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Les déterminants d’un cercle vertueux potentiel

Efficacité macroéconomique de la substitution d’une taxe carbone à des prélèvements obligatoires sur le travail

2 L’hypothèse du double dividende revisitée

2.4 Les déterminants d’un cercle vertueux potentiel

Pour illustrer la possibilité d’un double dividende avec des hypothèses moins restrictives et en  mobilisant  davantage  l’information  quantitative  sur  l’état  de  l’économie  française,  nous  simulons  numériquement  avec  le  modèle  IMACLIM‐S.2.4  ‐  configuré  et  paramétré  selon  nos  hypothèses  de  référence ‐ l’effet de la réforme suivante : l’application d’une taxe carbone qui atteint le haut niveau  de  400€/tCO2  et  qui  est  recyclée  sous  un  principe  de  « neutralité  budgétaire »  en  une  baisse  des        

36 Effectif, car il ne s’agit pas des montants d’impôts acquittés mais de la charge macroéconomique globale de l’impôt, calculée

« ex post », en prenant en compte les effets induits de la réforme sur les autres coûts de production (réponse des salaires) et sur la demande.

  cotisations sociales38. La taxe que nous modélisons est supposée universelle, prélevée sur le contenu 

carbone de toutes les ventes d’énergies fossiles, donc acquittée par les producteurs comme par les 

consommateurs. Comme les administrations publiques peuvent s’endetter, une règle de gestion des  finances  publiques  différente  du  principe  budgétaire  précédent  est  retenue.  Les  administrations  maintiennent la constance du ratio de la dette publique à la richesse produite (PIB)39. Notons que ce  taux de taxe correspond (hors bouclage macroéconomique et variations du mix énergétique) à une  hausse des prix pour les entreprises et aux consommateurs, respectivement de 186% et 138% pour  les  carburants  et  de  233%  et  91%  pour  les  autres  énergies40.  On  considère  implicitement  que  ce  niveau élevé de taxe a été atteint progressivement et que cette progression a été anticipée par les  agents économiques41. 

L’horizon  rétrospectif  de  vingt  années  que  nous  envisageons  (nous  ramenant  à  1984)  correspond au temps nécessaire pour une bonne adaptation des grands équilibres économiques au  nouveau régime de prix. Rappelons en revanche que, du côté de l’énergie, une telle période, si elle  permet  le  redéploiement  d’une  part  importante  de  l’offre  et  des  gains  d’efficacité,  est  trop  courte  pour qu’on puisse considérer les effets de l’évolution des formes urbaines, des reports modaux sur  les  transports  ou  de  la  pénétration  de  nouveaux  types  de  bâtiments.  Cela  signifie  que  nous  comparons  la  France  historique  de  2004  à  des  « France‐2004  contrefactuelles »  issues  d’un  ajustement de moyen terme à la réforme42. C’est pourquoi nous avons choisi de retenir des taxes de  plusieurs  centaines  d’euros  par  tonne  de  CO2,  pour  bien  marquer  que  le  coût  macroéconomique  à  moyen  terme  d’une  taxe  carbone  n’est  pas  égal  à  la  somme  des  coûts  d’abattement  induit,  mais  dépend sensiblement des modalités de mise en œuvre et en particulier de l’usage des recettes.  On observe qu’avec ces hypothèses, une substitution entre taxe carbone et cotisations sociales  (Tableau 17) conduit à :   une hausse du coût de l’énergie,   une hausse de l’intensité en travail de la production liée au changement structurel induit à  moyen terme par la baisse du coût relatif du facteur travail, par rapport à l’énergie mais aussi  aux autres intrants43,        

38 Pour des raisons de clarté, nous avons choisi de ne citer dans le corps du texte les évolutions des indicateurs que lorsqu’ils sont

indispensables à la compréhension des points abordés, renvoyant le lecteur aux annexes pour une vision plus complète des résultats (Table EE, page 391). Le jeu d’indicateurs principaux mobilisés dans le corps du texte est décrit formellement dans les annexes (section V.2, page 382). Les autres indicateurs des tableaux de résultats complets sont également présentés dans cette annexe.

39 Nous étudions au chapitre suivant l’influence de cette hypothèse sur les résultats.

40 Pour les consommations d’énergie des ménages, l’impact direct sur le prix des carburants est plus fort que celui sur le prix des

autres énergies, en dépit du matelas initial de taxes (TIPP), parce que l’électricité est moins taxée. A l’inverse, la part de l’électricité dans le mix des autres énergies utilisées par les systèmes productifs est moindre. Ces hausses ex ante intègrent l’amplification due à la TVA.

41 Cette hypothèse est maintenue dans l’ensemble des simulations de cette étude ; elle correspond formellement à ce que

l’introduction de la taxe carbone n’altère jamais la structure du modèle (c’est-à-dire le système d’équations qui décrit le fonctionnement de l’économie).

42 Nous renvoyons le lecteur au second chapitre pour le détail des hypothèses qui définissent les possibilités d’ajustement du

système économique à moyen terme (cf. chapitre 2, page 71).

43 On rappellera qu’étant donné le niveau d’agrégation de la production composite, cette augmentation de l’intensité du travail

recouvre à la fois la sélection de techniques plus intensives en travail, et la réorientation de la demande vers des produits plus intensifs en main d’œuvre, dont le prix relatif baisse par rapport aux biens intensifs en énergie.

 une baisse des importations de pétrole et donc de la facture pétrolière, 

 une baisse du prix de production du bien composite (par rapport au prix du bien composite  international, numéraire du modèle). 

Si les trois premières évolutions sont sans surprise, nous avons vu plus haut que la troisième  ne va pas de soi : une baisse des coûts de production ne peut venir que de ce qu’une partie de la taxe  carbone  ne  retombe  pas  sur  ces  coûts  ou  sur  les  revenus  qui  en  découlent.  Ceci  passe  par  deux  mécanismes :  la  baisse  du  transfert  de  richesse  en  faveur  des  pays  exportateurs  de  pétrole  qui  impose  une  moindre  charge  sur  l’ensemble  de  l’économie,  donc  sur  l’appareil  de  production,  et  le  fait que les revenus de rentes et de transferts sont frappés par un impôt nouveau qui n’a plus à être  prélevé  sur  les  facteurs  de  production44.  Ce  second  mécanisme,  le  transfert  de  charges  vers  les 

revenus  non  salariaux,  était  absent  dans  l’analyse  précédente,  puisque  les  revenus  des  ménages 

étaient homogènes, uniquement constitués de salaires. Au total, une taxe de 400€/tCO2 abaisse ainsi  la charge fiscale par bien composite produit de 14%45. 

Option budgétaire RDPC*

Produit intérieur brut réel +2,1%

Emploi total (éq. temps plein) +4,1%

Prix de production composite -1,2%

Intensité en travail du bien composite +1,6%

Consommation composite des ménages +1,8%

Volume des exportations de bien composite +0,7%

Proportion de bien composite importée -1,0%

Importations de pétrole brut (TEP) -20,0%

Ratio de la dette publique au PIB id.

* RDPC : ratio de la dette publique au PIB constant

Tableau 17 Impact d’une taxe de 400€/tCO2 recyclée en baisse des cotisations sociales

Par ailleurs, on observe qu’à la hausse des exportations qui découle directement de la baisse  des coûts de production est associée une hausse de la consommation des ménages. 

Cette  conjonction  d’effets  bénéfiques,  nous  l’avons  vu  précédemment,  ne  va  pas  de  soi  elle  non  plus.  Par  conséquent,  la  réforme  enclenche  dans  l’ensemble  un  cercle  vertueux  plutôt  que  vicieux  car  l’effet  négatif  de  la  hausse  de  la  facture  énergétique  des  ménages  (qui  réduit  ceteris 

paribus leur pouvoir d’achat) est compensé par l’effet des trois paramètres dont les variations vont 

systématiquement  « dans  le  bon  sens »,  la  hausse  de  l’intensité  en  emploi,  la  baisse  des  prélèvements qui pèsent sur la production et la progression de la consommation des ménages. 

      

44 Il ne faut pas tirer trop vite des conclusions de ce transfert de charges du point de vue de l’équité, les revenus de rentes et de

transferts n’étant pas répartis de façon homogène selon les classes de revenu. C’est un point crucial que nous aborderons au chapitre 7.

45 Des indicateurs complémentaires, comme ici la charge fiscale qui repose sur les coûts de la production de composite, sont

  Pour  donner  l’intuition  d’un  processus,  on  peut  distinguer  les  conséquences  directes  et  indirectes  de  la  réforme  et  préciser  la  nature  des  rétroactions  mises  en  jeu  par  le  fonctionnement  d’ensemble  du  système  économique46  (Tableau  18,  page  177,  et  Figure  11,  page  178).  Nous  observons  comment  évolue  la  composition  de  ces  effets  en  simulant  deux  niveaux  de  taxe  (400  et  500€/tCO2).  Les  effets  directs  et  indirects  (flèches  en  traits  pleins  de  la  Figure  11)  induisent  les  évolutions suivantes : 

 le prix de production du bien composite baisse de 1,17 à 1,26% (1), 

 le pouvoir d’achat des revenus réels des ménages augmente ou baisse (2) légèrement (+0,1  et  ‐0,1%)  selon  que  la  baisse  du  prix  de  production  et  l’évolution  des  revenus  disponibles  compense ou non la hausse de la facture énergétique des ménages (+87,8 à +99,6%), 

 la  demande  des  ménages  en  bien  composite  progresse  de  1,8  à  2,0%  (3)47  car  l’alourdissement de la part des dépenses d’énergie dans le budget est limité par la baisse des  consommations d’énergie (‐11,9 et ‐13,0%), 

 la  « compétitivité‐coûts »  des  productions  nationale  est  améliorée  (4),  ce  qui  entraîne  à  la  fois une baisse de la proportion de bien composite importée48 (de ‐1,0 à 1,1%) et une hausse  des exportations (de 0,7%), 

 la production intérieure progresse donc de 2,1 à 2,2% (5), 

 l’emploi progresse également (6) et davantage que  la production intérieure  (+4,1 à +4,5%),  en raison de la hausse de l’intensité travail du composite (de 1,6% à 1,7%), 

 la  hausse  des  salaires  nominaux  de  9,4  à  10,6%  (7)  avec  l’amélioration  du  pouvoir  de  négociation des salariés en raison de la baisse du chômage (de 3,7 à 4,1 points),   la hausse des revenus nominaux des ménages de 7,0 à 7,9% (8) en raison de la progression  des salaires, mais aussi des allocations chômage et des autres transferts qui sont indexés sur  les salaires, des créations d’emploi (l’écart de revenu entre chômeur et non chômeur est en  moyenne de 2,4) et des revenus non salariaux qui progressent avec le PIB.        

46 Le cadre statique du modèle ne permet pas de décrire la séquence des ajustements. Par conséquent, nous parlons d’effets

directs pour désigner une influence directe des modalités de la réforme sur des variables du système (l’influence de la taxation du carbone sur les factures d’énergie, de la baisse initiale des cotisations sur le coût du travail) ; les effets sont dits indirects lorsque l’influence de ces modalités transite par l’intermédiaire d’une ou plusieurs autres variables (i.e. la réforme a un effet dépressif sur l’activité puisqu’elle entame le pouvoir d’achat des ménages en alourdissant leur facture énergétique) ; enfin, une boucle de rétroaction advient lorsqu’un effet indirect met en jeu plusieurs fois une ou plusieurs variables, modifiant ainsi les premières influences directes ou indirectes (c’est le cas des allègements de cotisations sociales qui se voient modulés par les administrations publiques car la réforme modifie le niveau d’activité et, par suite, le niveau de recettes et dépenses publiques ; un ajustement de ces allègements est alors requis pour respecter la contrainte de neutralité budgétaire).

47 Pour faciliter la lecture nous ne rapportons que l’évolution de la consommation composite des ménages. Il s’agit d’un indicateur médiocre de leur bien-être mais qui donne une mesure simple et directe de l’effet de relance ou de dépression de la demande intérieure. Nous introduirons et discuterons des indicateurs plus proches de la notion de bien-être plus loin (chapitre 7). On tentera de résister pour l’instant au réflexe d’utiliser la consommation de bien composite comme un marqueur du niveau de vie des ménages — tout en gardant à l’esprit que, bien que les deux indicateurs puissent évoluer de façon contraire pour une même variante, si celle-ci est plus défavorable qu’une autre pour la consommation de bien composite, elle le restera pour la consommation effective.

48 La part relative des importations réelles dans la consommation nationale réelle diminue avec le rapport entre prix domestiques et prix internationaux —ceci n’interdit pas que les importations réelles absolues augmentent.

L’équilibre  général  résulte  des  mécanismes  de  rétroaction  suivants  (flèches  en  traits  pointillés) : 

 la variation des revenus nominaux (8) influe sur le pouvoir d’achat des ménages (2) puis sur  la demande domestique adressée à l’appareil productif national (3) ; 

 la  variation  des  salaires  nominaux  (7)  et  les  divers  mécanismes  d’ajustement  des  coûts  de  production influent sur le coût relatif du travail et les prix des biens (1) ; 

 l’ajustement  du  compte  public  (9),  selon  l’option  budgétaire  retenue,  influe  sur  le  taux  de  cotisations sociales, le coût relatif du travail et les prix de production (1). 

 Ce  processus  d’itération  se  poursuit  jusqu’à  la  détermination  du  nouvel  équilibre,  qui  est  caractérisé  par  les  valeurs  induites  de  PIB,  d’emploi,  de  consommation,  de  dette  publique, 

etc. 

Étant  donné  nos  hypothèses  de  référence  sur  le  fonctionnement  actuel  de  l’économie  française  (nous  verrons  dans  un  instant  la  robustesse  de  ce  résultat),  c’est  un  cercle  globalement  vertueux pour l’activité et l’emploi qui s’enclenche. Dans ce scénario, la baisse de 1,2% du coût de  production du bien composite permet en effet une hausse de 0,7% des exportations de ce bien, et  une baisse de 1,0% de la part que l’on importe et une progression de 1,8% de la consommation des  ménages. On observe donc une hausse de l’activité et de la richesse nationale, qui est renforcée par  la baisse de 20,0% des importations énergétiques ; mais comme nous le verrons plus loin (au chapitre  6), ce cercle vertueux conduit à des résultats très fortement dépendants des politiques budgétaires,  et principalement du niveau de priorité qu’elles donnent à la maîtrise de la dette publique. 

 

Taxe carbone recyclée en baisse des cotisations 400€/tCO2 500€/tCO2

Prix de production composite -1,17% -1,26%

Effets directs du coût des consommations d’énergie +1,88% +2,05%

des prélèvements sur le travail (cotisations) -3,77% -4,35%

Effets indirects de l’intensité en énergie -0,40% -0,43%

de l’intensité en travail +0,53% +0,56%

des salaires nets +1,79% +2,03%

des prélèvements sur le travail (cotisations)** -0,49% -0,35%

Autres effets indirects sur les prix*** -0,71% -0,79%

Pouvoir d’achat des ménages

Toutes consommations +0,1% -0,1%

Non énergétiques (bien composite) +8,1% +9,2%

Effet direct Facture énergétique +87,8% +99,6%

Consommation d’énergie**** -11,9% -13,0%

Effets indirects Chômage (points de %) -3,7 -4,1

Salaires nets nominaux +9,4% +10,6%

Revenus nominaux disponibles +7,0% +7,9%

Demande des ménages (composite) +1,8% +2,0%

Compétitivité des productions nationales

Proportion de bien composite importée -1,0% -1,1%

Volume des exportations de bien composite +0,7% +0,7%

Production intérieure (PIB réel) +2,1% +2,2%

Emploi

Emploi total +4,1% +4,5%

Intensité en travail du bien composite +1,6% +1,7%

Remarque : la décomposition de la variation du prix de production est effectuée au moyen d’une technique

d’indice (cf. annexes, page 383). Etant donné les variations non marginales engagées, il reste une erreur généralement inférieure à 5% (elle est ici de 1%).

** Les allègements de cotisations sociales sont ajustés en raison des effets de la réforme sur les finances

publiques (cf. chapitre 6).

*** Le prix de production augmente en raison de l’effet de la réforme sur le niveau de production (via les

rendements décroissants statiques) et diminue avec la hausse de l’investissement (via le progrès technique), de l’intensité en capital et en consommations intermédiaires non énergétiques et avec la baisse du prix du composite (via le coût de l’investissement et des consommations intermédiaires non énergétiques).

**** En volume : tonnes équivalent pétrole (TEP).

Tableau 18 Effets directs et indirects sur le prix de production et le pouvoir d’achat des

Figure 41 Représentation schématique des mécanismes de propagation

Gestion du budget public (9)