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Les distorsions cognitives chez les joueurs pathologiques

III – Distorsions cognitives chez les joueurs

1. Le modèle cognitif de Beck et son application au jeu pathologique

2.4. Les distorsions cognitives chez les joueurs pathologiques

Actuellement, la relation entre les distorsions cognitives et la sévérité de la pratique de jeu a largement été étudiée dans la littérature (Barrault et Varescon, 2013 ; Ciccarelli, Griffiths, Nigro et Cosenza, 2017 ; Clark, 2014 ; Cosenza et Nigro, 2015 ; Cunningham, Hodgins et Toneatto, 2014 ; Mathieu, Barrault, Brunault et Varescon, 2018 ; Miller et Currie, 2008 ; Navas, Verdejo-García, López-Gómez, Maldonado et Perales, 2016 ; Romo et al., 2016 ; Taylor, Parker, Keefer, Kloosterman et Summerfeldt, 2014).

Bien que tous les joueurs soient susceptibles de développer des croyances liées au jeu, des différences s’observent entre les joueurs sans problème de jeu et les joueurs ayant des problèmes de jeu, tant au niveau de la quantité des distorsions cognitives (Ciccarelli, Griffiths, Nigro et Cosenza, 2016) que de la qualité de ces dernières d’autre (Källmen, Andersson et Andren, 2008). En effet, quels que soient les outils utilisés pour évaluer les croyances des joueurs, les joueurs pathologiques présentent des scores significativement plus élevés de distorsions cognitives que les joueurs non pathologiques (Barrault et Varescon, 2012 ; Cosenza, Baldassarre, Matarazzo et Nigro, 2014 ; Mathieu, Barrault, Brunault et Varescon, 2018 ; Miller et Currie, 2008). En d’autres termes, les joueurs pathologiques semblent se distinguer des autres joueurs sociaux (occasionnels et réguliers) de par l’intensité des croyances erronées. Par ailleurs, l’ensemble des études s’accordent sur l’importance de l’illusion de contrôle dans la pratique des jeux de hasard et d’argent et particulièrement chez les joueurs pathologiques. May et ses collaborateurs (2005) ont étudié la façon dont l’illusion de contrôle influence la pratique de jeu en répartissant les participants dans trois conditions : réception pendant la session de jeu d’un message neutre, favorisant ou réduisant l’illusion de contrôle. Aucune différence n’a été constatée sur le comportement de jeu des joueurs. Toutefois, les croyances irrationnelles différaient selon le message reçu. La prise de risque financière augmentait notamment avec l’illusion de contrôle.

Plus récemment, Romo et ses collaborateurs (2016) ont mené une étude longitudinale et originale auprès de joueurs sans problème de jeu, de joueurs ayant un problème de jeu non pris en charge et des joueurs ayant un problème de jeu pris en charge. L’objectif était de comparer la nature et l’intensité des distorsions cognitives en fonction de ces groupes. Seuls les joueurs ayant bénéficié de moins de six mois de traitement étaient inclus dans cette étude. Les résultats de cette recherche ont confirmé ceux précédemment trouvés, à savoir que les distorsions cognitives constituent un facteur de risque dans le développement de la sévérité de la pratique de jeu (Barrault et Varescon, 2013 ; Cunningham, Hodgins et Toneatto, 2014 ; Goodie et Fortune, 2013 ; Johansson, Grant, Kim, Odlaug et Götestam, 2009 ; Navas, Verdejo- García, López-Gómez, Maldonado et Perales, 2016). Les scores et sous-scores obtenus au

Gambling Attitudes and Beliefs Survey (Breen et Zuckerman, 1999) utilisé pour évaluer les croyances étaient en effet significativement différents entre les trois groupes de joueurs.

Par ailleurs, seules les dimensions Chasing et Emotions ont permis de distinguer les joueurs à problème avec et sans prise en charge, avec des scores significativement plus élevés pour les joueurs récemment pris en charge. En outre, les autres types de croyances étaient similaires en termes d’intensité entre les joueurs à problème (Romo et al., 2016). Or, la poursuite du jeu dans le but de récupérer l’argent perdu (chasing) ainsi que dans le but d’éviter

ou d’apaiser les affects négatifs (emotion) font partie des critères diagnostiques présents dans le DSM-5 (Bouju et al., 2014). Ainsi, il est possible que les joueurs à problèmes ayant une plus grande de sévérité de jeu soient ceux qui se sont inscrits dans une démarche de soins.

Ainsi, l’étude de Romo et ses collaborateurs (2016) a mis en évidence une différence d’ordre quantitative entre les trois groupes de joueurs : d’une part l’intensité des distorsions augmentait avec la sévérité du jeu et d’autre part, qualitativement entre les joueurs à problèmes avec et sans traitement, où la poursuite du jeu et l’évitement des ressentis négatifs étaient plus

D’autres études indiquent que les joueurs pathologiques perçoivent davantage l’habileté, les compétences et les connaissances sur le jeu comme des facteurs favorisant la réussite dans les jeux de hasard et d’argent (Delfabbro, Lahn et Grabosky, 2006 ; Källmén, Andersson et Andren, 2008). L’illusion de contrôle, que l’on peut associer à la surestimation des probabilités de gains, est un des éléments permettant de distinguer les joueurs pathologiques des joueurs non-pathologiques. Par ailleurs, d’après l’étude de Källmén et ses collaborateurs (2008), l’erreur du joueur (croyance dans le fait qu’une série de pertes est obligatoirement suivit d’un gain) augmenterait en fonction de la sévérité de la pratique de jeu des joueurs. Delfabbro et ses collaborateurs (2006) rajoutent le fait que les joueurs pathologiques ont tendance à voir les jeux de hasard et d’argent comme une activité financière profitable. Dans ce cadre, les auteurs suggèrent l’implication des motivations à jouer dans le développement des distorsions cognitives, et en particulier dans le développement de l’illusion de contrôle.

En somme, la littérature a mis en évidence la présence d’une part d’une spécificité (qualitative et quantitative) des distorsions cognitives selon l’intensité de la pratique de jeu et d’autre part d’une prégnance de la notion de contrôle dans la pratique des jeux de hasard et d’argent, notamment avec l’illusion de contrôle (Lambos et Delfabbro, 2007 ; Toneatto, Blitz- Miller, Calderwood, Dragonetti et Tsanos, 1997). L’implication de ces croyances, et particulièrement de l’illusion de contrôle, dans le développement d’une pratique problématique du jeu est donc à prendre en considération dans la prise en charge des joueurs pathologiques.