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METHODOLOGIE D’ENQUETE

CHAPITRE 2 - RESULTATS : USAGE DES DONNEES DE SURVEILLANCE POUR LA

2. Une circulation limitée de données de surveillance : contraintes stratégiques et économiques au premier plan

2.2. Les données SPATIONAV : convoitées mais sensibles

Comme évoqué précédemment (cf. P2-Chap 2.1.3), rares sont les enquêtés à avoir eu l’occasion de manipuler, de près ou de loin, les données issues du systèmes SPATIONAV. Officiellement, « les données Spationav, il n'y a que l'État qui y a accès » (Nouvel usager 4), pour répondre aux besoins de la Marine nationale, qui « se pose 100% du temps la question de

savoir qui est qui, qui va où, qui fait quoi en mer » (Décideur national 18) pour « prévoir les

comportements, […], détecter les activités illicites » (Décideur national 1).

Toutefois, certaines sociétés comme RTE73 ou EDF74 ont pu avoir accès à des lots de données dans le cadre de l’évaluation des risques associés aux infrastructures éoliennes offshore, à certaines conditions : « on arrive à les avoir, mais elles n'ont pas cette vocation, on

n’a pas le droit de les utiliser pour ça, pas le droit de les conserver. Et dans le cadre de nos concertations, ce sont des données confidentielles qui servent uniquement en amont, et elles ne sont utilisées qu'en interne, pas diffusées ». Pour expliquer cet accès exceptionnel, un

enquêté précise : « ce n’est pas neutre si les porteurs de projets qui ont pu bénéficier de ces

données, l'État en était actionnaire » (Nouvel usager 2). Mais pour le reste, « personne d'autre

qu’eux n'y a accès apparemment » (Décideur national 18), « aujourd'hui, je pense que cette donnée

est jalousement gardée dans un coin, et très peu utilisée » (Décideur infranational 6).

Pourtant, plusieurs enquêtés affirment leur intérêt pour ces données : « on a fait des

demandes, on n'a jamais pu y accéder. Mais il y a un intérêt » (Producteur 2) ; « j'avais voulu

acquérir un échantillon de données SPATIONAV […]. Je m'étais fait un peu balader. J’aurais été curieux […] clairement » (Usager historique 9) ; « je voulais faire de la Région une zone

d'expérimentation pour exploiter SPATIONAV pour toute la planification spatiale maritime […], mais même après avoir écrit au ministère il y a 2/3 ans de ça, je suis resté sans nouvelles »

(Décideur infranational 2). Plus récemment, la portion AIS des données SPATIONAV semble avoir

73 RTE (sigle du Réseau de transport d'électricité) est le gestionnaire responsable du réseau public de transport d'électricité haute tension en France métropolitaine.

74 Électricité de France (EDF) qui se place comme le premier fournisseur d’électricité en France, est une entreprise française, détenue à plus de 80 % par l'État.

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été plus facilement partagée, notamment par le biais du CEREMA75 : « on a une convention

avec le CEREMA pour l'accès aux données AIS. Uniquement sur la partie AIS de Spationav pour le moment » (Producteur 5).

La raison principale invoquée par les enquêtés pour expliquer ce défaut d’accessibilité tient à la « sensibilité opérationnelle » (Décideur national 18) des données transitant par le système : « la

Marine a vraiment eu peur quand ils ont vu ces cartes, […] ils se sont rendu compte que des porteurs de projets, des entreprises privées, pouvaient détecter des activités de défense » (Nouvel usager 3) ; « Quand les données Spationav sont arrivées, c'était un pavé dans la mare. Déjà parce

que personne ne savait que c'était arrivé […]. Et l'État, réveillé par les préfets, a pris subitement conscience du caractère stratégique de ces données » (Nouvel usager 2). En l’occurrence, « c’est le

radar qui est particulièrement sensible, parce qu'il peut y avoir des pistes qui ne sont pas à publier, sur certains mouvements qui sont dans le trafic et qui nous concernent nous [La

Marine] ». A ce titre, la plupart des enquêtés s’accordent à dire que, « autant il peut y avoir

de l'ambiguïté sur certaines données descriptives des activités humaines, autant sur la défense il n'y a pas beaucoup d'ambiguïté. Vous n'y avez pas accès, point » (Producteur 1), « c’est de la

sécurité publique, c'est confidentiel. C'est...de la défense » (Usager historique 6). En réponse à cette problématique, la Marine a alors mis en place des « filtres […] pour dissimuler les activités

sensibles » (Nouvel usager 2). Au résultat, « que cela ait été volontaire, ou bien qu’ils aient

paramétré un filtre de façon absurde, en tout cas on n'a plus rien. […] La donnée [SPATIONAV] est inexploitable, on aurait plus d'information sur l'activité maritime dans le raz Blanchard si on avait une donnée Marine Trafic » (Nouvel usager 3).

En plus de cette sensibilité opérationnelle, les données SPATIONAV présentent aussi une «

sensibilité industrielle », car « SPATIONAV, c'est construit par une filiale d'Airbus, et si vous analysez en rétro-engineering les logs du system, vous pouvez […] trouver certains secrets industriels ». Ainsi, quand bien même il n’y ait « pas de propriété des données, il y a une propriété des modèles de données » et « des questions de la valeur associée » (Décideur national 18).

En dépit de ces différentes sensibilités, deux enquêtés affirment : « c'est de la donnée […] à

laquelle il faut qu'on puisse accéder, […] qui ne peut pas rester sanctuarisée comme ça » (Usager historique 8) ; « Je pense qu'on devrait quand même pouvoir ouvrir un certain nombre de choses.

75 Le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA), établissement public sous la tutelle conjointe du ministre de la transition écologique et solidaire, et du ministre de la cohésion des territoires, se positionne comme le principal fournisseur d’informations vers les décideurs dans le cadre de la PEM. L’un des enquêtés le qualifie à ce titre de « porteplume des décideurs » (Nouvel usager 2).

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Je considère qu'en même temps quand l'État a mis des millions d'euros, ce n’est pas juste pour faire plaisir à une institution, je pense qu'il faut ouvrir, ça me parait normal, et puis faire confiance à l'intelligence collective après » (Décideur infranational 15). Cette position est partagée par deux décideurs au niveau national : « il faut faire en sorte que l'administration applique la

réglementation en termes d'ouverture des données » (Décideur national 7), « je pense réellement

que les données doivent être accessibles aux citoyens. […] La donnée publique n'appartient pas à l'État. C'est-à-dire que les données doivent être accessibles au public parce qu'on est quand même citoyens. Il faut se battre pour cela, pour travailler dessus. Il faut faire les demandes. Je crois qu'on est citoyen et qu'on a un droit de regard. […] Que la Marine enregistre des données avec l'argent des citoyens et que ceux-ci ne puissent y accéder… » (Décideur national 1). Toutefois, ces derniers notent que ceci ne peut se faire qu’« avec des règles, à définir ou à préciser » (Décideur national 1) afin de tenir compte des enjeux de sensibilité, et qu’il ne s’agirait « pas

d’open data complet, […] mais sans doute plutôt avec une géométrie variable » (Usager historique 8).

Paradoxalement, ce sont les nouveaux usagers, dont certains ont pu accéder aux données SPATIONAV, qui se montrent les plus prudents : « de la donnée purifiée pourrait être, de

façon parcimonieuse, à un moment, fournie à un porteur de projet dans un contexte très spécifique » (Nouvel usager 2), « en coordination avec l'État qui reste à mon avis le garant de

l'objectivation de son utilisation » (Nouvel usager 3), mais globalement, « je crois qu’on n’arrivera

jamais à ouvrir ces données. Leur destinataire sera toujours quelqu'un d'éclairé et ayant l'autorité de l'État. Je ne pense pas qu'on puisse en faire un objet commercial qui puisse être utilisé de façon open ou payante » (Nouvel usager 2).

Du côté de la Marine, la prudence est aussi de mise : « déjà l'application de la loi République

numérique dans le monde de la défense, ce n’est pas hyper simple, enfin clairement je pense même que c'est hors périmètre avec des clauses d'exclusion », donc « à ce stade on n’a pas de cadre juridique facile à mettre en place pour partager des données ». Dans tous les cas, si elles

circulaient, cela serait « à condition qu’elles soient désensibilisées, et là il faut avoir les moyens

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