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La responsabilité de l’Etat pour actes illicites suppose, outre l’existence d’une base légale ou constitutionnelle, que soient établis un acte illicite, un dom-mage et un lien de causalité – naturelle et adéquate – entre l’un et l’autre22. Quelques législations cantonales exigent, en plus, qu’une faute soit établie23 ou chargent l’autorité de prouver qu’en cas d’acte illicite, aucune faute n’est imputable à l’agent public en cause24. Dans le canton de Genève, cette condi-tion supplémentaire est certes prévue par le droit cantonal, mais elle ne revêt pas – ou ne devrait pas revêtir – une grande importance en pratique25.

Si le fait dommageable consiste dans l’atteinte à un droit absolu – la vie ou la santé humaines, ou encore le droit de propriété, en particulier –, l’il-licéité est d’emblée réalisée (Erfolgsunrecht), sans qu’il soit nécessaire de

re-19 Pour un constat similaire, Weber-Dürler, Staatshaftung, p. 408. La question est notamment examinée, puis écartée par le TF dans un arrêt concernant la révocation d’une subvention (TF [30.05.1995] ZBl 1996, pp. 91-94, consid. 4).

20 Voir, par ex., Werro, Responsabilité, pp. 80-84, nos 305-319 ; Rey, pp. 10-12, nos 36a-47.

21 TF (30.05.1995) ZBl 1996, pp. 91 ss, consid. 4a/aa.

22 Voir notamment Sobotich, pp. 104 ss ; Mayhall, p. 261 ss. Pour une synthèse, voir Rey, pp. 25-28, nos 117-130.

23 Art. 1 al. 1 et 2 al. 1 de la loi genevoise sur la responsabilité de l’Etat et des communes, du 24 fé-vrier 1989 (LREC GE ; RS GE A 2 40). Les cantons d’Appenzell Rhodes-Intérieures et des Grisons ont renoncé à l’exigence de la faute dans leur nouvelle loi (art. 26 al. 1 Appenzeller I. Rh. Perso-nalverordnung, du 30 novembre 1998 [PeV AI ; RS AI 172.310] ; art. 3 Bündner Gesetz über die Staatshaftung, du 5 décembre 2006 [SHG GR ; RS GR 170.050]). Le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures maintient une responsabilité personnelle des agents publics en cas de faute (art. 26 al. 2 PeV AI).

24 § 4 al. 1 Luzerner Haftungsgesetz, du 13 septembre 1988 (HG LU ; RS LU 23).

25 Tanquerel, pp. 356-359.

chercher si et de quelle manière l’auteur a violé une norme de comportement spécifique26. Si, en revanche, le fait dommageable porte atteinte à un autre in-térêt – de nature patrimoniale, par exemple –, l’illicéité suppose que l’auteur ait violé une norme de comportement ayant pour but de protéger le bien ju-ridique en cause (Verhaltensunrecht)27. Cette violation doit généralement revê-tir une certaine gravité28. Une omission peut aussi, le cas échéant, constituer un acte illicite, « mais il faut alors qu’il existât, au moment déterminant, une norme juridique qui sanctionnait explicitement l’omission commise ou qui imposait à l’Etat de prendre en faveur du lésé la mesure omise »29. Un tel chef de responsabilité se fonde sur la position de garant (Garantenstellung) de l’Etat vis-à-vis du lésé et la violation des prescriptions qui déterminent la nature et l’étendue de ce devoir30.

Lorsqu’une voie de recours est ouverte contre une décision rendue par l’autorité compétente – une décision de déclassement ou un refus d’autorisa-tion de construire, par exemple –, elle doit, en principe, être empruntée avant qu’entre en ligne de compte une éventuelle responsabilité de l’Etat, confor-mément à un principe bien établi31. A défaut, le justiciable perd, en règle gé-nérale, son droit de contester la licéité de la décision dans le cadre d’une ac-tion en responsabilité contre l’Etat32. Des exceptions sont faites à cette règle notamment si le moyen de droit offert ne permet pas la correction de l’acte litigieux, mais seulement la constatation de son caractère illicite33, ou si la

26 ATF 132 II 305, consid. 4.1. Voir aussi Weber-Dürler, Staatshaftung, p. 396 ; Sobotich, pp. 70 s.

et 77 s. ; Jaag, Staatshaftung, pp. 59 s. Pour un examen de ces questions s’agissant des normes de planification et de police des constructions, voir Sobotich, pp. 117-128.

27 ATF 132 II 305, consid. 4.1 et les références jurisprudentielles et doctrinales. Voir aussi Weber-Dürler, Staatshaftung, pp. 396 s. ; Sobotich, pp. 77 s. (synthèse) ; Jaag, Staatshaftung, pp. 60-62 ; Favre, p. 16.

28 Tanquerel, p. 358 ; Favre, p. 16.

29 ATF 132 II 305, consid. 4.1. Voir aussi Weber-Dürler, Staatshaftung, p. 396.

30 ATF 132 II 305, consid. 4.1. Voir aussi Sobotich, pp. 72 s. ; Jaag, Haftung, p. 26, no78 ; Zufferey, Fragen, p. 38 ; Favre, p. 5.

31 Voir, dans une optique générale, TF (18.06.2008) 2C_25/2008, consid. 3.2 ; ATF 126 I 144, consid.

2a. En doctrine, voir notamment Schön, pp. 189 ss ; Knapp, Construction, p. 52 ; Moor, Droit administratif II, pp. 725-727 ; Jaag, Verfügungen, pp. 352-354.

32 TF (18.06.2008) 2C_25/2008, consid. 3.2 ; ATF 129 I 139, consid. 3.1. Voir, par ex., art. 12 de la loi fédérale sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires, du 14 mars 1958 (LRCF ; RS 170.32) : « La légalité des décisions, d’arrêtés et de jugements ayant force de chose jugée ne peut pas être revue dans une procédure en responsabi-lité. » ; § 21 al. 1 Zürcher Haftungsgesetz, du 14 septembre 1969 (RS ZH 170.1) ; § 4 al. 2 HG LU ; § 5 Baselstadtisches Haftungsgesetz, du 17 novembre 1999 (RS BS 161.100) ; art. 3St. Galler Verant-wortlichkeitsgesetz, du 7 décembre 1959 (VG SG ; RS SG 161.1) ; art. 5 al. 2 de la loi neuchâteloise sur la responsabilité, du 26 juin 1989 (RS NE 150.10). En doctrine, voir notamment Jaag, Haftung, pp. 42-44, nos122-128.

33 TF (18.06.2008) 2C_25/2008, consid. 3.2 ; TF (08.05.2007) 2A.604/2006, consid. 4.1. Voir aussi Jaag, Verfügungen, p. 354.

voie de droit ouverte ne répond pas aux exigences des articles 6 § 1 CEDH et 29 à 30 Cst. féd. alors que ces garanties sont applicables34. Le droit cantonal peut cependant permettre plus largement la contestation de la licéité d’une décision entrée en force dans le cadre d’une action en responsabilité contre l’Etat. La législation genevoise est muette sur ce point35, mais le Tribunal fé-déral admet que les autorités genevoises exigent du justiciable qu’il utilise toutes les voies de recours ouvertes pour contester la licéité d’une décision et que, s’il y renonce, il ne puisse, en principe, pas la remettre en cause dans une action en responsabilité contre l’Etat36. La portée de cette jurisprudence ne se limite pas au canton de Genève, mais concerne potentiellement les autres cantons dont la législation est également silencieuse sur ce point37. Enfin, lorsqu’une protection juridique existe contre un acte matériel de l’Etat, elle doit être utilisée38 avant qu’entre en ligne de compte une action en responsa-bilité contre celui-ci39.

Si le justiciable obtient gain de cause devant l’autorité de recours et que l’illicéité d’une décision est établie, il ne pourra, en principe, obtenir une ré-paration du dommage subi qu’en présence d’une erreur grave et manifeste ou de la violation d’un devoir essentiel de l’autorité de première instance40. Ainsi, par exemple, le comportement d’un juge n’est illicite que lorsqu’il viole un devoir essentiel à l’exercice de sa fonction41.

Le recours en matière de droit public (art. 82 ss LTF) représente la voie ordinaire de recours devant le Tribunal fédéral dans le domaine de la res-ponsabilité de l’Etat pour actes illicites, le recours en matière civile n’étant qu’exceptionnellement ouvert sur la base de l’art. 72 al. 2 let. b LTF pour les causes relevant de la responsabilité de l’Etat pour les activités médicales42.

34 Voir ATF 126 I 144, consid. 3, JdT 2000 I 564. Sur cette problématique, voir spécialement Feller, pp. 123-135.

35 Tanquerel, p. 364.

36 TF (18.06.2008) 2C_25/2008, consid. 3.2 et 3.3 (affaire concernant un prétendu dommage causé par la saisie conservatoire de comptes bancaires).

37 Voir aussi Feller, pp. 114-117.

38 Sur la protection juridique existant contre un acte matériel et le déficit qui subsiste en la matière, voir Feller, pp. 23 s. S’agissant du droit fédéral, voir désormais art. 25a de la loi fédérale sur la procédure administrative, du 20 décembre 1968 (RS 172.021).

39 Comp. Feller, pp. 25 s.

40 Voir Knapp, Construction, p. 54 ; Moor, Droit administratif II, p. 725. A titre d’illustration, voir art. 7 al. 2 SHG GR : « Wird eine Verfügung, ein Entscheid oder ein Urteil im Rechtsmittelverfah-ren oder im AufsichtsverfahRechtsmittelverfah-ren geändert, haftet das Gemeinwesen nur bei Vorsatz oder grober Fahrlässigkeit der unteren Instanz. ».

41 TF (18.06.2008) 2C_25/2008, consid. 3.2.

42 ATF 133 III 462, consid. 2.1. Voir aussi art. 31 al. 1 let. d du règlement du Tribunal fédéral du 20 no-vembre 2006 (RS 173.110.131).

II. La planification territoriale