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Outre l’évolution observée quant à la notion « d’objet présentant un intérêt » (voir supra III.B), les autorités chargées de la protection du patrimoine ont également modifié leur approche en ce qui concerne l’étendue de la protec-tion. Elles s’attachent depuis de nombreuses années à préserver l’essence des constructions, dans leur globalité. Cela implique de bannir le « façadisme », consistant à ne protéger que l’extérieur des bâtiments34, même si cette solu-tion a été défendue sous l’angle juridique, dans le cas de bâtiments privés, inaccessibles au public35.

Dans le même ordre d’idée, alors que le classement s’arrêtait traditionnel-lement aux limites des bâtiment, les autorités ont pris à présent conscience du rôle des abords des édifices (jardins, allées, etc.), avec lesquels les constructions

31 RDAF I 2000 206, 208.

32 ATF 126 I 219, ATF 118 Ia 384 = JT 1994 I 508.

33 ATF 101 Ia 213, ATF 97 I 639.

34 Par exemple, les immeubles de la place du Bourg-de-Four ont fait, en leur temps, l’objet d’un classement limité aux façades.

35 Voir, pour un débat à ce sujet, le cas de la Villa le Corbusier à Neuchâtel in BR/DC 1/85 10 et les notes des commentateurs (Arrêt du Tribunal administratif neuchâtelois du 15 février 1983 en la cause Rham et consorts contre Département des Travaux publics).

interagissent et qui méritent par conséquent d’être intégrés à la mesure de protection.

A signaler également l’une des pierres angulaires des principes de conservation, établie dès 1964 par l’ICOMOS dans la Charte de Venise : le bannissement du pastiche.

« Article 9

La restauration est une opération qui doit garder un caractère exceptionnel.

Elle a pour but de conserver et de révéler les valeurs esthétiques et histo-riques du monument et se fonde sur le respect de la substance ancienne et de documents authentiques. Elle s’arrête là où commence l’hypothèse, sur le plan des reconstitutions conjecturales, tout travail de complément reconnu indispensable pour raisons esthétiques ou techniques relève de la composi-tion architecturale et portera la marque de notre temps. La restauracomposi-tion sera toujours précédée et accompagnée d’une étude archéologique et historique du monument. »

« Article 12

Les éléments destinés à remplacer les parties manquantes doivent s’intégrer harmonieusement à l’ensemble, tout en se distinguant des parties originales, afin que la restauration ne falsifie pas le document d’art et d’histoire. »

« Article 13

Les adjonctions ne peuvent être tolérées que pour autant qu’elles respectent toutes les parties intéressantes de l’édifice, son cadre traditionnel, l’équilibre de sa composition et ses relations avec le milieu environnant. »

G. Aubert36, expliquant que le but d’un classement est le maintien de la substance même des édifices, a utilisé, au sujet du pastiche, une formule sou-vent reprise depuis :

« Le pastiche est au monument ce que le mensonge est à la vérité. La matière des édifices vieillit, et ce n’est qu’à travers ce vieillissement qu’elle acquiert non seulement son charme, mais aussi la possibilité de porter témoignage sur l’époque qui l’a façonnée. La copie, elle, ne renvoie qu’au temps de sa survenance. Elle est une manifestation de pauvreté ».

En revanche, une évolution sans doute regrettable est celle qu’a connue l’institution de l’inventaire. Originellement (et c’est encore ainsi que la juris-prudence le décrit37) l’inventaire était un « signal d’alarme », une mesure de surveillance et non de protection au sens propre (tel le classement) ; il per-mettait d’attirer l’attention des autorités sur le bâtiment, en cas de demande d’autorisation de construire ou de procédure d’aménagement. Depuis les

an-36 Aubert, La protection du patrimoine architectural en droit genevois, p. 11.

37 Voir par exemple ATA/463/2004 du 25.05.2004, cause A/1235/1998.

nées 1990, l’inventaire est, de par ses effets pratiques, un quasi-classement et ne s’en distingue pratiquement que par l’absence de droit de préemp-tion de l’Etat. Il s’agit d’une perte de souplesse, dont les autorités semblent conscientes, puisqu’elles réfléchissent actuellement à la création d’outils

« intermédiaires ».

Sur le plan pratique, on relèvera que la Commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) ne se voit soumettre désormais les dossiers qu’une fois en cours de procédure, ce qui la rend de facto moins intervention-niste. Quant au service des monuments et des sites (SMS), qui est plus à même de rechercher et trouver des compromis avec les propriétaires, il semble de plus en plus conscient du fait que la perte de valeur potentielle d’un immeuble découlant d’une mesure de protection est un élément de « l’équation » et ne doit plus être plus traitée comme « le problème du propriétaire ».

Enfin, après une vingtaine d’années (entre 1980 et 2000) durant lesquelles l’instrument du plan de site n’a pratiquement plus été utilisé, la tendance consistant à promouvoir ce moyen comme l’outil privilégié des profession-nels de la conservation s’affirme38. La sauvegarde étant un aspect de la ges-tion de l’aménagement d’une région, le plan de site permet de tenir compte du « mille-feuille dynamique » qu’est un territoire et de faire dialoguer évolu-tion et conservaévolu-tion.

En résumé, après un XIXe siècle destructeur (en partie en raison de la volonté d’éliminer les « taudis ») on est devenu plus (certains diront trop) pru-dents, mais l’intégration des questions de conservation dans la logique de l’aménagement du territoire est de bon augure.

IV. Les outils actuels de la protection du patrimoine (bases légales et textes de références)

La protection du patrimoine et des sites est, sous réserve de quelques aspects, un domaine relevant principalement de la compétence des cantons. De fait, la législation fédérale et internationale se limite essentiellement à définir des principes et des missions.

38 Plusieurs plans de site ont été adoptés depuis 2001 : Fossard, Thônex (ACE du 26 février 2003), la Roseraie et Beau-Séjour, Genève-Plainpalais (ACE du 5 mars 2003), Ecogia, Versoix (ACE du 28 juillet 2004). Actuellement 7 plans de site sont en cours d’adoption (notamment les squares de Montchoisy, Grange-Canal et Le Lignon).