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III – Distorsions cognitives chez les joueurs

1. La régulation des émotions

1.3. Régulation émotionnelle et jeux de hasard et d’argent

1.4.2. Aspects développementaux et environnementau

La littérature s’accorde à dire que l’étude des stratégies de régulation émotionnelle nécessite de prendre en considération l’âge de l’individu, et plus précisément la maturation des zones cérébrales impliquées dans le développement cognitif et émotionnel. En effet, la période de l’enfance semble marquée par la présence d’une faible stabilité quant à l’usage de stratégies de régulation émotionnelle sophistiquées et complexes telle que la réévaluation cognitive (Grolnick et al., 1996), et ce en partie car cela dépend de la maturation de la zone dorsale, zone relativement lente à se développer (Casey, Jones et Hare, 2008). Au fur et à mesure du développement, les capacités cognitives augmentent et s’améliorent, permettant alors de développer des stratégies de régulation plus souples et flexibles. En d’autres termes, l’émergence de compétences cognitives comme le traitement de l’information, la

mémoire de travail, s’avèrent utiles au développement de stratégies de régulation émotionnelle plus adaptées (Thompson et Goodman, 2010). Ainsi, les changements comportementaux et cognitifs qui s’effectuent au cours du développement de l’enfant coexistent avec d’importantes modifications (au sens d’évolution) neurales et cérébrales (Casey et al., 2000).

Tout comme le développement cérébrale, l’environnement familial contribue à l’émergence de stratégies de régulation émotionnelle plus ou moins adaptées (Mihajlov et Vejmelka, 2017 ; Mikulincer et Shaver, 2007). En effet, les adolescents apprennent à travers leurs expériences, en particulier celles vécues avec leurs parents, à faire face aux émotions négatives ainsi qu’aux situations dangereuses. Expérimenter des ressentis négatifs renforcent alors la capacité à modifier l’impact des émotions éprouvées ainsi que la façon dont elles sont exprimées à autrui (Gross, 2002 ; Mikulincer et al., 2009). L’apparition de comportements à risques et addictifs chez les adolescents et jeunes adultes semble également être influencée par l’environnement familial (Mullin et Hinshaw, 2007). En effet, les individus possédant de faibles capacités de régulation émotionnelle, en partie liées aux expériences familiales vécues, sont plus susceptibles de développer des conduites addictives (Coffey et Hartman, 2008) et présentent par ailleurs plus de difficultés pour interrompre ce type de conduite (Sayette, 2004). Parmi les conduites à risques émergeant à l’adolescence figure la pratique des jeux de hasard et d’argent (Estévez, Jáuregui, Sánchez-Marcos, López-González et Griffiths, 2017 ; Williams, Grisham, Erskine et Cassedy, 2012). En effet, bien que la législation n’autorise pas les individus mineurs à jouer à ce type de jeu dans la plupart des pays, la présence d’une pratique de jeu problématique semble fréquente dans cette tranche d’âge (Calado, Alexandre et Griffiths, 2017 ; Molinaro et al., 2014). De plus, parmi les adultes ayant des problèmes de jeu, un certain nombre affirment avoir commencé à jouer à ce type de jeux avant d’avoir atteint l’âge légal pour y jouer (Bonnaire et Barrault, 2018 ; Calado, Alexandre et Griffiths, 2017 ; Molinaro et al., 2014).

Le développement de compétences pour réguler les émotions, notamment négatives, étant indirectement influencé par l’âge, Estévez et ses collaborateurs (2017) ont étudié les difficultés de

régulation émotionnelle chez des adolescents et jeunes adultes âgés de 13 à 21 ans. Aucun lien significatif n’a été observé entre les difficultés de régulation émotionnelle évaluées et le jeu pathologique, excepté pour la sous-échelle « contrôle » du questionnaire Difficulties Emotion Regulation Scale. Les analyses statistiques ont en effet montré l’implication du manque de contrôle émotionnel dans le développement du jeu pathologique chez les adolescents et jeunes adultes (Estévez, Jáuregui, Sánchez-Marcos, López-González et Griffiths, 2017). Ainsi, les joueurs se situant dans cette tranche d’âge semblent présenter davantage de difficultés pour rester maître de leur comportement, et ce notamment parce qu’ils sont traversés par des affects négatifs (John et Gross, 2004). À cela s’ajoute la croyance que peu de choses pourront efficacement permettre la régulation de ces émotions dès lors qu’elles sont ressenties (Spada, Caselli, Nikcevic et Wells, 2015). Dans ce cadre, l’activité de jeu représente un moyen d’échapper aux affects négatifs ressentis (Aldao, Nolen- Hoeksema et Schweizer, 2010 ; Ricketts et Macaskill, 2004 ; Weatherly et Miller, 2013), ce qui dans un sens s’apparente à une stratégie de régulation inadaptée et n’est pas sans rappeler la probable présence sous-jacente de motivations de coping. Ainsi, la façon dont le jeu est investi par l’individu adolescent ou jeune adulte peut le conduire à développer une pratique de jeu pathologique (la conduite peut en effet être répétée pour gérer les émotions ressenties).

Par ailleurs, parmi les nombreuses études ayant porté un intérêt à l’effet potentiel de l’âge sur l’expérience émotionnelle globale, c’est-à-dire sur le ressenti et l’expression des émotions, il semblerait que les émotions positives et négatives tendent respectivement à augmenter et à diminuer avec l’âge. Cela peut s’expliquer par le fait qu’avec l’âge les individus ont pu développer une préférence pour la positivité et améliorer leur façon de réguler les émotions notamment avec les expériences émotionnelles accumulées au cours de la vie. En effet, les adultes, comparés à leurs homologues plus jeunes, rapportent un meilleur contrôle de leurs émotions (Lawton, Kleban, Rajagopal et Dean, 1992), moins d’expériences négatives et en outre moins de ressentis négatifs (Tsai, Levenson et Carstensen, 2000), une préférence pour les émotions positives et agréables (Lawton, Moss, Winter et Hoffman, 2002) ainsi qu’un usage privilégié de la réévaluation cognitive

émotionnelles, semble entrainer une évolution dans la façon dont les émotions sont régulées, où des stratégies plus adaptées sont notamment utilisées (John et Gross, 2004). Ces résultats sont néanmoins à nuancer car il semblerait aussi qu’avec l’âge, les adultes soient plus enclins à adopter des stratégies d’évitement en cas d’évènements désagréables (Birditt et Fingerman, 2005 ; Coats et Blanchard- Fields, 2008).

Enfin, les résultats issues de l’étude longitudinale réalisée par Mroczek et Spiro (2005) ont mis en évidence la présence d’un déclin progressif quant au ressenti et à l’expression d’affects positifs et négatifs en fin de vie. La diminution du fonctionnement du système nerveux ainsi que la réduction des moments sociaux, marquant la période du vieillissement, semblent limiter les expériences émotionnelles et donc leurs régulations (Magai, 2006).

1.4.3. La culture

Les études s'accordent sur le fait que la culture affecte autant les stratégies de régulation émotionnelle centrée sur les antécédents de la réponse émotionnelle que celles agissant sur la modulation de réponse émotionnelle (Matsumoto, 2006 ; Taylor, Sherman, Kim, Jarcho et Takagi, 2004 ; Tweed, White et Lehman, 2004) ; et ce notamment parce que les cultures se distinguent de part leurs visions du monde et du soi (au niveau des idéologies, des valeurs) et de par le rôle attribué aux émotions et à leurs expressions sur le plan social (Matsumoto, 2006). Toutefois, aucune étude n’a exploré l’influence de la culture sur les stratégies de régulation utilisées spécifiquement par les joueurs de jeux de hasard et d’argent.

Synthèse du parapgraphe « La régulation des émotions »

Les individus sont quotidiennement confrontés à des situations pouvant entrainer des ressentis émotionnels divers et variés, négatifs ou positifs et d’intensité plus ou moins élevés. Face à cela, les individus vont tenter d’influencer la nature, l’expérience et l’expression de leurs émotions : c’est la

régulation émotionnelle.

Différentes stratégies de régulation émotionnelle existent dont la suppression expressive (entrainant lorsqu’elle est fréquemment utilisée une réduction du bien-être voire l’apparition de troubles émotionnels comme l’anxiété et la dépression) et la réévaluation cognitive (favorisant le bien-être lorsqu’elle est utilisée régulièrement).

Hétérogénéité des résultats quant à l’usage de la suppression expressive et de la réévaluation

cognitive chez les joueurs pathologiques ne permettant pas d’affirmer l’usage plus récurrent de l’une ou l’autre. Par ailleurs, aucun lien significatif n’a été trouvé entre suppression expressive et sévérité de jeu.

Pourtant, des déficits de régulation émotionnelle ont été mis en évidence chez les joueurs

ayant des problèmes de jeu. Possible présence de difficultés à réguler cognitivement et de manière

adaptée les émotions et où l’activité de jeu constitue un moyen comportemental pour réguler

efficacement les émotions, notamment négatives.

Plusieurs facteurs inhérents à l’individu influencent la régulation des émotions notamment le sexe, l’environnement dans lequel il évolue, l’âge et la culture.

Il semblerait que l’usage de stratégies de régulation des émotions diffère selon le type de

jeux pratiqués. Les joueurs de poker peuvent notamment utiliser la suppression expressive pour

bluffer et ainsi cacher à leurs adversaires leurs émotions en vue de remporter la partie par exemple. Seule une étude à ce jour a comparé les joueurs selon le type de jeux pratiqués ne permettant

pas la généralisation des résultats obtenus.

Il semblerait également que les distorsions cognitives interagissent avec les émotions en

situation de jeu et donc avec la régulation de ces dernières ; toutefois, là encore seule une étude a

été menée à ce jour.

Enfin, il apparait intéressant d’étudier la relation entre la régulation émotionnelle et les troubles émotionnels notamment car anxiété/dépression et sévérité de jeu sont fortement liés.

Le terme de comorbidité renvoie à la coexistence de plusieurs troubles présents chez un même individu. Dans le cadre des jeux de hasard et d’argent, la littérature met en avant la possible cooccurrence du jeu pathologique avec des troubles addictifs (Bischof et al., 2013 ; Goudriaan, Slutske, Krull et Sher, 2009 ; Lorains, Cowlishaw et Thomas, 2011 ; Mann et al., 2017) et/ou psychiatriques (Guillou-Landreat et al., 2016 ; Hopley et Nicki, 2010 ; Moghaddam, Campos, Myo, Reid et Fong, 2015 ; Quigley et al., 2015). Les comorbidités peuvent s’exprimer simultanément (comorbidité actuelle) et de manière indépendante, où l’un des troubles apparaît comme étant la cause ou la conséquence de l’autre trouble (comorbidité sur vie entière). Les observations cliniques révèlent le plus souvent la coexistence du jeu pathologique avec un ou plusieurs autres troubles, complexifiant alors la possibilité d’établir la chronologie d’apparition de chacun des troubles (Kessler et al., 2008). Un certain nombre d’études se sont intéressées aux comorbidités psychiatriques, dont l’anxiété et la dépression, présentent chez les joueurs de jeux de hasard et d’argent, en particulier chez les joueurs problématiques (joueurs à risque et pathologiques).