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A ce jour, trois commissions de compensation ont été constituées par le Conseil d’Etat.

La première s’est occupée des réclamations des commerçants du Métro-shopping Cornavin à l’époque de la réalisation des voies du tramway en di-rection de la place des Nations. Dans cette galerie marchande, il y avait une trentaine de commerçants fortement touchés par le chantier, dans la mesure où certains travaux de renforcement se sont effectués dans les surfaces com-merciales elles-mêmes. Onze commerçants ont saisi la commission, laquelle a rendu huit décisions d’indemnisation et rejeté trois requêtes.

La seconde a été créée à l’occasion des travaux de la ligne en direction des Palettes. Dans le village de Grand-Lancy, il y a une assez grande concentra-tion de petits commerces, lesquels sont en général particulièrement sensibles aux nuisances causées par les chantiers. La commission a examiné douze

dossiers. Tous les requérants ont été indemnisés et aucun n’a ouvert une ac-tion judiciaire.

La plus récente a été mise en place, avec les commerçants de Meyrin- Village, au moment de l’ouverture du chantier de la tranchée couverte de Meyrin. Compte tenu de l’ampleur et de la durée estimée de ce chantier, cette commission sera vraisemblablement la plus active. Les décisions intermé-diaires qu’elle sera amenée à prendre seront probablement indispensables pour certains commerces.

IV. Bilan et conclusion

A l’issue de ces observations, on constate tout d’abord que les grands projets d’infrastructures publiques font aujourd’hui l’objet de réflexions sur la gestion des nuisances du chantier et que les collectivités publiques ne se contentent plus d’invoquer l’utilité publique des travaux en réponse aux réclamations du voisinage. Une attention toute particulière est portée sur la situation des commerçants et autres professionnels actifs dans le périmètre du chantier.

La protection juridique que leur confère le droit suisse n’est pas suffisante et le recours aux tribunaux n’apporte pas une réponse rapide et efficace à leurs besoins.

Les mesures prises par l’Etat de Genève dans le cadre des récents chan-tiers d’extension des voies de tramway ont permis de pallier à ces lacunes. A l’issue d’un processus participatif, au cours duquel les commerçants peuvent exprimer leurs difficultés, des dispositions sont prises pour atténuer les nui-sances et compenser les répercussions négatives des travaux. Sans grever excessivement le budget du projet, les commissions de compensation per-mettent le versement rapide d’indemnités lorsqu’elles sont justifiées et néces-saires au maintien des activités et des emplois dans le quartier.

Au-delà de l’aspect purement économique, la démarche offre au maître de l’ouvrage la possibilité de réaliser son ouvrage dans un contexte consen-suel et dans le respect réciproque des intérêts de toutes les parties.

La protection du patrimoine

Lucien Lazzarotto

Avocat

I. Introduction

La préservation de notre environnement, bâti ou naturel, est indéniablement une mission collective d’intérêt public. Elle permet de conserver les témoi-gnages marquants de l’évolution de notre société, qu’il s’agisse d’un site, d’une œuvre architecturale ou d’un objet mobilier.

Les préambules des principales conventions ou chartes internationales traitant du sujet expriment parfaitement cette nécessité.

Préambule de la Convention de Paris (UNESCO)1:

« La dégradation ou la disparition d’un bien du patrimoine culturel et natu-rel constitue un appauvrissement néfaste du patrimoine de tous les peuples du monde. »

Préambule de la Convention de Grenade2:

« […] le patrimoine architectural constitue une expression irremplaçable de la richesse et de la diversité du patrimoine culturel de l’Europe, un témoin inestimable de notre passé et un bien commun à tous les européens […] il importe de transmettre un système de références culturelles aux générations futures, d’améliorer le cadre de vie urbaine et rurale et de favoriser par la même occasion le développement économique, social et culturel des Etats et des régions. »

Préambule de la Charte de Venise3:

« Chargées d’un message spirituel du passé, les œuvres monumentales des peuples demeurent dans la vie présente le témoignage vivant de leurs tra-ditions séculaires. L’humanité, qui prend chaque jour conscience de l’unité des valeurs humaines, les considère comme un patrimoine commun, et,

1 Convention de Paris 1972 concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel (RS 0.451.41).

2 Convention de Grenade 1985 pour la sauvegarde du patrimoine architectural de l’Europe (RS 0.440.4).

3 Charte de Venise 1964 sur la conservation et la restauration des monuments et des sites (Conseil international des monuments et des sites, association ICOMOS, voir site http://www.

international.icomos.org/home_fra.htm).

vis-à-vis des générations futures, se reconnaît solidairement responsable de leur sauvegarde. Elle se doit de les leur transmettre dans toute la richesse de leur authenticité. »

Une partie des milieux immobiliers manifeste cependant encore une cer-taine méfiance à l’égard des acteurs de la protection du patrimoine. Cette attitude découle de plusieurs facteurs :

– les importantes restrictions au droit de la propriété qui accompagnent une mesure de protection ;

– l’opposition naturelle existant entre les valeurs « traditionnelles » du droit de la propriété et le principe même de la protection patrimoniale, notam-ment lorsqu’elle s’étend aux parties purenotam-ment privatives d’un bâtinotam-ment, inaccessibles aux tiers et invisibles du domaine public ;

– le sentiment d’être « à la merci » de commissions ou d’associations déte-nant un pouvoir très étendu et défendant une sensibilité qui ne trouve pas forcément un écho immédiat au sein de la population ;

– la relative imprévisibilité des mesures de protection en cause ;

– l’absence d’indemnisation découlant du fait que les mesures de protec-tion du patrimoine sont rarement assimilées à des cas d’expropriaprotec-tion matérielle.

La définition du « monument » ayant largement évolué au fil du temps, elle s’étend aujourd’hui à des constructions récentes, y compris artisanales ou industrielles, ou à des bâtiments qui n’ont pas de relief particulier sur le plan architectural, mais présentent un intérêt historique, culturel ou social.

De fait, il arrive qu’un immeuble, qui n’était ni inscrit à l’inventaire, ni inclus dans une zone protégée et qui n’avait, par hypothèse, jamais fait l’objet d’at-tention auparavant, soit visé par une procédure de classement. Il en résulte une insécurité juridique pour le propriétaire concerné. Celui-ci peut voir sou-dainement disparaître la possibilité de réaliser le projet immobilier qu’il avait éventuellement en vue. De plus, si toute indemnisation de cette perte de ren-dement ou de jouissance lui est refusée, il a le sentiment de devoir supporter seul un effort financier qui devrait, de son point de vue, être assumé par la collectivité.

Une politique de protection du patrimoine bien acceptée doit donc repo-ser sur une judicieuse pesée d’intérêts entre la mission susmentionnée, les droits des propriétaires concernés et les autres intérêts publics en présence (politique énergétique, aménagement du territoire, besoin de logements, dé-veloppement durable, etc.).

La présente contribution se propose, dès lors, de passer en revue :

– les outils de la protection du patrimoine (tels qu’on les connaît à Genève) et la manière dont ils ont progressivement évolué (classements, inven-taires, recensements, zones protégées, plans de site, clause d’esthétique, règles sur la protection de la nature, etc.) ;

– les solutions fournies par la jurisprudence quant à l’application de ces outils et en ce qui concerne les droits des propriétaires.

Il ne sera, bien entendu, pas question de porter ici des jugements de prin-cipe sur tel ou tel cas concret de classement ou de protection d’un bâtiment.

Un examen critique de ce genre de décisions ne pourrait être légitimement conduit que par des spécialistes du bâti (historiens, historiens de l’art, archi-tectes et urbanistes). La suite de la présente contribution portera ainsi uni-quement sur le cadre juridique de cette protection et sur les conséquences, pour le propriétaire, des mesures susceptibles de lui être imposées dans ce domaine.

Une réflexion relative aux moyens, existants ou à promouvoir, permet-tant de réduire les conflits en matière de protection du patrimoine achèvera cet exposé. Il s’agira essentiellement de pistes visant à rendre la situation ju-ridique des bâtiments plus prévisible, à limiter les conséquences éventuelle-ment inéquitables des mesures de protection et à inscrire le patrimoine dans la dynamique de l’aménagement du territoire.

II. Généralités