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Classification, description et interprétation des données

Comme le disent Miles et Huberman (1994), coder ou classer c’est déjà analyser. Il s’agit généralement de faire des regroupements, pour assigner un sens à des informations recueillies au cours de la cueillette de données. Selon les classifications de Tesh (1990), la présente recherche s’inscrit dans une visée de description et de compréhension de l’action (les dilemmes éthiques rencontrés et le processus de résolution). Ceci implique que la recherche de données, de même que la classification doivent rendre compte de cette quête.

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Catégorisation de départ

Tout comme le suggèrent Miles et Huberman (1994), certaines catégories sont créées avant le travail sur le terrain. Elles découlent de la question de recherche, des suppositions, ainsi que de la réflexion éthique effectuée au préalable et issue de la littérature. À titre d’exemple, mentionnons les variables identifiées et présentées dans le plan d’entrevue :

1) variables individuelles (éducation, expérience de travail) ;

2) variables contextuelles de l’institution (depuis combien de temps dans les FAC, type de missions effectuées) ;

3) l’identité et le rôle professionnel (priorisation des professions, perception du rôle du médecin dans la médecine militaire, dans les conflits, etc.) ;

4) sur les types de défis éthiques pouvant être vécus en théâtre d’opération et comment ils se distinguent de la pratique civile ;

5) les processus utilisés pour résoudre les dilemmes ;

6) la comparaison des codes d’éthique et leur utilité (médicale, militaire, lois internationales) ;

7) l’intérêt militaire versus l’intérêt du patient ; 8) la préparation pré-déploiement ;

9) la neutralité et le pacifisme de la profession médicale ;

10) perception des conditions qui ont mené à des actes de torture et d’interrogatoires robustes de la part des médecins militaires américains ;

11) les valeurs et principes jugés importants et

12) les solutions suggérées pour faciliter la réflexion éthique.

Cette catégorisation ressemble en partie à celle suggérée par Bogdan et Biklen (1992 dans Miles et Huberman, 1994), qui toutefois rajoutent : 13) les activités ou des comportements qui se répètent; 14) les événements ou des comportements qui se rencontrent rarement; 15) les relations entre les personnes et les « patterns » comme les cliques, les amitiés, les coalitions, etc. (ce dernier aspect était toutefois limité puisque nous ne connaissons pas bien l’institution militaire, les liens d’amitié dévoilés lors des entrevues ont été pris en compte) et 16) les éléments autour de la méthode, c’est-à-dire, des difficultés, problèmes ou des allégresses du chercheur. Ces quatre éléments additionnels nous apparaissent essentiels, car ils intègrent la subjectivité et les intuitions du chercheur dans la recherche. Comme le fait remarquer Lapierre (1997), l’analyse qualitative doit demeurer ouverte et flexible, mais surtout opter pour une perspective épistémologique mixte « où sont reconnues à la fois l’objectivité du monde social et ses régularités, ainsi que le rôle central qu’y jouent les significations construites par les acteurs sociaux », y compris celles du chercheur (p.328) Malgré les limites de l’échantillon, ces derniers éléments se sont avérés utiles durant la dernière étape d’analyse pour identifier les thèmes les plus pertinents.

Réduction de l’information : résumé et retranscription des entrevues et codification

Tout comme le proposent Strauss et Corbin (1990), à la fin de la cueillette de données, les entrevues ont été revues une par une pour en dégager les points saillants ainsi que les catégories. Pour ce faire, un résumé de chacune des entrevues a été effectué. Cette procédure a favorisé un certain recul par rapport aux données, à l’identification de « pattern » et au regroupement de catégories, afin d’effectuer la codification. Tel que nous l’avons mentionné précédemment, tous les résumés ont été rédigés en français mais comprennent des verbatims dans la langue d’origine de l’entrevue.

La réduction de l’information s’est donc faite en deux temps. En premier lieu, un résumé de chacune des entrevues a été effectué de façon à raconter une histoire : celle de la personne interviewée et des dilemmes éthiques rencontrés, de son analyse de la situation, du processus de résolution de problème et de sa conception du contexte, bref de son expérience. Les notes du mémo y ont été intégrées. Ainsi, un résumé d’environ deux à trois pages par entrevue a été réalisé pour faire ressortir les faits et thèmes importants discutés, de même que les liens et différents points de vue des participants. Ce résumé décrit la réalité des médecins militaires canadiens ayant participé à une mission et raconte, de façon générale, les problèmes éthiques perçus et vécus, ainsi que les variables les plus utilisées dans leur interprétation des situations et dans leur prise de décision. Le but précis de cette première procédure de catégorisation (et de l’agrégation de catégories) était de révéler la présence de « pattern » dans le type de dilemmes rencontrés (reliés aux patients, à la mission ou à la tension entre les deux) et dans la prise de décision (ex. : valeurs utilisées, variables contextuelles ayant joué, identification à l’institution, utilisation des codes et lois). En effet, ces résumés ont permis de faire apparaître les variables les plus importantes de l’entrevue telles que: 1) expérience et fonction 2) identité et rôle professionnel, 3) éthique en temps de conflit et en temps de paix, 4) différence militaire-civile-humanitaire, 5) soutien reçu 6) préparation pré-déploiement, 7) valeurs, 8) codes éthiques, 9) intérêt du patient, 10) torture, 11) neutralité, 12) solutions.

Un deuxième niveau de réduction a été effectué avec la codification des entrevues sous Nvivo 2010. Afin que nos entrevues puissent être intégrées à la recherche plus large du groupe

EMMRG, les 14 enregistrements ont été codés sous Nvivo. Évidemment, avec seulement 14 entrevues nous aurions pu faire la codification manuellement.

Les codes sous Nvivo ont été développés en concertation avec d’autres membres du groupe de recherche EMMRG. Pour notre part, nous étions plus avancées par rapport au groupe de recherche dans l’analyse de nos 14 entrevues (transcriptions effectuées et vérifiées, résumés rédigés, catégorisation débutée) alors qu’eux étaient au début des transcriptions et n’avaient pas encore terminé toutes leurs entrevues. Nous avions déjà les douze catégories ci-haut mentionnés et, de leur côté, l’équipe avait commencé à structurer l’information recueillie dans leurs entrevues. Une première ébauche de codes, à laquelle nous n’avons pas participé, mais qui comprenait nos catégories, a été utilisée par des membres du groupe EMMRG sur quelques entrevues (autres que celle faisant l’objet de la présente recherche). Nous nous sommes joints à l’équipe de recherche pour finaliser l’élaboration des codes. L’idée n’était pas de faire une liste exhaustive de catégories ou de classifications. Nous avons plutôt tenté d’assurer une cohérence à l’intérieur des catégories, pour qu’une structure puisse gouverner le tout tel que suggéré par Miles et Huberman (1994). En fait, l’effort a surtout été de bien définir les codes et de les structurer de façon à ce que tous nous ayons une compréhension similaire de chacun des codes et sous codes. Nous avons donc passé plus d’une dizaine d’heures avec l’équipe à discuter et définir chaque code et sous codes.

Tel que mentionné précédemment, la recherche d’EMMRG vise différents professionnels de la santé comme, par exemple, des infirmiers, des physiothérapeutes et des paramédicaux et non pas seulement des médecins militaires. Précisons également que le groupe EMMERG a utilisé les mêmes outils de recherche notamment le questionnaire, développés dans le cadre de la présente recherche et a adopté la même méthodologie de recherche. Toutefois, l’objectif de la recherche n’est pas le même. Le projet d’EMMRG vise entre autres, à comparer les données avec une étude similaire effectuée auprès de professionnels de la santé oeuvrant dans le secteur humanitaire ainsi qu’entre les différents professionnels de la santé eux-mêmes. Les codes développés avec l’équipe couvrent donc plus d’information que nécessaire pour notre recherche. Nous avons tout de même utilisé la même matrice de codification de façon à ce que nos entrevues puissent faire partie de leur échantillon d’analyse.

Neuf grands codes ont été établis avec 161 sous codes, pour un total de 170 codes. Les grands thèmes ressemblent évidemment beaucoup à ceux du questionnaire et présentés précédemment, soit : 1) les codes d’éthique et lois, 2) l’éducation, 3) les défis éthiques, 4) la formation éthique, 5) les effets, 6) la neutralité, 7) les valeurs personnelles, 8) les suggestions, et 9) les répondants (identité et valeurs). Chaque code a été défini de façon à établir des distinctions claires entre eux, ce qui a facilité la codification et surtout, assuré une harmonisation à l’intérieur du groupe de chercheurs qui codifiaient. Dans le cas présent nous avons nous-mêmes effectué la codification des 14 entrevues avec les médecins militaires. La codification a été faite à partir des transcriptions et donc dans la langue d’origine des entrevues mais la codification a été développé en anglais. (voir en Annexe 4 la liste des codes utilisés sous Nvivo).

Ce deuxième niveau de lecture a permis de regrouper les informations sous un même thème et de vérifier si ce dernier était réellement récurrent et riche. Alors que les résumés donnaient une vision d’ensemble de l’entrevue d’un participant, la codification s’attardait plutôt à un thème ou une catégorie et ce, pour tous les participants. Certains codes se sont ainsi avérés plus riches et complexes en données. En effet, des neuf thèmes notés et codifiés sous Nvivo, six d’entre eux se sont distingués soit :1) l’identité professionnelle et le rôle professionnel, 2) les dilemmes et défis éthiques, 3) la dualité des codes d’éthique, 4) le processus de résolution de problème, 5) la formation en éthique et enfin 6) les suggestions. Les verbatim des participants, codifiés sous chacun de ces six thèmes, ont donc été regroupés et analysés en profondeur. Une synthèse des données sur ces six thèmes a ensuite été écrite et est présentée au Chapitre 4 :

Résultats de la recherche empirique.