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LE CADRE THÉORIQUE

2.3. Définition des principaux concepts de la recherche

2.3.3. Les acteurs

Le passage du paradigme de politique publique à celui d’action publique remet en perspective au centre de l’analyse politique l’ensemble des acteurs à la place de l’État. L’acteur est donc un concept clé dans l’approche de la sociologie de l’action publique.

2.3.3.1. Définition

Le concept d’acteur est une « construction méthodologique » dont le contenu est élaboré en référence à un cadre théorique donné (Foudriat, 2011, p. 357). Ainsi, dans un processus de politique publique, l’acteur est défini par Grossman (2010) comme celui qui agit et dont l’action a des répercussions sur ce processus. Pour cet auteur donc, l’action doit contribuer au processus de la politique et pouvoir l’influencer. Cette approche de l’acteur serait une définition a posteriori et découlerait d’une appréciation rétrospective. Elle est contestée par Knoepfel et al. (2006) qui préfèrent une définition plus large en soutenant que

tout individu ou groupe social concerné par le problème collectif dont traite la politique publique étudiée est un acteur (au moins potentiel), même s’il est (momentanément) dans l’incapacité d’entreprendre des activités concrètes lors d’une ou de plusieurs phases d’une intervention publique. (p. 47)

L’identification des acteurs a donc un caractère provisoire, lié au déroulement de l’action publique. Ainsi, si dans la phase de décision d’une réforme dans l’enseignement supérieur, la passivité du personnel administratif peut le faire apparaître comme un non- acteur, cette attitude peut avoir une influence considérable à l’étape de mise en œuvre qui requiert l’implication de ce personnel et en faire alors un acteur important.

Les deux conceptions (déterministe et interactionniste) de l’action que relèvent Ogien et Quéré (2005), donnent lieu à des visions différentes de l’acteur. Dans les théories classiques des organisations qui étaient en vigueur jusqu’à la fin des années 1970 (organisation scientifique et administrative du travail, analyse marxiste, théories de la contingence), l’individu est représenté de manière atomisée, réductrice et déterministe au profit de la structure formelle. Les approches intégrées dans la sociologie de l’action publique ont plutôt une vision interactionniste de l’acteur : l’individu est mis au centre de l’analyse et son action est « un processus dont le terme n’est pas donné a priori et dont la forme se constitue dans le déroulement temporel des échanges qui la composent » (Ogien et Quéré, 2005, p. 6). L’acteur a « des capacités spécifiques, des perceptions spécifiques et des préférences spécifiques » (Scharpf, 1997, p. 43), mais la rationalité de son action est limitée par les contraintes de la culture, du système d’action ou des nécessités stratégiques (Crozier et Friedberg, 1977).

Les typologies d’acteurs varient selon les auteurs. Sur une base numérique, Grossman (2010) distingue l’acteur individuel et l’acteur collectif. L’acteur individuel se définit par sa capacité d’action stratégique et des objectifs multiples, ambigus et parfois contradictoires (Crozier et Friedberg, 1977). Parmi les acteurs collectifs, Scharpf (1997) distingue la coalition, le mouvement, le club ou l’association selon le type de contrôle (séparé ou collectif) des ressources ou d’orientation des acteurs (objectifs séparés ou communs). Pour Le Galès (2011), les critères suivants sont nécessaires pour définir un acteur collectif : un système de prise de décision collective, des intérêts communs, des mécanismes d’intégration, une représentation interne et externe et une capacité d’innovation. Dans l’espace d’une politique publique donnée, Knoepfel et al. (2006) distinguent les acteurs publics ou politico-administratifs investis du pouvoir public, et les acteurs privés de la sphère socioéconomique ou socioculturelle. Les acteurs privés sont constitués en trois sous-groupes : les groupes-cibles, les bénéficiaires finaux et les groupes tiers (profiteurs ou lésés). Dans l’espace de la réforme LMD, nous nous intéresserons particulièrement aux acteurs publics et aux acteurs privés à configuration collective.

Pour l’analyse des acteurs, Hassenteufel (2011) retient trois éléments : les ressources, le système de représentations et les intérêts. Dans une perspective d’analyse stratégique, la grille de Dupuis (1993 ; cité par Rouleau, 2010, p. 122) contient cinq entrées : le problème, les buts, les ressources, les enjeux et les stratégies. Nous retenons pour notre recherche les

dimensions suivantes que nous allons expliciter : les intérêts, les ressources, le système de représentations et les stratégies.

2.3.3.2. Dimensions Intérêts

Dans la perspective stratégique, chaque acteur poursuit à travers ses actions des buts et des objectifs qui lui sont propres. Les intérêts représentent ces « objectifs d’action centrés sur le sujet et que celui-ci doit s’efforcer d’atteindre pour assurer sa propre survie » (Mayntz et Scharpf, 2001, p. 110). Même si ces objectifs ne sont pas toujours clairs et en parfaite cohérence avec les actions, ils sont à prendre en considération pour saisir la rationalité limitée de l’acteur. Certains auteurs (Dupuis, 1993 ; Rouleau, 2010) voudraient distinguer les intérêts des enjeux qu’ils définissent comme ce que l’acteur risque de perdre ou de gagner. Nous pensons toutefois, comme Foudriat (2011, p. 359), que les deux concepts peuvent être pris comme synonymes, « l’enjeu, pour un acteur, [correspondant] à la valorisation qu’il accorde à certains objectifs ». Comme exemples d’intérêts ou d’enjeux, on peut citer le bien-être physique, l’accès aux ressources, la liberté d’action, le pouvoir. Les intérêts renvoient à ce qui fait l’objet de préoccupations pour l’acteur, que Bareil (2004b, 2008) définit comme des inquiétudes et des questionnements. Ils sont imbriqués avec le système de représentations et sont reflétés dans le résultat des processus d’appropriation du changement par l’acteur.

Ressources

Les ressources représentent tout ce qui détermine la capacité d’intervention stratégique d’un acteur et la représentation qu’il s’en fait. Pour les théoriciens de l’analyse des ressources (Pfeffer, 1981), la rareté d’une ressource dans un contexte donné confère du pouvoir à l’acteur qui la détient. Les ressources sont de nature variée (Hassenteufel, 2010 ; Knoepfel et al., 2006). Elles peuvent être par exemple monétaires (argent), humaines (effectif des militants pour un acteur collectif), cognitives (information, expertise), temporelles (temps).

Système de représentations

Le système de représentations est un concept générique proposé par Hassenteufel (2010) qui renvoie indistinctement à ce que plusieurs analystes des approches symboliques (ou cognitivistes) nomment référentiel (Muller, 2010), paradigme (Smith, 2010), système de croyances (Sabatier, 2010) ou cadre cognitif (Rein et Schön, 1991). C’est un ensemble de principes généraux, de grille d’interprétation, d’argumentaires auxquels adhère un acteur dans sa perception et son interprétation de la situation sur (et dans) laquelle il veut agir et qui orientent ses stratégies. Plus précisément, on peut citer comme éléments de ce système les artefacts culturels (par exemple des vêtements ou des traditions), les valeurs (la liberté ou la solidarité), les croyances (la priorité de la liberté individuelle sur l’égalité sociale, la capacité d’autorégulation des marchés).

Stratégies

La stratégie est le concept central de l’analyse stratégique. Balme (2010, p. 545) la définit simplement comme une « série d’actions sélectionnées par l’acteur pour réaliser ses préférences ». La sélection n’est pas toujours consciemment opérée avant l’interaction si bien que pour Crozier et Friedberg (1977, p. 57) « la stratégie n’est rien d’autre que le fondement inféré ex post des régularités de comportements observées empiriquement ». Toutefois, la régularité peut ne pas être observable dans le cas d’une action publique limitée dans le temps ; les comportements sont alors sélectionnés de manière ponctuelle. Les stratégies peuvent être continues (par exemple une réduction budgétaire) ou discontinues (acceptation ou refus d’une négociation) ; elles sont offensives si elles visent à améliorer une position, et défensives si l’action a pour but de préserver une marge de manœuvre (Rouleau, 2010). Mais la sélection des actions est indissociable du contexte et de relations de pouvoir qui lient les acteurs en présence.