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Les dilemmes éthique en médecine militaire

Selon Drane (2002), compte tenu des contraintes économiques dans le système de la santé, la bioéthique doit aujourd’hui se pencher sur les enjeux de justice et d’égalité, alors qu’autrefois les principes de bienveillance et d’autonomie primaient. Pour certains auteurs, l’approche classique de la bioéthique de Beauchamp et Childress (2001) (le principisme5) de par son biais vis-à-vis l’autonomie des patients, s’appliquerait plus difficilement aux préoccupations sociales de la santé publique et au problème d’allocation des ressources (Callahan, 2003,

5 Principism est une pproche selon laquelle quatre principes moraux soit l’autonomie, la bienfaisance, la non-

Bayer et Fairchild, 2004). Cette tension entre le bien-être individuel et collectif, se présente aussi pour un nombre croissant de médecins qui se retrouvent dans des milieux de travail dont le but premier ne concerne pas les soins de santé. Ces situations font ressortir les tensions pouvant émerger lorsque les droits individuels et le bien commun sont en conflits (Levin et Fleischman, 2002; Kass, 2004; Callahan et Jennings, 2002). Par ailleurs, selon DeGrazia (2003), la primauté du patient, les valeurs individualistes seraient plutôt le reflet d’une culture et d’une structure sociale, sans être nécessairement une valeur universelle. Par conséquent, tandis que « l’approche classique de la bioéthique établit une opposition entre droits du malade et bien collectif, (privilégiant nettement les premiers sur le second), le présent courant cherche un équilibre entre les deux » (Durand, 2005 p.65). .

La médecine militaire est un de ces cas qui, en plus, implique la rencontre de deux professions qui ont chacune leur histoire et leur code d’éthique. Plusieurs auteurs parlent alors de « double allégeance » professionnelle (Physicians for Human Rights et al., 2000; London, 2005; London et al., 2006; Allhoff, 2008; International Dual Loyalty Group, 2008; Benatar et Upshur, 2008). L’Association médicale mondiale (AMM) explique la double allégeance de la façon suivante :

« Lorsque les médecins ont des devoirs et des responsabilités à la fois envers leurs patients et envers des tiers et que ces devoirs et ces responsabilités sont incompatibles, ils se trouvent dans une situation dite de « double allégeance ». Parmi les tiers qui exigent des médecins cette double allégeance figurent les gouvernements, les employeurs (les hôpitaux et les systèmes de santé, par exemple), les assureurs, les officiels militaires, la police, les officiels pénitentiaires et les membres de la famille. » (AMM, 2009 p.66)

Ainsi selon ce point de vue, des dilemmes pourraient surgir lorsque, en raison de la nécessité militaire, le médecin est dans l’obligation de subordonner l’intérêt et la volonté du patient, ou qu’il ne peut fournir les soins appropriés au patient. Les principes militaires visant le maintien de la force de combat et l’obéissance aux ordres, seraient donc en contradiction avec les principes médicaux de primauté du bien-être et d’autonomie du patient, ainsi que des principes de non-malfaisance (Sidel et Levy, 2003a; Beam et Howe, 2003). Comme le résume Allhoff (2008), il s’agit d’une opposition entre le contexte médical et militaire, où il semble y avoir

une tendance à tenir pour acquis que cette opposition soit la source même des problèmes éthiques.

Devant cette double allégeance professionnelle, certains croient que le médecin militaire doit demeurer avant tout un médecin et doit, en toutes circonstances et en tout temps, accorder une priorité absolue aux besoins du patient, tel que l’exige l’éthique médicale (Annas, 2008; Pellegrino, 2003). D’autres, comme Sidel et Levy (2003a) concluent plutôt qu’il est tout simplement immoral pour un médecin d’être militaire.

Selon l’AMM (2004, article 1), l’éthique médicale reste la même en temps de paix et en temps de conflit armé. Toutefois, certains auteurs considèrent que ce principe est difficile à appliquer dans des contextes comme ceux des opérations militaires, où les enjeux font également appel aux besoins collectifs (Gross, 2006; Moreno, 2004). Conséquemment à leur avis, l’éthique médicale ne peut être la même en temps de conflit et en temps de paix (Gross, 2006). En effet, l’éthique médicale militaire serait modifiée par l’adjectif « militaire », tout comme le sont l’éthique médicale pédiatrique, néonatale, d’urgence, de gériatrie ou publique (Gross, 2006). Selon ce point de vue, dans sa réflexion éthique, le médecin militaire doit peser dans la balance certains principes souvent conflictuels, de nécessité militaire, ainsi que de sécurité nationale.

Bref, tout comme dans le cas des médecins de manière générale, on retrouve dans la littérature concernant la médecine militaire, des discussions autour du rôle professionnel, social et politique du médecin, tout autant que sur son rôle dans sa relation avec les patients. Cependant la même question persiste, à savoir s’il existe des valeurs morales universelles, applicables à tous les contextes (le débat universaliste-relativiste), ainsi qu’un débat autour des idéologies libérales en opposition au communautarisme. L’éthique médicale dans son ensemble n’a pas encore réussi à résoudre ces questions, qui se retrouvent aussi dans l’éthique de la médecine militaire.

Dans l’article qui suit, nous proposons une revue de la littérature mettant en lumière le fait que l’argumentation autour de la médecine militaire, se situe souvent à des niveaux différents

d’analyse, ce qui tend à confiner le débat dans des oppositions entre les différents acteurs, principalement le médecin et l’institution militaire (et la double loyauté professionnelle). Nous en appelons donc à une vision plus large de la médecine militaire, pour lever le voile sur la complexité des différents contextes, acteurs et enjeux qui la caractérisent.

Dilemmas in military medical ethics: A call for conceptual clarity