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III – Distorsions cognitives chez les joueurs

1. La régulation des émotions

2.2. Dépression et jeu pathologique

Nombreuses sont les études ayant mis en évidence l’existence d’un lien entre jeu pathologique et dépression en population générale (Di Nicola et al., 2014 ; Keough, Penniston, Vilhena-Churchill, Bagby et Quilty, 2018 ; Martin, Usdan, Cremeens et Vail-Smith, 2014 ; Quigley et al., 2015) et clinique (Moghaddam, Campos, Myo, Reid et Fong, 2015 ; Morefield et al., 2013 ; Rizeanu, 2013). Certains modèles théoriques du jeu pathologique ont par ailleurs inclus la dépression comme un élément clef dans la description des différents profils de joueurs pathologiques (Blaszczynksi et Nower, 2002).

2.2.1. Trajectoire émotionnelle des joueurs pathologiques

La trajectoire des joueurs pathologiques proposée par Custer (1984) retrace en quelque sorte l’évolution de l’état psychologique et émotionnel de ces derniers au fur et à mesure des phases successives de gains, de pertes, puis de désespoir. Bien que la première phase se caractérise par la présence d’affects positifs notamment du fait de l’optimisme du joueur quant aux gains et à la réussite, des affects négatifs dépressifs apparaissent lors de la seconde phase lorsque les pertes se répètent. Les pertes étant plus nombreuses que les gains lors de la pratique des jeux de hasard et d’argent, l’humeur dépressive émergeant dans la phase de perte tend à s’installer de manière importante dans la phase de désespoir. Dans ce cadre, l’état psychologique des joueurs pathologiques tels que décrit par Custer (1984) semble inhérent à l’issue du jeu d’une part, et binaire d’autre part : les gains déclenchent une certaine excitation tandis que les pertes entrainent un état de dépression.

Or, la littérature fait état de liens complexes entre la dépression et le jeu pathologique ; où la dépression peut à la fois être une cause (Hills, Hill, Mamone et Dickerson, 2001 ; Keough, Penniston, Vilhena-Churchill, Bagby et Quilty, 2018) et une conséquence du jeu pathologique (Awaworyi

La plupart des études portant sur le lien entre la dépression et la pratique problématique de jeu ont été réalisées en population générale. À ce jour, les données issues de la population générale font fréquemment état d’une association positive entre la dépression et le jeu pathologique (Lorains, Cowlishaw et Thomas, 2011 ; Martin, Usdan, Cremeens et Vail-Smith, 2014 ; Quigley et al., 2015). Deux grandes études épidémiologiques ont été réalisées en population générale aux Etats-Unis, indiquant toutes deux une prévalence similaire de dépression chez les joueurs répondant aux critères diagnostics vie-entière de jeu pathologique : 37% (Petry, Stinson et Grant, 2005) et 39% (Kessler et al., 2008). Or, la littérature a remis en question l’usage d’un diagnostic de jeu pathologique sur la vie- entière (Expertise collective de l’INSERM, 2010). Par la suite, Lorains et ses collaborateurs (2011) ont effectué une méta-analyse combinant la prévalence vie-entière et actuelle (année passée). Un taux moyen de 23% de dépression a été trouvé chez les joueurs problématiques (compulsifs et pathologiques) (Lorains, Cowlishaw et Thomas, 2011). Par ailleurs, les joueurs présentant un voire plusieurs troubles psychiatriques sont 17 fois plus à risque de développer une pratique pathologique de jeu que ceux ayant aucun trouble psychiatrique (Kessler et al., 2008). En effet, 50% à 81% des joueurs pathologiques présentent des antécédents de troubles de l’humeur (respectivement Petry, 2004 ; Kennedy et al., 2010). À l’inverse, les joueurs pathologiques sont entre 4 et 5,5 fois plus susceptibles de développer un trouble de l’humeur, notamment une dépression, par rapport aux joueurs non-pathologiques (Kessler et al., 2008 ; Petry, Stinson et Grant, 2005).

Par ailleurs, les conséquences négatives issues du comportement de jeu, telles que la culpabilité, la honte à la suite de pertes répétées ou des conduites délictuelles mises en place pour poursuivre le jeu, peuvent exacerber les symptômes de dépression (Dussault, Brendgen, Vitaro, Wanner et Tremblay, 2011). De plus, les symptômes dépressifs peuvent à leur tour exacerber la sévérité de jeu. En effet, les joueurs pathologiques présentent des scores de dépression significativement plus élevés que les joueurs à risque, non-pathologiques et les non-joueurs (Källmen,

et Finnigan, 2006). Ainsi, l’intensité de jeu semble augmenter selon la sévérité des symptômes dépressifs au sein même du groupe des joueurs pathologiques.

2.2.3. Études effectuées en population clinique

Les joueurs ayant une pratique problématique de jeu (joueurs à problème et pathologiques) présentent des scores de dépression supérieurs à ceux de la population générale (Kim, Grant, Eckert, Faris et Hartman, 2006 ; Rizeanu, 2003): les trois quarts des joueurs problématiques semblent rencontrer les critères diagnostiques de la dépression (Blaszczynski, 2010 ; Rizeanu, 2013). Bien que 76,5% des joueurs pathologiques en traitement présentaient des symptômes dépressifs, ces derniers étaient d’intensité variables. En effet, 28,6% des joueurs pathologique avaient des symptômes dépressifs légers, 34,5% des symptômes dépressifs modérés et 13,5% des symptômes dépressifs sévères.

Les études menées en population clinique confirment l’existence d’une association positive entre le jeu pathologique et la dépression (Morefield et al., 2013 ; Rizeanu, 2013). Dans son étude, Morefield et ses collaborateurs (2013) ont montré que la sévérité de la dépression était positivement liée à la persistance du comportement de jeu problématique, et ce avant, pendant et après qu’une prise en charge ait eu lieu. Ces résultats soulèvent alors la question du lien de causalité entre ces deux entités cliniques, ainsi que la fonction que le jeu représente chez les individus présentant des symptômes dépressifs.

La grande majorité des études portant sur le jeu pathologique en lien avec la dépression ont été réalisées sur un plan transversal, ne renseignant ainsi pas véritablement la nature de la relation entre ces deux entités cliniques. Moghaddam et ses collaborateurs (2015) ont donc réalisé une étude longitudinale auprès de joueurs pathologiques en demande de traitement pour pallier à l’absence de données sur l’évolution des symptômes dépressifs au cours d’une prise en charge. Lors de l’évaluation initiale, un taux élevé de dépression a été retrouvé chez les joueurs ayant un problème

dépressifs ont significativement diminué chez les joueurs légèrement, moyennement et sévèrement déprimés. La prise en charge dans sa globalité (environnement, interactions avec le personnel soignant, thérapie cognitivo-comportementale) semble donc avoir eu un impact positif sur les symptômes dépressifs présents, et ce quelle que soit leur intensité. Néanmoins, malgré la diminution considérable des symptômes dépressifs chez les joueurs présentant des problèmes de jeu et une dépression sévères, ces derniers continuaient d’éprouver des affects légèrement à modérément dépressifs à la sortie de la prise en charge. Les auteurs ont expliqués que la présence de styles d’attachement altérés a pu avoir un effet inverse à celui de la prise en charge: en effet, un attachement dysfonctionnel est associé à des scores élevés de dépression (Moghaddam, Campos, Myo, Reid et Fong, 2015). L’échantillon d’étude étant petit (N=44), il pourrait être intéressant d’effectuer une nouvelle étude sur un échantillon plus conséquent, notamment en vue d’une possible généralisation de ces résultats.

Certains auteurs ont cherché à expliquer les raisons de ces taux élevés chez les joueurs ayant une pratique excessive et problématique de jeu. Il semble que le jeu pathologique et la dépression partage des éléments génétiques communs (Potenza, Xian, Shah, Scherrer et Eisen, 2005) auxquels s’ajoutent des facteurs environnementaux et de personnalité (impulsivité, stratégies de coping

dysfonctionnelles ou inadaptées probablement en lien avec l’environnement dans lequel ils ont évolué) (Getty, Watson et Frisch, 2000).

Malgré que la cooccurrence jeu pathologique, anxiété et dépression soit établie, la littérature n’est pas unanime quant à l’ordre d’apparition de ces troubles. En effet, certains auteurs affirment que la présence d’affects négatifs seraient à l’origine de conduites addictives comme le trouble d’usage des jeux de hasard et d’argent, tandis que d’autres évoquent davantage les affects négatifs comme résultant des conséquences négatives du comportement de jeu.