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2. La planification de l’espace maritime : origines et définitions

2.3. La Planification de l’Espace Maritime (PEM) : définitions

A la suite de l’adoption de politiques maritimes intégrées développées autour du globe, la Planification de l’Espace Maritime (PEM) est apparue comme une approche de plus en plus nécessaire pour coordonner l'utilisation de l'espace et équilibrer les intérêts en mer (Schaefer & Barale, 2011). Sa dénomination exacte comme sa définition sont sujettes à de légères variations selon les auteurs, dont une synthèse est proposée ci-dessous. Comme précisé en introduction, c’est la dénomination de Planification de l’Espace Maritime (PEM) que nous retenons dans cette thèse, en accord avec la transposition en droit français de la Directive-Cadre 2014/89/UE (cf. P1-Chap 1.2). En analogie, la littérature scientifique en langue anglaise emploie principalement celle de Maritime Spatial Planning (MSP13), traduite littéralement en Français par Planification Spatiale Maritime (PSM) pour désigner le même principe. Cette dénomination met l'accent sur la planification spatiale (Smith et al., 2011) appliquée au domaine maritime (Kidd et Ellis, 2012), quand celle utilisée par la France vient de la volonté de mettre en avant le caractère stratégique du processus au-delà de l'aspect spatial (De Cacqueray, 2011 ; Gourmelon et al., 2021).

En 2008, au nom de la Commission Océanographique Intergouvernementale (COI) de l’UNESCO, Charles Ehler décrit la PEM comme le « processus public d'analyse et d’allocation

spatiale et temporelle des activités humaines dans les zones marines en vue d'atteindre des objectifs écologiques, économiques et sociaux qui sont habituellement définis dans le cadre d'un processus politique ». Declers et al. (2008) la complète la même année en ajoutant que

13 L’acronyme MSP est aussi régulièrement décliné en « Marine Spatial Planning », ou « Planification de l’Espace Marin ». Si, dans la majorité des cas, cette déclinaison n’implique aucune différence dans le principe décrit ou étudié (approche planifiée du développement de l'espace en mer), il est communément admis – en Europe du moins- que l’adjectif « marin » désigne la composante environnementale de l’espace (physique, biologique, chimique), et que celui de « maritime » désigne sa composante anthropique (activités humaines en mer). Ces deux composantes étant inextricablement liées, et la gestion de l’environnement ne pouvant se concrétiser que par la planification des usages, l’adjectif « maritime » est retenu pour l’ensemble de la thèse.

34 ce processus doit être réalisé de « manière claire et transparente, intégrée, réduisant les

conflits et assurant la durabilité des ressources marines ». Au Royaume-Uni, à la création de

l’organisation de gestion maritime (Marine Management Organisation – MMO) en 2009, la PEM est définie comme « un processus de réglementation, de gestion et de protection de

l'environnement marin qui tient compte des utilisations multiples, cumulatives et potentiellement conflictuelles de la mer ». Dans ce cadre, elle est notamment présentée

comme un moyen de promouvoir la coexistence durable des activités compatibles et d’assurer le partage des ressources entre activités incompatibles (Douvere, 2008).

En 2009, Ehler et Douvère proposent un schéma générique du processus, illustré en Figure 9.

Ils y distinguent les étapes suivantes (C. Ehler & Douvere, 2009) :

 La mise en place du contexte administratif approprié (autorités, budgets).

 La définition des objectifs généraux, et de la répartition des compétences.

FIGURE 9.SCHEMATISATION GENERIQUE DU PROCESSUS DE PLANIFICATION DE L’ESPACE MARITIME. TRADUIT DE :EHLER ET DOUVERE,2009.

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 La mise en place d’un système de gouvernance approprié, permettant la participation des parties prenantes au long du processus.

 L’analyse spatiale de la situation existante (activités, état de l’environnement, etc.).

 L’évaluation prospective de la situation future.

 Le choix d’un scénario spatial désirable et accepté et sa formalisation en plan d’action.

 La mise en œuvre effective du plan d’action spatial.

 L’évaluation des résultats et l’adaptation du processus.

La PEM apparait alors comme un processus itératif complexe, en analogie aux approches de planification et d’aménagement du territoire terrestre (De Cacqueray, 2011 ; Dupuy & Merlin, 2003 ; Hugonie, 1998 ; Monod & Castelbajac, 2016), et pouvant répondre à une multitude d’objectifs qui restent à définir et hiérarchiser. Elle s’inscrit donc au-delà de la simple définition d’un outil dont la visée finale serait fixée au préalable et peut à ce titre être qualifiée de « principe organisateur » (Meur-Ferec, 2009), au même titre que la GIZC, incitant à la planification intégrée et prospective des usages de l’espace maritime, mais ne définissant pas par avance les objectifs qu’elle peut servir, ni la manière de les hiérarchiser. En ce sens, une des étapes fondatrices du processus consiste en la définition, dans le cadre d’un processus concerté où chacune des parties prenantes est amenée à représenter ses intérêts -publics ou privés-, d’une vision commune et acceptée concernant l’avenir de l’espace maritime et de ses usages. Son élaboration nécessite de définir, entre autres et pour toutes les parties prenantes, les limites et états acceptables des points de vue social, économique et environnemental, les objectifs désirables ou au moins acceptables, les règles qui devraient être respectées par toutes les activités humaines.

Si la vision maritime peut avoir été définie au préalable, au sein de stratégies maritimes nationales par exemple, la PEM amène à considérer la déclinaison spatiale de cette dernière. Elle repose à ce titre en grande partie sur la mobilisation d’outils et de supports cartographiques, que ce soit pour poser un diagnostic de l’existant, pour élaborer des scénarios d’aménagement ou pour la réalisation du Plan de l’Espace Maritime. Ce dernier document, dont l’exemple Néerlandais est présenté en Figure 10, est l’un des résultats principaux du processus de planification. Il repose sur la définition de zones -parfois superposées- où s’exercent des règles spécifiques, de protection, de cohabitation, de priorité et parfois d’exclusion. Ce rendu quasi « cadastral », souvent limité à deux dimensions par soucis de compréhension, est toutefois considéré par certains auteurs

36 comme insuffisant pour tenir compte de la variabilité spatiale et temporelle de certaines activités maritimes, des régulations qui les concernent ainsi que de leur dimension sociale et économique (Gissi et al., 2019 ; Gourmelon et al., 2014 ; St. Martin & Hall-Arber, 2008).

La définition de ces zones n’en demeure pas moins une étape cruciale du processus, qui interroge sur la manière de partager ce bien commun entre usagers et non pas de le diviser

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a priori entre « propriétaires ». Elle requiert donc la définition de compromis explicites entre

les objectifs et l’examen de scénarios alternatifs pour répondre aux besoins identifiés (Beck et al., 2009). Il est donc fondamentalement question non seulement de négociation entre les différentes parties prenantes, ne partageant pas toujours les mêmes objectifs et dont les intérêts et les visions du monde peuvent différer fortement, mais aussi d’arbitrage par la ou les autorités compétentes. Par conséquent, il est aussi et surtout question de pouvoir (exécutif ou d’influence) et de sa répartition, comme en témoigne l’abondante littérature scientifique consacrée au sujet, notamment en Europe (Clarke & Flannery, 2020 ; Flannery & Ellis, 2016 ; Trouillet, 2018). En ce sens, en dépit de la robustesse de sa construction théorique, reflétée par les nombreux travaux publiés à son sujet, la mise en œuvre opérationnelle de la PEM s’avère parfois complexe et controversée (C. Ehler et al., 2019 ; Gourmelon et al., 2021).