à temps. Quand ils ont sollicité l’aide des autochtones, on leur aurait conseillé de faire l’initiation. »

122 Enquêté 58, question 1.

123 Enquêté 37, question 14.

124 Enquêté 47, question 14.

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A une autre époque et un endroit différent, ce n’est pas loin de l’expérience qu’a vécue l’enquêté 68 (homme, 52 ans, professeur certifié de philosophie et journaliste).

« Quand j’étais journaliste [dit-il,] et qu’on devait finir les conférences de rédaction au-delà de minuit, j’étais quelque part à Tokpota126, il fallait traverser trois ou quatre points stratégiques où les éléments de zangbéto se mettaient en faction. J’étais très embêté par eux. Mon beau-père qui habitait à l’époque à Accron127, m’avait dit qu’un homme responsable et père de famille ne devrait pas se laisser souffrir. Alors, il fallait s’initier. J’ai eu un ami, le prince Dê Sodji Abéo qui a permis cela en faisant la démarche auprès du Zangan de son quartier. Ainsi, un samedi nuit, j’ai fait l’initiation grâce à laquelle je suis devenu un homme. »

Il est donc évident et on le remarque avec l’enquêté 8 (homme, 50 ans, tisserand, Bohicon) que « pour être un homme, il faut subir des rites d’initiation de masques. » Mais à quel moment de la vie l’initiation doit-elle intervenir ? « J’en connais qui ont été initiés

juste à la naissance. Il y a d’autres qui l’ont fait à un âge avancé. Surtout l’homme quand il grandit, pour atteindre la vraie maturité et montrer qu’il est homme, un vrai homme, il doit pouvoir sortir la nuit, protéger sa famille et autres. Il se fait initier. Pour montrer sa virilité, sa force d’homme, il est bien obligé. Il y a aussi ceux qui le font juste par pure curiosité. » (Enquêtée 19, femme, 45 ans, guide touristique, Malanhoui).

L’initiation est également un honneur

Au niveau anthropologique, l’exclusion est un sentiment difficilement supportable. Celui qui se sent rejeté par les membres d’un groupe auquel il voudrait bien appartenir, peut le vivre comme un choc. Celui qui est limité dans ses mouvements contrairement à ses semblables, peut le ressentir comme une gêne. Or l’individu non-initié dans certaines régions, peut subir toutes ces situations dans lesquelles il éprouverait de l’humiliation, voire le déshonneur de n’être pas « un homme tout-terrain dans un pays culturel comme le Bénin – où – certaines initiations s’imposent à soi. » Ainsi, le remarque si bien l’enquêté 57, un danseur-chorégraphe de 51 ans, à qui nous ne demandons pas davantage d’explication sur le sens profond qu’il donne à l’expression « homme tout-terrain ». Grâce à une autorité, un officier de police (l’enquêté 58, 59 ans), nous comprenons que l’homme tout-terrain pourrait

126 Tokpota est un quartier de Porto-Novo.

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être celui qui peut faire usage de son initiation (ou ses initiations) aux masques dans divers cadres relevant du social, du politique ou du professionnel.

« Dans la vie on dit qu’il faut être un garçon. Il ne faut pas que des situations arrivent et que tu sois incapable de parler ou de sortir. Voilà que tu es dans une région où il existe des fétiches, des choses sacrées dont la manifestation peut entraver tes déplacements. Dans ces conditions, on s’adapte à son milieu. C’est ce qui explique mes initiations. Ainsi, je n’ai plus peur de sortir à n’importe quelle heure. Il ne faut pas qu’un enfant tombe malade la nuit et que tu sois incapable de l’emmener à l’hôpital parce que les Zangbéto ou les Oro sont sortis. Ou bien dans ta zone, il se déroule une cérémonie Agan et toi tu ne peux pas sortir parce que les gens sont allés dans la brousse pour rencontrer les égoungoun. Gouverner c’est prévoir, dit-on. Si en tant que policier tu poursuis quelqu’un qui a commis un acte délictueux, qu’il rentre dans un endroit "sacré" et que toi tu t’arrêtes à la lisière, n’est-ce pas une honte pour toi aux yeux de la population ? En revanche, s’il pense pouvoir t’échapper en rentrant dans un temple quelconque et que toi aussi tu n’hésites pas à y rentrer, tu es homme. Car on va te poser des questions d’usage et tu répondras. Et tu diras que tu viens chercher un tel. Où qu’il se cache, il sera dénoncé parce que les pratiques de masques n’agissent qu’en faveur du droit, de la justice, de la légalité, etc. Il faut être un homme complet. Voilà quelques raisons pour lesquelles je suis initié. Je ne suis plus effrayé par quoi que ce soit. Et ça m’honore. »128

La fierté est une autre dimension de l’honneur qu’on remarque chez les initiés. Dans les régions détentrices de traditions de masques à fonction sécuritaire, quand il est avéré que les initiés, de par leur vigilance, ont évité des situations fâcheuses à la communauté, il n’est pas rare qu’ils en parlent sous l’arbre à palabres. Pendant ce temps, ils sont en groupe avec les gens de leur catégorie d’âge parmi lesquels peuvent figurer des non-initiés. En général, ces derniers le vivent mal. Aussi, lorsque les masques décident d’informer directement le public, enfants, adultes, femmes, hommes, tout le monde reçoit l’information au même moment. Ce n’est souvent pas un motif de fierté pour tous. « Un homme non initié est une

honte pour sa famille et sa communauté. Comment comprendre que les uns veillent afin que toi tu aies la quiétude chez toi, et que toi tu ne puisses pas veiller à ton tour, pour qu’eux aussi dorment tranquillement avec les leurs ? Il faut ce relai pour éviter l’essoufflement. Et

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puis, pouvoir y participer, c’est être un homme. Vous pouvez être fier de vous-même et vos proches seront fiers de vous. » (Enquêté 37, homme, 54 ans).

Parfois, c’est sur le tard que la fierté surgit, après une prise de conscience soudaine. On le note dans l’histoire de l’enquêtée 25 : « Quand on était plus jeune et qu’on sortait

frauduleusement la nuit pour aller en boîte, nous savions que ma belle-mère (la femme de mon père) n’avait jamais rien su. Mais comment lui qui vivait si loin de nous pouvait-il être au parfum de nos escapades ? Comme quoi, quand les masques zangbéto font leur apparition dans la nuit, il y a des yeux cachés qui observent à chaque coin de rue. Le reste, vous avez compris. »

- Vous voulez dire que c’est le zangbéto qui informait votre père ?

- « Moi je n’ai jamais dit ça. Faites la déduction qui vous arrange. En tous les cas,

aujourd’hui, quand je pense à tout ça, je suis fière de papa. »

L’initiation est enfin un devoir

L’initiation est le renforcement du lien de l’individu à ses ancêtres. Certains y voient un engagement à perpétuer la tradition. D’où la notion du devoir dont beaucoup se réclament en prétextant qu’« ils sont initiés parce qu’ils veulent sauvegarder le patrimoine

ancestral. » (Enquêté 9, homme, 38 ans instituteur, Adjohoun).

En réalité, la plupart d’entre eux ne pouvaient avoir une quelconque volonté, encore moins l’exprimer avant ou pendant leurs initiations, simplement parce qu’ils n’étaient pas en mesure d’en décider autrement. Il ne s’agit même pas de "candidats à l’initiation" qui auraient la volonté d’aller vers les pratiques coutumières qu’ils chercheraient à sauvegarder. Ainsi, pourra-t-on affirmer que la volonté précède l’initiation. Il est plutôt question de ceux que nous appellerions les "obligés à l’initiation" comme l’enquêté 50. « C’est mon identité. [dit-il.] Je n’aurais pas pu m’y soustraire. C’est avec le masque que ma cérémonie de

baptême familial a été faite. Donc à une semaine d’âge, me voici déjà initié au culte. Et le vrai apprentissage se fera pas à pas au fil des années, j’allais dire au fur et à mesure que je grandissais. Pour un enfant garçon qui naît dans la famille X, tu as le choix entre être initié ou être initié. Dans ces conditions tu fais quoi ? »

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« Parce que c’est la tradition et on ne la rejette pas. Si c’est les mœurs et coutumes de la famille, »129 à beau vouloir les enterrer, ils renaîtront de leurs cendres. « La culture c’est toi. C’est intégré en toi. Je conçois cela comme mon être. Tu ne peux pas ignorer ta culture. Si les masques font partie intégrante de ta culture, tôt ou tard, que tu tentes d’y échapper ou pas, ça finira par te rattraper. »130 L’expérience de l’enquêté 70 (43 ans,

enseignant-chercheur) en est un cas palpable. A l’enterrement de son père, il y avait des cérémonies mortuaires qui nécessitaient la présence des fils du défunt. Or il ne pouvait y être sans être initié. C’est ainsi que la famille paternelle a exigé son initiation afin que les rites mortuaires puissent se déroulés normalement.

Quels jugements ces initiés pourront-ils avoir du déplacement noétique dans les traditions de masques qui s’imposent à eux comme des pratiques à sauvegarder. C’est leur identité. D’aucuns estiment qu’ils ne sont pas allés au masque et que le masque n’est pas venu à eux non plus ; mais que le masque et eux ne font qu’un.131 Cela fait leur dignité d’Etre parce qu’ils expliquent que le masque est comme leur nom de famille. Si on leur demande pourquoi ils le portent, à priori ils ne feront que répondre qu’ils n’ont pas choisi.132 Selon d’autres personnes, le masque est carrément un mari qui les protège dans son refuge inviolable. La confirmation vient de la déclaration d’une femme de 41 ans, prêtresse de

abikou : « Je ne me suis pas levée pour demander à être initiée au vodoun. Cela m’a épousée et je suis sa femme, sa soumise. Ma mère a perdu successivement trois enfants avant moi. Sans doute que je n’aurais pas existé si les sacrifices propitiatoires n’avaient été faits et si je n’avais été confiée dans les bras protecteurs de la divinité. »133

129 Enquêté 14, question 4.

130 Enquêté 54, question 2.

131 Enquêtée 44, question 1.

132 Enquêtée 45, question 1.