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III – Distorsions cognitives chez les joueurs

3. Distorsions cognitives et facteurs associés

3.3. L’état psychologique du joueur

De manière générale, l’état psychologique fait référence au stress, à l’anxiété ou encore à la dépression. Peu d’études se sont intéressées à la relation entre les croyances erronées et la sphère émotionnelle des joueurs. Néanmoins, la littérature donne quelques éléments d’informations à ce sujet.

En 1992, Friedland et ses collaborateurs étudient spécifiquement l’effet du stress sur le développement de l’illusion de contrôle. Les participants présentant des scores élevés de stress semble avoir une préférence pour les jeux nécessitant une implication active dans l’activité de jeu par rapport aux participants non stressés (Friedland, Keinan et Regev, 1992). Ce type d’engagement où le joueur se place comme acteur dans le jeu favorise la perception de contrôle sur le jeu et notamment sur l’issue du jeu. La sensation de perte de contrôle particulièrement causée par la présence de stress en situation de jeu peut inconsciemment être contrebalancée par cette croyance erronée qu’est l’illusion de contrôle. Ainsi, cet état émotionnel participe à la confusion du joueur entre sentiments subjectifs de contrôler le jeu et la réalité objective de ce contrôle dans la conduite de jeu.

D’autres études se sont attelées à étudier la relation entre la dépression et l’illusion de contrôle, et ce auprès d’étudiants. Un certain nombre d’entre elles ont notamment montré l’influence de l’humeur sur le degré de contrôle perçu dans des situations objectivement incontrôlables (Abramson et Alloy, 1981 ; Alloy, Abramson et Viscusi, 1981 ; Golin, Terrell, Weitz et Drost, 1979). En effet, les individus déprimés tendent à donner un jugement plus précis de leur implication dans des évènements non contrôlables que les individus non-déprimés, qui eux ont tendance à surestimer leurs compétences et donc leur implication dans ces mêmes évènements (Alloy, Abramson et Viscusi, 1981). L’humeur des individus déprimés étant affectée et amoindrie, notamment par la présence d’émotions et ressentis négatifs, exercerait une influence sur leur perception d’eux-même. Un sentiment de faibles compétences personnelles pourrait de ce fait expliquer l’absence d’illusion de contrôle chez les individus déprimés. D’autres auteurs ont toutefois mis en évidence l’existence d’une plus grande illusion de contrôle chez des individus déprimés comparés à des individus non-déprimés (Dykstra et Dollinger, 1990). Ces résultats apparaissent donc contraires à ceux précédemment présentés. Par ailleurs, Bryson et ses collaborateurs (1984) n’ont pas trouvé de différences quant à

l’intensité de cette croyance selon que les individus soient déprimés ou non. L’hétérogénéité des résultats peut néanmoins s’expliquer par l’usage de méthodologies différentes. Bien que les études mentionnées aient utilisées la Beck Dépression Inventory (Beck, Ward, Mendelson, Mock et Erbaugh, 1961) pour distinguer les individus déprimés des individus non-déprimés, différents scores-seuil ont été retenus par les auteurs. Alloy et Abramson (1981) ont retenu un cut-off de 9 pour identifier les individus déprimés tandis que Dykstra et ses collaborateurs (1990) ont utilisé un score-score de 5, relativement bas, les amenant potentiellement à considérer des individus comme étant déprimés alors qu’ils ne le sont pas en réalité. De plus, les échantillons étudiés étaient tantôt composés exclusivement de femmes tantôt composés d’hommes et de femmes (de manière équilibrée), pouvant aussi avoir une influence sur les résultats obtenus.

Malgré la réalisation d’études plus récentes quant à l’existence d’un lien entre dépression et illusion de contrôle, chez les joueurs de jeux de hasard et d’argent cette fois-ci, la disparité des résultats persistent. En effet, certains auteurs montrent que l’illusion de contrôle et la façon de jouer ne diffèrent pas selon que les participants soient déprimés ou non (Dannewitz et Weatherly, 2007), tandis que d’autres mettent en évidence l’existence d’un lien significatif entre cette croyance et la dépression (Oei, Lin et Raylu, 2007). L’absence de consensus peut notamment s’expliquer par la présence d’un effet de sexe tant sur l’illusion de contrôle (Yamaguchi, Gelfand, Ohashi et Zemba, 2005) que sur l’état psychologique de l’individu (American Psychiatric Association, 2000 ; Petry, Stinson et Grant, 2005).

Plus récemment, l’étude menée par Ciccarelli et ses collaborateurs (2017) sur des joueurs pathologiques recrutés en population clinique (diagnostic posé à partir du DSM-5 et confirmé avec un score supérieur ou égal à 5 au SOGS) et des individus recrutés en population générale constituant le groupe contrôle (individus sans problème de jeu, vérifié avec un score inférieur ou égal à 2 au SOGS) a montré des résultats tout à fait intéressants au regard du lien

entre sévérité de jeu, distorsions cognitives et états émotionnels négatifs (stress, anxiété et dépression). Conformément aux résultats précédemment mis en évidence (Barrault et Varescon, 2013 ; Cosenza, Baldassarre, Matarazzo et Nigro, 2014 ; Goodie et Fortune, 2013 ; Kessler et al., 2008 ; Matthews, Farnsworth et Griffiths, 2009 ; Petry, Stinson et Grant, 2005 ; Taylor, Parker, Keefer, Kloosterman et Summerfeldt, 2014 ; Toneatto et Pillai, 2016), les joueurs pathologiques présentaient des scores significativement plus élevés pour chacune des distorsions cognitives évaluées ainsi que pour l’anxiété et la dépression comparé aux individus du groupe contrôle. Si des scores plus élevés de dépression et d’anxiété ne signifient pas pour autant la présence d’une symptomatologie dépressive et anxieuse, les scores obtenus par les joueurs pathologiques montrent toutefois la présence de symptômes anxio-dépressifs modérés au regard de la cotation du Depression Anxiety Stress Scales - 21 (Lovibond et Lovibond, 1995). Par ailleurs, bien que les joueurs pathologiques aient rapporté être en moyenne légèrement plus stressés que les individus du groupe contrôle, les scores obtenus indiquent l’absence de différence significative ainsi que l’absence de symptômes de stress dans les deux groupes.

Concernant les distorsions cognitives, des différences d’ordre quantitatif et qualitatif peuvent s’observer entre les individus dits sains et les joueurs pathologiques. En effet, les distorsions cognitives semblent avoir été rapportées dans des proportions faibles et similaires chez les individus du groupe contrôle, avec une représentation légèrement plus élevée du biais d’attribution et des attentes liées au jeu, tandis que l’ensemble des distorsions cognitives ont fortement été rapportées par les joueurs pathologiques, principalement le biais d’attribution, l’incapacité à arrêter de jouer, puis les attentes liées au jeu (Ciccarelli, Griffiths, Nigro et Cosenza, 2017). Ces résultats confirment d’une part la présence possible de distorsions cognitives chez tout un chacun, et d’autre part l’augmentation de ces dernières selon l'intensité de la pratique de jeu (Ciccarelli, Griffiths, Nigro et Cosenza, 2017 ; Cosenza et Nigro, 2015). Par ailleurs, la forte présence de biais d’attribution chez les joueurs pathologiques suggère le

besoin de rehausser l’estime de soi en cas de victoire ou de la protéger en cas d’échec. De plus, les joueurs ont tendance à percevoir les pertes comme des presque-gains (Griffiths, 1999), ce qui peut renforcer l’idée que les joueurs présentent des cognitions à visée de protection de l’estime de soi. La présence importante de la croyance d’être incapable de gérer et réguler la conduite de jeu chez les joueurs pathologiques est cohérente avec la définition même du jeu pathologique. Enfin, la présence d’attentes liées au jeu chez les joueurs pathologiques semble indiquer l’existence d’un lien implicite entre cette croyance et les ressentis émotionnels. En effet, cette cognition correspondant aux effets attendus et espérés que le jeu peut avoir sur soi témoigne d’une pratique de jeu orientée vers l’obtention de bénéfices émotionnels comme le fait de pallier à la tristesse ou à l’ennui grâce à l’émergence d’émotions agréables et positives induites par le jeu et permettant en outre d’éviter temporairementles ressentis négatifs et/ou les difficultés de la vie quotidienne. Pour autant, aucune corrélation n’a été trouvée entre cette distorsion cognitive et les états émotionnels de stress, d’anxiété et de dépression (corrélations faibles, voire inexistantes, et non significatives) (Ciccarelli, Griffiths, Nigro et Cosenza, 2017). De manière générale, les résultats n’ont révélé aucun lien linéaire entre les croyances erronées et les états émotionnels négatifs évalués (Ciccarelli, Griffiths, Nigro et Cosenza, 2017), infirmant ainsi les résultats obtenus dans l’étude d’Oei et ses collaborateurs (2007). La différence de résultats peut s’expliquer par la composition très différente de leurs échantillons d’étude en termes de sexe, de moyenne d’âges, de culture et de sévérité de jeu. Toutefois, les corrélations mises en évidence dans l’étude d’Oei et ses collaborateurs (2007) sont à relativiser car, bien que significatives pour la plupart, elles restent faibles quant à la force du lien (r < 0,25).

Enfin, des régressions logistiques ont été réalisées en vue de déterminer dans quelle mesure les composantes cognitive et émotionnelle pouvaient prédire la sévérité de jeu (Ciccarelli, Griffiths, Nigro et Cosenza, 2017). Les résultats ont montré que les distorsions

cognitives prédisaient à elles seules 41% de la sévérité de jeu, auquel les états affectifs négatifs ajoutaient 6% une fois introduits dans le modèle. Ainsi, les distorsions cognitives semblent jouer un rôle important dans le développement de la sévérité de jeu (Cosenza et Nigro 2015), tandis que les états émotionnels de stress, d’anxiété et de dépression interviennent relativement peu dans ce processus (Ciccarelli, Griffiths, Nigro et Cosenza, 2017). Toutefois, cette étude ne permet pas de déterminer les degrés respectifs d’implication de l’anxiété, du stress ou encore de la dépression dans l’apparition de la sévérité de jeu. Par ailleurs, l’absence de corrélations entre les croyances erronées et les états émotionnels négatifs évalués à possiblement amener les auteurs à ne pas déterminer leur pouvoir prédictif sur le développement des distorsions cognitives et leurs maintiens. Or, aucune étude à notre connaissance n’a étudié la nature du lien entre ces variables alors même que les émotions interagiraient avec les cognitions en situation de jeu.

Le peu d’études réalisées sur la relation entre les distorsions cognitives et les états émotionnels négatifs de stress, d’anxiété et de dépression, pouvant expliquer en partie l’hétérogénéité des résultats trouvés, ne permet pas d’affirmer la façon dont ces variables sont liées. De futures études sont nécessaires pour déterminer la force et le sens de cette relation.