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METHODOLOGIE D’ENQUETE

CHAPITRE 2 - RESULTATS : USAGE DES DONNEES DE SURVEILLANCE POUR LA

3.1. L’importance accordée au maintien de la « paix sociale » dans la prise de décision sur l’espace maritime métropolitain

3.1.2. Le cas emblématique de la planification de l’éolien offshore

De l’avis de la plupart des enquêtés, le cas de la planification de l’éolien offshore est emblématique des difficultés rencontrées par la PEM française. Premièrement car le développement de l’éolien est en quelque sorte à l’origine de la PEM en Europe et en France : « La volonté de cette directive PEM, c'était quand même de faire en sorte qu'on colle

des nouvelles activités au milieu des anciennes : on veut mettre des énergies en mer alors qu'il y a des endroits où il y a des pêcheurs et autres » (Décideur national 1). Dans le cas français, les réflexions sur l’éolien en mer ont même précédé la directive PEM de quelques années, puisque la France a commencé une planification sectorielle dès 2007, sept ans avant l’établissement de la DCPEM. Cela dit, un nouvel usager souligne que « la définition des

zones des premiers appels d'offre, [n’était] pas tant réfléchie ou planifiée, à part à partir des propositions des industriels » (Nouvel usager 5).

Deuxièmement car l’acceptation est là aussi considérée comme un facteur clé, voire bloquant. Cette acceptation concerne à la fois « les élus du littoral et madame Michu89 » mais aussi et surtout « les usages existants de l'espace marin » (Décideur infranational 16). En effet, selon certains, « ce qui bloque, c’est surtout la question des usages » (Décideur infranational 10), car « des

zones complétement vierges de toute activité et où le vent est favorable, il n'y en a pas. Quand bien même on prendrait toutes les données où tous les référentiels de données qu'on veut... des zones parfaites sur lesquelles il y a aucune activité, aucun enjeu environnemental et un super vent, ça n'existe pas » (Nouvel usager 4), et toute nouvelle implantation se fera « nécessairement

dans le jardin de quelqu’un » (Décideur infranational 16). Dès lors, « on se retrouve sur des

oppositions locales, souvent frontales » (Nouvel usager 5) particulièrement avec « la pêche, qui se

fait le plus entendre » (Décideur infranational 8), les pêcheurs craignant « de voir leur zones limitées

ou réduites » (Décideur infranational 8), et « le principe NIMBY90 vole à tous les recours » (Nouvel usager 3). Cette position du secteur de la pêche est résumée comme tel par un nouvel usager : « nous [les pêcheurs] ne voulons pas d'activité autre que la nôtre, c'est notre terrain de jeu,

mais l'État à tout pouvoir pour autoriser autre chose. Donc l'État prend ses responsabilités, et quand il a décidé qu'il y aurait autre chose, on se met autour de la table et on négocie » (Nouvel usager 1).

89 Sous-entendu : n’importe quel citoyen résidant sur le littoral. Expression souvent connotée péjorativement. 90 NIMBY est l’acronyme de l'expression « Not In My BackYard », qui ne signifie « pas dans mon arrière-cour ». Le terme est généralement utilisé pour décrire l'opposition de résidents à un projet local d’intérêt général dont ils considèrent qu’ils subiront des nuisances.

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Comme souligné par plusieurs enquêtés, ces « jeux d’acteurs peuvent rapidement amener à

prendre des retards énormes » (Producteur 2), et, si la France affiche qu’elle « veut mettre des

éoliennes [en mer] depuis 2007, […] il n’y a toujours pas un champ en opération, aujourd'hui 10 ans après » (Décideur national 1), « la seule éolienne qui tourne aujourd'hui est expérimentale » (Décideur infranational 8). Pour un nouvel usager, cette situation « inquiète sur la capacité de la

France à faire », alors que « c'est une filière qui est portée, soutenue, annoncée » (Nouvel usager 1). Certains décideurs voient dans ces blocages l’expression du phénomène d’appropriation excessive de l’espace par les acteurs de la pêche rapporté au précédemment, qu’ils décrivent parfois comme une forme de système « mafieux » (Décideur infranational 5). Ainsi, certains considèrent que, dans le cadre du développement de l’éolien, l’État est en train de laisser les pêcheurs « vendre à leur profit le domaine de l'État qui ne leur appartient pas » (Décideur infranational 5) par le biais d’arrangements plus ou moins officiels : « pots de vin » (Décideur infranational 2), « taxe éolienne91 » (Décideur infranational 15). Un décideur au niveau infranational en dresse un constat sévère : « ce n'est pas une politique de l'État, c'est une

politique de shérif impuissant qui prend acte, ou du Sud de l'Italie : oui je suis le maire mais je vais prendre mes ordres chez le parrain mafieux. C'est à la limite la raison du plus fort, comme toujours, […] un peu comme dans Lucky Luke -La loi du Pecos-, c'est la raison du plus fort. C’est-à-dire : qui domine et qui nous emmerde ? Les pêcheurs. A quel prix ils sont prêts à accepter ? La marge de manœuvre de l'État a été très simple et s'est limitée à demander : est-ce que les chèques passent sous ou sur la table ? C'était ça notre boulot, le seul » (Décideur infranational 5). En somme, « il fallait graisser la patte des pêcheurs, c'est ça, c’est clair, je ne peux

pas dire autrement » (Nouvel usager 2), donc « on les a un peu achetés » (Décideur infranational 15).

Dans ce contexte, la question des données prend à nouveau une place significative. En effet, « il faut évidemment se faire communiquer toutes les données possibles pour avoir une analyse

objectivée de l'endroit meilleur où on pourrait positionner un parc éolien » (Décideur infranational 4), « parce que ce n’est pas au doigt mouillé qu’on va savoir où mettre le parc » (Décideur infranational 16). « Pour opérer le croisement des différentes contraintes de chacune des activités pour

91 L’article 1519 B du code général des impôts (CGI) institue, au profit des communes et des usagers de la mer, une taxe annuelle sur les installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent situées dans les eaux intérieures ou la mer territoriale. Cette taxe est acquittée tous les ans par l’exploitant de l’unité de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent et est affecté au fonds national de compensation de l'énergie éolienne en mer. Les ressources de ce fonds sont réparties entre les communes littorales impactées (50%), les comités des pêches concernés (35%) et dans une moindre portion au développement durable d’autres activités en mer (5%), à l’OFB (5%) et aux organismes de secours en mer (5%).

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arriver à des zones pour l’éolien en mer, il nous faut des données, et il faut des données précises, fiables et importantes » (Nouvel usager 4), afin « de pouvoir objectiver les controverses92 »

(Décideur infranational 15) liées au partage de l’espace. Ainsi, « plus on voudra aller fin, plus on aura

des oppositions, et plus il faudra arriver avec un ensemble de données pour convaincre ceux qui seraient exclus d’une zone » (Décideur infranational 4). Cependant, face aux enjeux d’accessibilité des données de pêche décrits précédemment, un décideur rappelle : « quand il s'agit de

planifier l'éolien en mer, on n’a pas vraiment de billes » (Décideur infranational 17), et un producteur ajoute : « on a surtout de la donnée qui fournit une vue globale, et finalement si on veut faire un

travail précis, […] il faut aller plus loin, avec de la donnée plus précise, plus résolue » (Producteur 4), et que « si rien n'aboutit, alors il faut peut-être aller plus loin dans l'exploitation de

données » (Décideur infranational 3). Cependant, d’autres enquêtés considèrent à l’inverse que « les données, ce n'est pas ce qui va résoudre les problèmes […] La donnée elle sera acquise au

fur et à mesure, là-dessus je ne suis pas inquiet. Je pense que c'est à l'État de prendre de vraies décisions lorsque nécessaire » (Décideur infranational 8), ou que les données, « ce n’est pas

forcément ce qui va changer la donne », « on n’a pas toujours besoin de trucs super fins. Donc on n’est pas au poil de fesse de nombre de bateaux par hectare » (ONG 1), car « le courage

aujourd'hui, c'est de dire, indépendamment de l'interprétation de ces données […] qui porte la responsabilité de l'arbitrage » (Nouvel usager 3).

92 Une controverse peut être entendue comme un désaccord autour duquel les acteurs vont organiser les débats et donc la décision (Beuret et al., 2006).

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3.2. L‘importance accordée au caractère acceptable des données et