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III – Distorsions cognitives chez les joueurs

5. Évaluation des distorsions cognitives

5.1. Méthode de l’observation

L’intérêt pour les distorsions cognitives au sein des jeux de hasard et d’argent tire son origine d’une expérience de craps (jeu de hasard et d’argent qui se pratique uniquement à l’aide de deux dés). A Las Vegas en 1967, Henslin observe la façon dont les joueurs jouent au craps et remarque une différence dans les gestes utilisés par les joueurs pour lancer les dés. En effet, les joueurs ont tendance à lancer les dés rapidement et fortement lorsqu’ils souhaitent obtenir des chiffres élevés tandis qu’ils semblent lancer les dés lentement et doucement quand ils désirent obtenir des chiffres bas.

L’usage de l’observation dans le cadre de recherches constitue une méthode écologique. En effet, cela signifie qu’elles se déroulent en milieu naturelle, dans le lieu où les joueurs jouent. L’observation s’avère être à la base des théories cognitives sur les jeux de hasard et d’argent, et particulièrement sur le jeu pathologique. Par la suite, d’autres méthodes se sont développées pour identifier la présence et la nature des distorsions cognitives chez les joueurs de jeu de hasard et d’argent de manière plus fine.

5.2. Méthode de la pensée à voix haute

La méthode de la pensée à voix haute, autrement appelée raisonnement à voix haute ou

thinking aloud, a été créé dans le but d’identifier les croyances irrationnelles des joueurs en situation de jeu (Ladouceur, Mayrand, Dussault, Letarte et Tremblay, 1984). Cette méthode a pour consigne de verbaliser les pensées à haute voix. Les croyances implicitement présentes en situation de jeu sont alors verbalisées et explicitées, donnant ainsi l’accès au mode de pensée du joueur.

Des études ont montré qu’en situation de jeu, 75% à 80% des cognitions des joueurs sont erronées (Delfabbro et Winefield, 2000 ; Ladouceur, Mayrand, Dussault, Letarte et

Tremblay, 1984). Parmi les croyances identifiées apparaissent des références à la chance, au contrôle, aux prédictions ainsi qu’à l’habileté (Ladouceur, Mayrand, Dussault, Letarte et Tremblay, 1984).

Bien que cette méthode soit plus directe et plus fine que celle de l’observation, cette dernière présente certaines limites. La méthode de pensée à voix haute, d’une part, n’a été utilisée qu’auprès de faibles échantillons, et d’autre part comporte un fort degré de subjectivité, ne permettant pas la généralisation des résultats trouvés (Joukhador, Maccallum et Blaszczynski, 2003). En effet, les verbalisations faites par le joueur correspondent à ses pensées à un instant t ; celles-ci pouvant donc différer à un moment ultérieur.

Au-delà des critiques, les résultats trouvés à l’aide de cette méthode ont permis le développement d’outils précis, standardisés et validés.

5.3. Méthode quantitative : échelles d’autoévaluation

Dans le cadre des recherches actuelles, l’évaluation des distorsions cognitives liées au jeu s’effectue principalement à l’aide de questionnaires d’autoévaluation validés. Parmi les échelles existantes, toutes mesurent l’illusion de contrôle, mais diffèrent dans l’évaluation des autres distorsions cognitives du fait de leur grand nombre dans la littérature.

Voici les échelles par ordre d’apparition :

- Le Gambling Attitudes and Beliefs Survey (GABS – Breen et Zuckerman, 1999) mesure les attitudes liées au jeu et les croyances irrationnelles chez les joueurs réguliers, jouant donc au moins une fois par semaine.

- Le Gambler’s Beliefs Questionnaire (GBQ – Steenbergh, Meyers, May et Whelan, 2002) a été construit sur les bases théoriques du modèle bifactoriel de Ladouceur et Walker (1996) évaluant ainsi la persévérance/chance au sens de croyances dans le fait que persister entrainera un gain, et l’illusion de contrôle au sens de perception de la capacité à contrôler la chance dans l’issue du jeu.

- Le Thoughts and Beliefs About Gambling questionnaire (TBAG – Joukhador, Maccallum et Blaszczynski, 2003) mesure douze catégories de croyances erronées : erreur du joueur, illusion de contrôle, croyance de gain erronée, superstition, absence de contrôle, « presque gain », soulagement, biais mémoriel, déni, argent comme solution aux problèmes, état positif et évaluation biaisée.

- L’Informationnel Biaises Scale (IBS – Jefferson et Nicki, 2003) évalue l’erreur du joueur, l’illusion de contrôle, la corrélation illusoire ainsi que l’heuristique de disponibilité chez des joueurs de loterie vidéo.

- Le Gambling-Related Cognitions Scale (GRCS – Raylu et Oei, 2004) mesure cinq types de dysfonctionnements cognitifs tels que les attentes liées au jeu, l’illusion de contrôle, le contrôle prédictif, les biais interprétatifs et l’incapacité perçue à arrêter de jouer. - Le Drake Beliefs About Chance inventory (DBC – Wood et Clapham, 2005) évalue

deux dimensions : l’illusion de contrôle et la superstition.

- Le Gambling Cognitions Inventory (GCI – McInnes, Hodgins et Holub, 2014) présente deux sous-échelles mesurant d’une part les cognitions liées aux attitudes et aux compétences, et d’autre part les croyances en la chance.

Parmi les outils développés, seul l’IBS a spécifiquement été élaboré pour évaluer les distorsions cognitives présentes chez les joueurs de jeux de loterie de vidéo, ce qui représente à la fois un avantage lorsque la population d’étude s’avère être des joueurs pratiquant exclusivement ce jeu et un inconvénient de par son usage limité. Conformément aux données de la littérature (Costes, Eroukmanoff, Richard et Tovar, 2015), cet outil ne semble pas le plus adapté pour évaluer les distorsions cognitives au sein d’une population de joueurs francophones : d’une part car une multi-activité de jeu tend à s’observer chez les joueurs d’autre part car les joueurs masculins, plus

nombreux que les joueurs féminins, se dirigent préférentiellement vers des jeux comportant une part d’habileté tels que le poker, les paris sportifs et hippiques et le blackjack. Les différents autres instruments de mesure des distorsions cognitives liées au jeu se voulant généraux de par leur usage non restreint à une population spécifique de joueurs semblent alors plus pertinents. Cependant, seules le GABS et le GRCS ont à ce jour, et à notre connaissance, fait l’objet d’une traduction et validation en français, ce qui limite le choix de l’outil d’évaluation pour la présente étude. Le GRCS apparait néanmoins comme étant l’outil le plus largement utilisé dans les recherches.

Synthèse du chapitre « Distorsions cognitives chez les joueurs »

Les distorsions cognitives sont inhérentes aux jeux de hasard et d’argent. Tous les joueurs sont à même de développer des croyances erronées liées au jeu et à l’issue du jeu et ce quel que soit le jeu pratiqué et quelle que soit l’intensité de jeu.

Les distorsions cognitives diffèrent en termes d’intensité et de nature selon la sévérité

de la pratique de jeu : les joueurs pathologiques ont des croyances erronées significativement

plus importantes que les joueurs sans problème de jeu.

Les distorsions cognitives dans leur ensemble constituent un facteur de risque dans le développement et le maintien de la sévérité de jeu.

Différents facteurs influencent le développement des distorsions cognitives et leurs maintiens dont certains sont inhérents à l’individu (sexe, âge, état psychologique du joueur) et d’autres sont inhérents au jeu (degré d’implication du joueur, la fréquence des gains, la séquence des résultats).

Les distorsions cognitives peuvent être évaluées en utilisant la méthode de

l'observation, la méthode de la pensée à voix haute ou en utilisant des outils d'évaluation validés sur la population d’étude.

Il semblerait que les croyances des joueurs jouant aux jeux de hasard et de stratégie diffèrent de celles des joueurs jouant à des jeux de hasard pur. Toutefois, aucune étude à notre

connaissance n’a comparé les joueurs selon le type de jeux pratiqués.

La nature de la relation entre les motivations à jouer, guidant le comportement de jeu, et les distorsions cognitives, liées à l’activité de jeu, reste floue et peu étudiée à ce jour.