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Efficacité macroéconomique de la substitution d’une taxe carbone à des prélèvements obligatoires sur le travail

EQUILIBRE INITIAL

Baisse des cotisations sociales

Hausse des prix des énergies

carbonées

Réforme fiscale carbone unilatérale Baisse du coût du travail Variation moyenne de la charge fiscale par unité produite

Hausse de l’intensité en travail Variation du prix de production (1) Variation du

pouvoir d’achat des particuliers (2)

Variation de la demande domestique (3) Variation de la production intérieure (5) Variation de l’emploi (6)

Variation des salaires nets nominaux (7) NOUVEL EQUILIBRE Effet sur la Compétitivité (4) Hausse de la fiscalité sur l’énergie Baisse de l’intensité en énergie Variation des exportations Variation de la part des importations &

Variation du revenu disponible Nominal (8) Variation des revenus non salariaux Variation des transferts sociaux Variation des revenus salariaux EVOLUTION DE LA DETTE Canaux de rétroaction Effets directs et indirects

Variation des

recettes fiscales Variation des dépenses

PIB, Emploi, Consommation

PIB, Emploi, Consommation, Dette

Ajustement des cotisations sociales Variation du coût du travail Option Budgétaire Baisse de la facture énergétique

 

3 Incertitudes, diversité des croyances et robustesse des résultats

Les résultats numériques qui précèdent sont les effets nets de mécanismes qui ne jouent pas  tous dans le même sens, ni avec la même force. Le domaine de validité du résultat précédent peut  donc être limité à des hypothèses trop particulières sur les éléments incertains du fonctionnement  de  l’économie.  Cette  section  se  propose  d’en  tester  la  robustesse  en  considérant  des  variantes  de  fonctionnement macroéconomique de second rang. Nous le faisons en présentant un certain nombre  de tests de sensibilité sur les effets induits par le dispositif taxe carbone‐baisse des cotisations. Parmi  les nombreuses variantes possibles, nous nous arrêtons sur celles qui touchent aux principaux points  d’incertitude et de controverse49. 

Nous considérons dans un premier temps des hypothèses différentes sur la capacité technique  des  ménages  et  des  systèmes  productifs  à  éviter  l’impôt  (paragraphe  3.1),  puis  sur  la  réponse  des  salaires  et  la  sensibilité  des  échanges  extérieurs  (paragraphe  3.2).  Nous  garderons  en  tête  que  beaucoup  de  ces  tests  représentent  des  hypothèses  extrêmes  qui  ne  prétendent  aucunement  au  réalisme mais précisent les conditions de l’analyse normative. 

3.1 Sensibilité au potentiel de décarbonisation

Traditionnellement, les avis divergent sur la flexibilité des systèmes techniques tant du côté de  l’offre  que  du  côté  de  la  demande  d’énergie.  Un  point  important,  souvent  ignoré,  est  qu’un  plus  grand  optimisme  technologique  ne  se  traduit  pas  mécaniquement  par  un  moindre  coût  des  politiques,  dès  lors  que  l’on  tient  compte  de  l’ensemble  des  interdépendances  au  sein  d’une  économie. Par exemple, si le couple taxe carbone‐baisse des cotisations sociales produit un double  dividende économique, alors une érosion rapide de la base sur laquelle est prélevée la taxe carbone  conduit à un amenuisement de ce double dividende (Bovenberg et de Mooij, 1994a). Mais d’un autre  côté,  une  rigidité  trop  forte  des  consommations  d’énergie  suscitera  une  forte  hausse  des  factures  énergétiques  payées  par  les  ménages  et  les  entreprises ;  si  elle  n’est  pas  compensée,  cette  hausse  risque de déprimer l’activité. 

Pour  comprendre  les  liens  entre  hypothèses  technologiques  et  impact  macroéconomique  d’une  fiscalité  carbone,  nous  supposerons  dans  un  premier  temps  des  variations  des  potentiels  de  décarbonisation des seuls systèmes de production, puis de ces mêmes potentiels pour les ménages.  Nous adopterons deux hypothèses contrastées : d’une part, un doublement du potentiel  ultime  de  décarbonisation et de la sensibilité de la réalisation de ce potentiel aux prix de l’énergie, d’autre part  une rigidité absolue des technologies de production et d’usage final des énergies50. 

Un  plus  grand  optimisme  sur  la  décarbonisation  de  la  production  induit  une  amélioration  significative  de  l’impact  sur  la  consommation  des  ménages,  qui  progresse  fortement  —  de  3,2%,  contre 1,8%  (Tableau 19). Le mécanisme qui provoque ce résultat  mérite d’être détaillé, puisqu’on        

49 Cf. chapitre 1 et 2.

50 Nous conservons toutes les autres hypothèses de référence sur le fonctionnement de l’économie (cf. annexes, Table B page 328

enregistre une légère hausse du prix de production composite (+0,8%) et qu’on s’attendrait au vu des  résultats précédents à ce que ceci nuise à l’activité (par exemple, en comparaison de notre première  simulation, où ce même prix baissait de 1,2%). L’induction d’une hausse des prix de production par  un surcroît de flexibilité est contre‐intuitive a priori car elle ne résulte pas d’effets directs, mais elle  traduit une force de rappel bien réelle : une plus grande flexibilité est cohérente avec une plus forte  augmentation  de  l’intensité  en  travail  de  la  production ;  cette  augmentation  (de  1,4  point  par  rapport au cas de référence) entraîne une demande et un PIB supérieur, ce qui induit une baisse du  chômage  et  une  hausse  du  salaire  nominal  assez  forte  pour,  au  final,  augmenter  les  coûts  de  production. La légère perte de compétitivité internationale qui en résulte ne se traduit pas par une  croissance  plus  faible  parce  qu’elle  est  plus  que  compensée  par  la  croissance  de  la  demande  domestique qu’autorise la progression des salaires. 

Recyclage Baisse des cotisations

Option budgétaire RDPC*

Potentiel de décarbonisation (production) Nul Référence Doublé

Emissions totales de CO2 -16,3% -41,4% -57,9%

Produit intérieur brut réel +2,0% +2,1% +2,5%

Emploi total (éq. temps plein) +3,2% +4,1% +5,2%

Prix de production composite -2,8% -1,2% +0,8%

Intensité en travail du bien composite +0,1% +1,6% +3,0%

Consommation composite des ménages +0,9% +1,8% +3,2%

Volume des exportations de bien composite +1,6% +0,7% -0,4%

Proportion de bien composite importée -2,5% -1,0% +0,7%

Importations de pétrole brut (TEP) -17,2% -20,0% -30,7%

Pression fiscale (pts de pourcentage) -0,30 -0,40 -0,53

* RDPC : ratio de la dette publique au PIB constant.

Tableau 19 Sensibilité des effets d’une taxe carbone de 400€/tCO2

au potentiel de décarbonisation des systèmes de production

Avec  les  hypothèses  pessimistes  sur  le  potentiel  de  décarbonisation  des  systèmes  de  production, ces mêmes mécanismes jouent toujours mais en sens inverse, ils débouchent cependant  sur une hausse du PIB à peine inférieure au cas de référence. Ceci est dû au fait que la base fiscale de  la  taxe  s’érode  bien  moins  rapidement ;  il  en  résulte  une  hausse  des  prélèvements  sur  les  revenus  non  salariaux  qui  permet  une  baisse  significative  du  prix  de  production  du  bien  composite  (‐2,8%).  Cette baisse permet une amélioration notable du commerce extérieur, mais qui n’est pas suffisante  pour  contrebalancer  l’effet  négatif  de  la  hausse  des  prix  de  l’énergie  pour  les  ménages,  dont  la  consommation ne croît que de 0,9% au lieu de 1,8% en référence. 

Si un plus grand optimisme technologique du côté de l’appareil de production conduit bien à  une  amélioration  du  bilan  net  de  la  fiscalité  carbone  (par  des  mécanismes  moins  triviaux  qu’il  n’y  paraît),  les  tests  de  sensibilité  sur  les  ménages  (Tableau  20)  confirment,  quant  à  eux,  les  liens  compliqués  entre  optimisme  technologique  et  bilan  macroéconomique :  ils  débouchent  sur  des 

  résultats  paradoxaux  puisque  l’hypothèse  optimiste  d’une  flexibilité  doublée  débouche  sur  des  hausses  du  PIB  (+0,9%)  et  de  l’emploi  (+0,9%)  inférieures  à  celles  de  la  référence  et  ceci  en  dépit  d’une  plus  forte  hausse  de  la  consommation  des  ménages  (+3,1  contre  +1,8%  en  référence).  Tout  surcroît de flexibilité préserve le pouvoir d’achat des ménages,  mais entraîne en  même temps une  plus  forte  érosion  de  la  base  fiscale  que  constituent  leurs  émissions  de  carbone :  on  retrouve  le  résultat  de  l’analyse  de  la  section  précédente51.  Ceci  limite  le  transfert  de  charges  au  cœur  du  dispositif et aboutit à une moindre baisse des coûts de production, une moindre hausse des gains de  compétitivité, etc. 

Recyclage Baisse des cotisations

Option budgétaire RDPC*

Potentiel de décarbonisation (ménages) Nul Référence Doublé

Emissions totales de CO2 -25,3% -41,4% -52,5%

Produit intérieur brut réel +3,4% +2,1% +0,9%

Emploi total (éq. temps plein) +5,0% +4,1% +3,5%

Prix de production composite -3,1% -1,2% +0,4%

Intensité en travail du bien composite +1,8% +1,6% +1,4%

Consommation composite des ménages +0,3% +1,8% +3,1%

Volume des exportations de bien composite +1,7% +0,7% -0,2%

Proportion de bien composite importée -2,7% -1,0% +0,4%

Importations de pétrole brut (TEP) -12,8% -20,0% -27,2%

Pression fiscale (pts de pourcentage) -0,33 -0,40 -0,45

* RDPC : ratio de la dette publique au PIB constant.

Tableau 20 Sensibilité des effets d’une taxe carbone de 400€/tCO2

au potentiel de décarbonisation des ménages

En  sens  inverse,  dans  l’hypothèse  pessimiste,  la  résistance  de  la  base  fiscale  autorise  des  transferts  de  charges  plus  importants  vers  les  revenus  non  salariaux,  une  forte  baisse  des  prix  de  production,  une  forte  amélioration  de  la  compétitivité  internationale,  ainsi  qu’une  importante  hausse de l’intensité en emploi. Bien sûr, la consommation de composite des ménages est bridée par  l’absence  de  substitution  en  sa  faveur  (+0,3%  contre  +1,8%  en  référence),  mais  précisément  le  maintien des consommations d’énergies favorise la baisse des coûts de production. La baisse des prix  qui  en  résulte  fait  plus  que  compenser  la  perte  de  demande  effective  car  les  échanges  extérieurs  sont améliorés et la demande publique est en hausse52. 

Au total, si on combine maintenant les variations de flexibilité des ménages et des entreprises  au lieu de les traiter séparément, on débouche sur la conclusion que le bilan macroéconomique de la        

51 En particulier, nous avions noté qu’une consommation d’énergie des ménages élevée et grande par rapport à celle des systèmes

productifs est une condition favorable pour l’activité et l’emploi, même dans le domaine où la sensibilité des échanges extérieurs aux prix est faible (cf. paragraphe 2.3, page 172).

52 Le PIB nominal augmente davantage que le coût des dépenses publiques. La règle de constance du ratio des dépenses au PIB

réforme est plutôt insensible aux hypothèses de décarbonisation (Tableau 21). Il semble que dans les  versions  optimistes,  la  persistance  d’un  gain  d’activité  et  d’emploi  significatif  permet  de  répondre  aux inquiétudes concernant l’érosion de la base fiscale53. Quant au résultat macroéconomique plus  positif des hypothèses pessimistes, il faut garder à l’esprit qu’il est réalisé au détriment de l’objectif  de réduction des émissions. Mais il importe pour les débats de politique économique dans la mesure  où  il  montre  qu’une  fiscalité  carbone  dûment  recyclée  peut  jouer  un  rôle  positif  même  au  sein  de  visions  du  monde  très  pessimistes  sur  l’efficacité  de  son  signal :  avec  un  effet  très  faible  à  court‐ moyen terme sur les émissions, la taxe carbone peut dans ces conditions rester justifiée simplement  pour réduire les coûts macroéconomiques d’une décarbonisation qui serait menée essentiellement à  plus  long  terme  ou  par  des  normes  techniques  et  un  volontarisme  du  côté  de  l’offre.  Peu  d’économistes souscriraient à une réforme ainsi construite, mais nous l’envisageons dans la volonté  d’aller  jusqu’au  bout  de  la  logique  des  sceptiques  vis‐à‐vis  de  l’effet  signal :  même  en  l’absence  d’effet signal, il peut être utile de réarranger la fiscalité, sauf si l’on croit que la décarbonisation par  l’usage de normes et de réglementations est gratuite. Ce raisonnement reporte la discussion sur la  comparaison de la réforme fiscale carbone avec les autres réformes envisageables, comparaison que  nous entamerons en prospective au chapitre 8. 

Recyclage Baisse des cotisations

Option budgétaire RDPC*

Potentiel de décarbonisation (production et ménages) Nul Référence Doublé

Emissions totales de CO2 +0,1% -41,4% -68,8%

Produit intérieur brut réel +3,4% +2,1% +1,3%

Emploi total (éq. temps plein) +4,0% +4,1% +4,5%

Prix de production composite -5,0% -1,2% +2,1%

Intensité en travail du bien composite +0,2% +1,6% +2,6%

Consommation composite des ménages -0,8% +1,8% +4,3%

Volume des exportations de bien composite +2,9% +0,7% -1,1%

Proportion de bien composite importée -4,4% -1,0% +1,9%

Importations de pétrole brut (TEP) -9,6% -20,0% -37,4%

Pression fiscale (pts de pourcentage) -0,25 -0,40 -0,59

* RDPC : ratio de la dette publique au PIB constant.

Tableau 21 Sensibilité des effets d’une taxe carbone de 400€/tCO2

au potentiel de décarbonisation de la production et des ménages

3.2 Sensibilité à la réaction des salaires nets : un problème de négociation

salariale

Si  les  hypothèses  technologiques  ne  changent  pas  fondamentalement  le  bilan  économique  global de la réforme, notre première analyse ainsi que celle de la littérature sur le double dividende  ont souligné l’importance des hypothèses sur la réponse du marché du travail. Nous nous limitons au        

  cas où le fonctionnement agrégé de ce marché peut être représenté par une boucle salaire‐chômage  (Blanchflower  et  Oswald,  1995)  qui,  rappelons‐le,  peut  être  vue  comme  une  façon  simple  de  synthétiser les facteurs qui influent sur la réaction des salaires à l’environnement macroéconomique  (emploi et niveau des prix) ainsi qu’aux rapports de force en matière de négociation salariale54. 

Un  point  technique  important  est  ici  de  savoir  s’il  convient  de  faire  agir  cette  boucle  sur  le  salaire indexé sur le niveau des prix internationaux55 ‐ comme dans nos hypothèses de référence ‐ ou  sur le salaire réel, ce qui revient à tendre à l’indexation des salaires sur les prix à la consommation,  comme le fait notamment le modèle MESANGE (Allard‐Prigent et al., 2002). Bien que leurs structures  soient  complètement  différentes,  ces  deux  modèles  macroéconomiques  conduisent  à  un  lien  comparable entre baisse des cotisations sociales et croissance (Encart 7). Souvenons‐nous que dans  une  interprétation  microéconomique  donnée  par  Blanchflower  et  Oswald  (1995),  la  courbe  salaire  chômage représente l’équilibre d’un jeu stratégique de négociation salariale où la variable de salaire  indexé  précédente  joue  le  rôle  de  salaire  de  réserve  et  donc  de  référence  dans  les  négociations.  L’élasticité de la réaction de l’écart de salaire au taux de chômage est d’autant plus forte les salariés  se trouvent dans une position de force dans la négociation56. Nous testerons cependant l’hypothèse  d’une  tendance  à  l’indexation  des  salaires  sur  les  prix  à  la  consommation  puisque  cela  permet  de  baliser les enjeux du lien entre fiscalité carbone et négociation salariale.