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LE CADRE THÉORIQUE

2.1.2. Les différents courants théoriques

Knoepfel, Larrue et Varone (2006) proposent de distinguer trois courants dans l’analyse des politiques publiques : 1) un courant centré sur les théories de l’État ; 2) un courant expliquant le fonctionnement de l’action publique ; et enfin 3) un courant qui en évalue les résultats et les effets. Le Tableau 3 propose une synthèse des perspectives d’analyse, des approches ou modèles privilégiés et des points de focalisation de ces courants, avec quelques auteurs représentatifs.

Dans le premier courant centré sur les théories de l’État, le contenu des politiques publiques n’est pas analysé pour lui-même, mais comme un moyen pour vérifier et « comprendre la place du secteur public au sein de la société et son évolution dans le temps » (Knoepfel et al., 2006, p. 6). C’est une perspective européenne et surtout française, inspirée par Max Weber, où l’on retrouve des auteurs comme Mény et Thoenig (1989) ou encore Jobert et Muller (1987).

Tableau 3

Synthèse des courants d’analyse des politiques publiques

Courants Perspectives Auteurs Approches ou modèles prédominants Focalisation Interprétatifs Analyse centrée

sur les théories de l’État

Mény et Thoenig (1989) Jobert et Muller (1987)

Approche pluraliste État comme pourvoyeur de réponse aux demandes sociales

Approche néomarxiste ou néo-managériale

État comme instrument au service d’une classe ou d’un groupe

Approche néo- corporatiste ou néo- institutionnaliste

État comme espace de distribution des pouvoirs entre acteurs Explicatifs Explication du fonctionnement de l’action publique Easton (1965) Lerner et Laswell (1951) Lindblom (1959) Simon (1957) Crozier et Friedberg (1977) Muller et Surel (2000) Sociologie des organisations Analyse systémique Processus de décision et stratégies des acteurs Économie politique

New Public Management

Outils et instruments de l’action publique Science administrative Structures, procédures et

formes institutionnelles Approche cognitive

Sciences de l’information

Rôle des idées et représentations Évaluatifs Évaluation des

effets de l’action publique Desimone (2002) Fullan et Miles (1992) Leithwood, Jantzi et Mascall (1999) Démarche méthodologique Développement de méthodes d’évaluation Démarche administrative

Implantation des processus d’évaluation

On peut y distinguer trois « modèles théoriques » : 1) où l’État est conçu comme un guichet chargé de formuler de façon optimale une pluralité de réponses aux demandes sociales face aux problèmes réels (école du public choice, théorie de la rationalité limitée) ; 2) où l’État est analysé comme un instrument au service d’une classe sociale (approche néomarxiste) ou de groupes d’intérêts spécifiques (approche néo-managériale) dans le traitement des problèmes conçus comme réels par ces entités ; enfin 3) où un accent est porté sur la distribution des pouvoirs et sur les interactions entre acteurs par le biais de la représentation et de l’organisation des différents intérêts (approche néo-corporatiste) ou par les institutions encadrant les interactions (néo-institutionnalisme).

Le second courant qui rejoint la problématique initiale américaine des analystes des politiques publiques (Easton, 1965 ; Lerner et Laswell, 1951 ; Lindblom, 1959 ; Simon, 1957) est marqué par « une volonté de comprendre la complexité des processus de décision

publique, par un découpage en différentes variables de l’objet d’analyse » (Knoepfel et al., 2006, p. 10). L’État n’est plus appréhendé comme un acteur unique, mais plutôt comme un système politico-administratif complexe et hétérogène selon plusieurs perspectives. Certains auteurs mettent l’accent sur les processus de décision et les stratégies des acteurs, en s’inspirant de la sociologie des organisations (Crozier et Friedberg, 1977) ou de l’analyse des systèmes. Une deuxième perspective inspirée de l’économie politique s’intéresse à l’efficacité des outils et instruments de la politique publique. Une troisième approche étudie les structures, procédures et formes institutionnelles de l’administration publique à travers les politiques institutionnelles. Une quatrième perspective cognitive, aussi bien européenne qu’américaine, se focalise enfin depuis les années 1980 sur le rôle des idées et des représentations dans la formation et le changement des politiques publiques (Muller et Surel, 2000).

La perspective du troisième courant d’analyse des politiques publiques est évaluative et est en vogue depuis les années 1990. C’est l’approche administrative ou le fonctionnalisme pragmatique selon Lessard, Desjardins, Schwimmer et Anne (2008). Au regard des objectifs poursuivis à travers les politiques, les auteurs cherchent à en évaluer les résultats, mais aussi les effets directs ou indirects sur la société, pour comprendre ce qui marche (what works) et déterminer les principes et les règles pertinents pour réussir la mise en œuvre d’une politique. Dans le domaine des politiques éducatives, on retrouve des auteurs comme Desimone (2002), Fullan et Miles (1992), Leithwood, Jantzi et Mascall (1999).

La délimitation de ces différents courants n’est toutefois pas étanche, car certains travaux s’inspirent de l’une comme de l’autre approche. Mais ils reflètent une conception séquentielle couramment admise par les chercheurs dans le domaine des politiques publiques à la suite de Charles O. Jones (1970) selon laquelle une politique comporterait plusieurs étapes : élaboration (ou mise sur agenda et formulation), décision, implantation, suivi et évaluation1. Lessard et al. (2008, p. 156) font remarquer particulièrement dans le domaine de l’éducation que « si beaucoup de travaux ont été consacrés à l’élaboration et à la décision politique selon diverses perspectives […], ces dernières années, les chercheurs

1 Si l’avantage de cette approche séquentielle réside dans son caractère ordonné, récurrent et divisible,

Harguindeguy (2010, p. 199) fait observer toutefois que « les séquences de politiques publiques se déroulent rarement de façon parfaitement ordonnée et rationnelle et [qu’il] n’est pas rare que la phase d’évaluation finale oblige à revenir sur les mesures prises précédemment ».

se sont davantage souciés de l’implantation des politiques » pour interroger l’absence d’effets constatée entre réformes et pratiques. Dans la conceptualisation et l’analyse de cette étape du cycle d’une politique, Datnow et Park (2009) distinguent principalement trois perspectives :

- une perspective technique-rationnelle qui met l’accent sur la fidélité aux processus de planification, organisation, coordination et contrôle de l’implantation sans égard au contexte ;

- une deuxième perspective plus attentive au contexte local et aux processus d’adaptation mutuelle des acteurs ;

- enfin une troisième perspective, dite de production de sens (sensemaking) et de co-construction, qui met « les acteurs de la mise en œuvre au premier rang des efforts de réforme, en soulignant le processus par lequel ils interprètent, adaptent ou transforment la politique » (Datnow et Park, 2009, p. 350).

Dans ces trois perspectives énumérées par Datnow et Park (2009), on retrouve globalement les deux courants normatif et analytique décrits par Steiner-Khamsi (2014) dans l’étude des migrations des politiques publiques (policy borrowing). Dans l’analyse de la mise en œuvre des politiques publiques, les deux approches complémentaires du sensemaking et de la co-construction sont privilégiées depuis la fin des années 1990 et s’inspirent de la psychologie sociale ou des théories des organisations. Pour les chercheurs de ce courant (comme Coburn, 2001 ; Datnow, Hubbard et Mehan, 2002 ; Hubbard, Stein et Mehan, 2006 ; Spillane, Reiser, et Reimer, 2002 en éducation), au lieu de se focaliser sur la conformité de la mise en œuvre de la politique avec les objectifs de départ, il s’agit plutôt d’analyser les processus cognitifs, les dynamiques du pouvoir à travers lesquels les acteurs donnent sens à cette politique dans la pratique en interagissant avec les autres acteurs et leur environnement social, culturel et politique. Datnow et Park (2009) soutiennent qu’une analyse qui intègre le sensemaking et la co-construction est utile pour comprendre la nature complexe et souvent désordonnée de certaines politiques publiques. C’est ce courant analytique décrit par Steiner-Khamsi (2014) et qui reflète la troisième perspective selon Datnow et Park (2009) que suivent les sociologues français de l’action publique comme Hassenteufel (2011), Lascousmes et Le Galès (2012).