Comptabilité intégrée et relations entre macroéconomie, environnement et distribution
Temps 2 : la désagrégation de la description de certains produits ou usages nécessite des
3 Interface économie‐distribution : la méthode de désagrégation
Les objectifs de la décomposition du compte des ménages en plusieurs catégories sociales sont similaires à ceux de l’hybridation : (i) tirer le meilleur parti de l’information contenue dans les enquêtes de ménages, (ii) conserver la cohérence d’ensemble des comptes nationaux, (iii) favoriser la flexibilité de la description et (iv) permettre l’adaptation de la méthode à d’autres contextes. Pour distinguer et construire des groupes représentatifs de ménages français, nous avons pour une première analyse retenu un indicateur de niveaux de vie économique, car notre objectif premier est bien de s’assurer que le fardeau de la réforme ne sera pas supporté de façon disproportionnée par les ménages à bas niveau de vie.
Néanmoins, nous avons vu au premier chapitre qu’envisager l’hétérogénéité des ménages selon cette seule dimension reste insuffisant pour identifier les situations de vulnérabilité : à même niveau de revenu, des ménages seront touchés très différemment s’ils évoluent dans des environnements techniques, économiques et sociaux hétérogènes. Par conséquent, l’hypothèse implicite de la méthode des classes de ménages représentatives, selon laquelle l’évolution des inégalités à l’intérieur des classes est négligeable par rapport à l’évolution des inégalités entre les classes, est dans notre cas d’étude une hypothèse plutôt héroïque. Nous envisagerons donc, une fois la technique de désagrégation en classes présentée, comment l’adapter pour la rendre plus flexible et affiner l’analyse de la vulnérabilité des ménages à la transition énergétique (ou son absence).
3.1 Représentation comptable de l’hétérogénéité des ménages
Les tableaux de synthèse des comptes nationaux publiés par l’INSEE ne décrivent pas l’hétérogénéité des ménages. L’objectif consiste donc à mobiliser les données d’enquêtes pour désagréger le compte des ménages inclus dans le Tableau Economique d’Ensemble.
Le tableau économique d’ensemble (TEE)
Rappelons que le TEE représente les comptes des secteurs institutionnels selon l’approche par les revenus (Figure 31). Il synthétise l’équilibre ressources‐emplois pour chaque « secteur institutionnel » (sociétés, ménages, administrations publiques), ce qui se traduit dans le tableau par l’égalité des revenus et des dépenses une fois pris en compte les montants prêtés (ou empruntés) lorsque le solde du compte courant du secteur institutionnel est positif (ou négatif).
Le circuit des revenus débute par le partage de la richesse économique produite (entre les salaires, l’excédent brut d’exploitation, les prélèvements sur la production et les produits, le solde commercial) ; il se poursuit par l’affectation des revenus (la rémunération des travailleurs, les intérêts perçus par les détenteurs des actifs financiers) et se termine par les opérations de
redistribution (fiscalité directe et transferts). Les dépenses sont distinguées selon qu’elles servent à la consommation courante ou à l’accumulation (FBCF). Le solde du compte courant correspond à la « capacité d’autofinancement » des secteurs institutionnels qui, nous l’avons déjà souligné, décrit les montants que les agents prêtent ou empruntent sur les marchés financiers. En contrepartie, leur endettement (leur position financière nette) évolue : la valeur de clôture de leur patrimoine financier (en fin de période annuelle) est égale à la valeur d’ouverture diminuée de la valeur du solde courant (nouveaux titres financiers).
Secteurs institutionnels
Sociétés Ménages* Administrations
publiques Reste du monde 50% plus pauvres 50% plus riches Partage de la valeur ajoutée** 286 159 610 600 ‐3 Affectation des revenus ‐75 14 97 ‐37 1 Redistribution ‐55 121 81 ‐157 10 Total Revenus 156 294 788 406 8 Consommation finale ‐ 274 645 416 ‐ FBCF 171 18 80 52 ‐ Total Dépenses 171 292 725 468 ‐ Solde courant ‐15 2 63 ‐62 8 Endettement*** 1 177 ‐256 ‐1 760 751 88
Unité : milliards d’euros de 2004
Remarque ; il s’agit de valeur nette : les valeurs inscrites à l’actif moins les valeurs inscrites au passif des comptes des secteurs
institutionnels.
* Pour l’illustration nous avons agrégé les vingt classes de niveaux de vie.
** La valeur ajoutée nationale est égale à la somme des valeurs ajoutées des secteurs-produits plus la valeur des impôts sur produits. *** Opposé de la valeur de clôture des stocks nets de patrimoine financier (en fin d’année) : somme des dettes moins somme des créances (réserves d’or non comprises).
Figure 31 Tableau Economique d’Ensemble simplifié,
désagrégé en deux classes de niveau de vie
L’étape de désagrégation du TEE publiée par l’INSEE (2004b) aboutit à des comptes pour diverses catégories de ménages (ici, nous n’avons représenté que deux classes de niveau de vie, dans IMACLIM‐S.2.4 il y en a vingt). Ces comptes des classes s’agrègent parfaitement pour donner le compte du secteur institutionnel des ménages publié dans le TEE de l’INSEE38.
Le tableau sociodémographique (TD)
La description de l’hétérogénéité des classes de ménages représentatives se fait aussi par la distinction de la structure démographique de ces catégories. L’information d’enquête nous sert à répartir la population. Cette répartition est décrite dans un tableau sociodémographique (Figure 32).
38 Hormis les traitements effectués au cours de l’étape de désagrégation, quelques autres modifications ont été apportées au TEE
de l’INSEE. Nous obtenons le TEE d’IMACLIM-S.2.4 en agrégeant la description des opérations (lignes du TEE de l’INSEE) et en calculant des valeurs nettes (les valeurs inscrites à l’actif moins celles inscrites au passif des comptes de chaque secteur institutionnel). Un seul traitement est remarquable puisqu’il apporte une valeur ajoutée à l’analyse, à savoir la désagrégation des transferts sociaux par « risque » (chômage, retraites et autres) à partir des données du compte de la protection sociale publié par Bechtel et Duée (2005).
Ménages* 50% plus pauvres 50% plus riches Effectif de ménages 12 844 12 862 Effectif d’individus 27 110 35 335 Unités de consommation*** 21 308 21 354 Actifs employés** 8 128 17 834 Retraités 5 921 7 679 Chômeurs 1 723 887 Unité : milliers.
* Pour l’illustration nous avons agrégé les vingt classes de niveaux de vie.
** La répartition des actifs employés entre les secteurs est décrite en équivalents temps plein (en 2004 un peu plus de 5% des travailleurs était en temps partiel). La répartition du temps partiel entre les classes est supposée homogène, tout comme la répartition des employés entre les secteurs.
*** Selon l’échelle de l’OCDE : 1 unité de consommation (UC) au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans et plus, 0,3 UC aux moins de 14 ans.
Figure 32 Tableau sociodémographique simplifié, selon deux classes de revenus
Nous avons vu au chapitre précédent que la répartition de ces catégories sociodémographiques entre les classes de ménages est un facteur important de la distribution des grandeurs économiques dans le modèle ; par exemple, les classes de ménages bénéficient des transferts au titre de la retraite en proportion du nombre de leurs retraités et du niveau moyen de leurs prestations. Les données sociodémographiques agrégées proviennent de la comptabilité nationale, de l’Institut National d’Étude Démographique (INED) et de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé (DREES).
3.2 La procédure de désagrégation
Pour opérer cette désagrégation, on peut procéder de plusieurs façons. Les données microéconomiques d’enquête de ménages, tout comme les données énergétiques, ne sont pas spontanément cohérentes avec les données de la comptabilité nationale et des choix doivent être faits pour réconcilier ces sources39.
Contrairement aux cas des données énergétiques, on ne dispose pas de statistiques sur l’hétérogénéité des ménages qui couvrent le territoire national et qui soient aussi consolidées et harmonisées qu’un bilan énergétique. Par conséquent, nous avons jugé préférable de conserver l’équilibre comptable du compte national des ménages et de recourir aux données d’enquête essentiellement pour en extraire l’information sur la répartition des grandeurs agrégées. Même si certaines « grandeurs à distribuer » (agrégats de revenus et de dépenses) doivent aussi être détaillées : par exemple, nous souhaitons isoler les prestations de retraite et les allocations chômage. La procédure de désagrégation comprend donc deux étapes qui permettent d’aboutir à un niveau de description intermédiaire (Figure 33).
L’étape de désagrégation des grandeurs à distribuer affine la description de la distribution des revenus entre institutions (ménages, administrations, sociétés, reste‐du‐monde) et/ou l’étend à des variables non économiques (monétaires, physiques, démographiques). Cette étape demande en pratique de désagréger certaines des opérations de répartition décrites dans le TEE à l’aide de clefs de répartition et à partir de l’information de comptes satellites (par exemple, le compte de la protection sociale pour renseigner le partage des prestations sociales par « risque », ou le tableau des recettes des administrations publiques pour détailler les prélèvements obligatoires). On passe ainsi du compte publié par l’INSEE à un compte détaillé et étendu, mais toujours au niveau agrégé d’une institution de ménages.
Figure 33 Vue d’ensemble schématique de la procédure de décomposition
L’étape de désagrégation du compte des ménages mobilise ensuite l’information d’enquête sur l’hétérogénéité des ménages pour produire un compte par groupe représentatif. Le jeu de clefs de répartition pour chaque grandeur à distribuer provient, dans le cas d’IMACLIM‐S.2.4, de l’enquête
Budget de familles 2000‐2001 (BDF2001 ; INSEE, 2001) qui, rappelons‐le, détaille les dépenses, les
revenus et la démographie de 10 305 ménages français. Cette étape nécessite aussi une « règle de bouclage » des comptes pour assurer l’équilibre et l’agrégation parfaite des comptes des groupes représentatifs. Étape 1: désagrégation des grandeurs à répartir Institution des ménages (compte synthétique agrégé) Comptabilité nationale (CN) Étape 2: désagrégation de l’institution des ménages Institution des ménages (compte agrégé, détaillé et étendu) CN + Comptes satellites Groupes représentatifs (compte désagrégé, détaillé et étendu) Catégories reconstituées Ménages réels (Information microéconomique partielle) Enquêtes auprès des ménages MACRO MESO (Imaclim‐S) MICRO CLEFS DE REPARTITION & REGLE DE BOUCLAGE CLEFS DE REPARTITION & COMPTES SATELLITES SYSTÈME INTEGRE INTERMEDIAIRE
3.3 Etapes de la procédure : le cas des classes de niveau de vie
Pour décomposer, à partir des données d’enquête, le compte institutionnel des ménages, nous procédons là encore en trois temps (Figure 34).
Temps 1 : on commence par harmoniser la nomenclature des variables descriptives de l’enquête de ménages pour qu’elle corresponde à la description des revenus, des dépenses et de la sociodémographie d’IMACLIM‐S.2.440. Dans notre exemple, la base de données d’enquête (Figure 35) comprend quatre observations en lignes (ménages observés) et sept variables descriptives (trois types de revenus, trois types de dépenses et une caractéristique sociodémographique). Ces dernières sont combinées pour obtenir les sept variables d’IMACLIM (Figure 36).
Figure 34 Procédure d’élaboration des comptes par catégorie de ménages représentatifs
40 Cette étape d’harmonisation nécessite un travail de mise en correspondance de la nomenclature de l’enquête avec la
nomenclature de la comptabilité nationale (Tableau 15). Cette correspondance est établie à partir des descriptifs fournis par les organismes statistiques pour chacune des variables désagrégées dans IMACLIM-S.2.4 (cf. annexes, Table H, page 336).
Enquêtes de ménages sources 1 : Harmonisation des variables descriptives (revenus, dépenses, sociodémographie, environnement physique) ‐ Mise en correspondance des nomenclatures (enquêtes et IMACLIM) ‐ Calcul des grandeurs IMACLIM (pour chaque ménage enquêté) Base de données microéconomique harmonisée Base de données « catégorielle » harmonisée Comptes des ménages représentatifs 2 : Classement, découpe et agrégation par catégorie de ménages ‐ Définition des catégories : variable de classement (type), variable de pondération (taille) et niveau d’agrégation (nombre) ‐ Imputation d’un indice de catégorie à chaque ménage enquêté ‐ Agrégation des grandeurs descriptives 3: Décomposition du compte institutionnel ‐ Définition de la règle de bouclage : variable(s) et ajustement, ‐ Calcul et application des clefs de répartition (variables de dialogue)
Variables descriptives
Revenus Dépenses Démographie
Observations Salaires, EBE
revenus mixtes Intérêts Prestations Courantes Impôts
Remboursements
de prêts Immobilier UC* (OCDE)
Ménage n°1 3 427 ‐100 8 912 12 516 416 1 120 ‐ 1,6
Ménage n°2 21 886 522 8 328 22 113 3 432 3 299 1 414 1,3
Ménage n°3 15 617 490 8 816 18 774 2 912 480 2 070 2,0
Ménage n°4 51 070 2 088 8 344 51 597 3 640 7 700 8 016 1,5
Unité : euros de 2001 (exemple inspiré des données de l’enquête Budget de familles 2001).
* Nombre d’unités de consommation selon l’échelle de l’OCDE : 1 UC au premier adulte du ménage, 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans et plus, 0,3 UC aux moins de 14 ans.
Figure 35 Base de données de l’enquête de ménages