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1 Les contraintes corrélées au questionnement de recherche

J’ai souligné, dans la conclusion du chapitre précédent, que le questionnement de recherche et les choix théoriques conditionnent le recueil des données. Pour ce qui me                                                                                                                

55 S’il ne s’agit pas d’un objectif en soi, cet aspect peut néanmoins être un enjeu pour les questions de didactique comparée, en termes d’outils communs.

concerne, celui-ci s’opère à partir de l’observation des leçons en classe et de la collecte des productions des élèves.

1.1 L’objet observé

Ce sont les processus d’apprentissage des élèves en histoire qui retiennent mon attention, par conséquent, dans la classe qui sert d’appui à cette recherche, seules les leçons d’histoire ont été observées. Cela a des effets qu’il faut préciser. De fait, l’observation se trouve être à la fois continue, dans le sens où elle concerne toutes les leçons d’une année scolaire et d’une même classe, et discontinue, dans le sens où elle n’a lieu qu’une fois par semaine et qu’il manque alors probablement tout ce qui entoure ces leçons. J’entends par là les références possibles aux séances d’histoire qui interviennent dans d’autres moments de la classe, tout comme la possibilité d’observer comment certaines compétences des élèves sollicitées en histoire (tel que « lire un document ») sont travaillées dans d’autres disciplines. Cela exclut également une perspective comparative de cette articulation langage-apprentissage entre deux disciplines (histoire et sciences par exemple) mais dans la même classe.

Ces choix peuvent paraitre restrictifs mais ils ne sont pas pour autant réducteurs. Introduire certains des paramètres cités au-dessus aurait eu un intérêt indéniable, mais alors l’objet de recherche ne serait plus le même. Ce sont les choix opérés qui donnent cohérence et faisabilité à la recherche, et permettent de construire un matériau riche pour l’analyse selon l’objectif visé.

Par ailleurs, les leçons d’histoire observées sont considérées avec le statut de séances ordinaires (Le Marec, 2007), en situation habituelle de classe. D’autres recherches en didactique de l’histoire, déjà évoquées dans les chapitres précédents, ont également appuyé leurs travaux sur ce choix, entre autres celle étudiant la construction du concept de Nation (Guyon, Mousseau, Tutiaux-Guillon, 1993) et celle se penchant sur la notion de causalité dans les productions des élèves (Audigier, 1998), les travaux de Nicole Lautier (1997a) et de Nicole Tutiaux-Guillon (1993).

Yannick Le Marec (2007, p. 1) précise ce qu’il entend par l’emploi de cet adjectif

ordinaire : « Nous entendons par “ordinaires” des séances à la préparation desquelles les

chercheurs n’ont pas été associés ou à l’intérieur desquelles leurs interventions n’ont pas cherché à modifier les effets attendus. ». Maria-Luisa Schubauer-Leoni et Francia

Leutenegger (2002) utilisent également cet adjectif en suggérant d’étudier le didactique ordinaire, en tant que phénomène.

Pour nous, s’intéresser à ce qui se passe et se joue d’ordinaire dans des classes quelconques situe l’entrée du côté d’une démarche dite « descriptive » se démarquant de la prescription […].

S’intéresser « au » didactique « ordinaire » est alors une façon de s’occuper de « ce qui peut être rencontré partout », en considérant toute circonstance d’enseignement/apprentissage, tout objet de transmission culturelle et donc tout représentant de la situation (enseignant et élèves) comme légitime et pertinent. (ibid., p. 228).

Ma finalité est de décrire ce qui se passe en situation habituelle de classe, à l’école élémentaire, avec le postulat qu’il y a bien apprentissage en situation ordinaire, que ce dernier soit disciplinaire ou autre. Aucun paramètre n’est introduit par le chercheur, en dehors de sa présence, dans le cours des leçons, puisque je ne cherche pas à analyser les effets de dispositifs pédagogiques particuliers.

 

1.2 La question de l’observateur.

Le principe de l’observation non-participante a été respecté. Lors de ma première entrée dans la classe et selon le souhait du professeur, j’ai exposé aux élèves les raisons de ma présence, en précisant que je n’interviendrai jamais durant les leçons. Cela fut le cas ; positionnée au fond de la classe, je n’ai jamais été interpellée ni par les élèves, ni par l’enseignante. Cela n’excluait pas des échanges possibles, mais en dehors du temps même des leçons, et de manière informelle. En effet, un des choix de la méthodologie est de ne pas mener d’entretien de recherche avec le professeur et de ne pas recueillir son travail personnel de préparation des séances, afin d’éviter un effet de surinterprétation en fonction de ses intentions déclarées.

Pour autant, même avec ce mode de recueil « écologique »56, il y a fort à parier que les leçons auraient été autres en dehors de ma présence.

Dans le même ordre d’idée, il est assez évident que certains éléments sont passés inaperçus au cours de l’observation. Je rejoins là les propos de Ruth Kohn lorsqu’elle souligne « la partialité inéluctable de l’observation » (1998, p. 45), tout comme ceux de Francia Leutenegger qui écrit qu’ « observer suppose un “regard” porté sur l’objet et donc une action, au moins interprétative, de l’observateur » (2009, p. 33).

                                                                                                               

56 Je reprends l’expression de Marie-Claude Guernier (2006, p. 17) qui y voit « le fait de perturber le moins possible le projet de l’enseignant ».

Toutefois, le matériau récolté est constitué en tant que donnée de recherche, correspondant à l’objet d’analyse que je me fixe, dans la mesure où il s’agit de situations d’enseignement-apprentissage en histoire dans lesquelles aucune variable didactique pensée par le chercheur n’a été introduite.

1.3 La place de l’oral, une contrainte

L’hypothèse initiale du lien entre apprentissage et langage oblige à recueillir les productions langagières des élèves, celles-ci pouvant être écrites et orales. Dans la classe observée, ce sont les productions orales qui dominent, de manière quasiment exclusive.

Différents travaux pouvaient, en amont de mon projet de travail, laisser présager la prééminence de l’oral dans les leçons d’histoire à l’école élémentaire.

La recherche INRP relative à l’école élémentaire (Audigier, Tutiaux-Guillon, 2004), qui analyse des pratiques observées, propose un portrait général dans lequel domine le cours dialogué enseignant-élève avec une « parole du maître majeure et organisatrice » (ibid., p. 192), ainsi qu’une alternance de travail en groupe et reprise en classe entière, toutes situations qui mettent donc en jeu une pratique de l’oral. L’écrit est présent dans 91% des séances, et si 21% des traces écrites sont dictées par le maître, 71% sont constituées par un dialogue maître-élève.

Par ailleurs, dans une étude du Ministère de l’Éducation Nationale, publiée dans la revue Éducation et formations n°76 de décembre 2007, les constats des Inspecteurs de l’Éducation Nationale montrent « la place importante laissée à la réflexion collective au cours des séances d’histoire et de géographie. Cette organisation suppose un usage régulé de la parole, une attention à la précision du vocabulaire employé et à la rigueur du raisonnement, mais, le plus souvent, elle laisse le maître face à quelques élèves, ceux qui sont déjà largement formés à la prise de parole » (ibid., p. 74). De même, lorsque les élèves de cycle 3 sont interrogés sur leur perception du travail de classe en histoire-géographie, ils donnent l’image d’une leçon où « les élèves écoutent l’enseignant raconter, ils répondent aux questions posées pour vérifier que le contenu est bien compris, enfin, ils recopient le résumé proposé par leur enseignant » (ibid., p. 152, 153). Un rapport de l’Inspection Générale de l’éducation nationale (2005)57 met également en évidence, sur la base d’observations menées par des inspecteurs,

                                                                                                               

57 Il s’agit du rapport n°2005-112, Sciences expérimentales et technologie, histoire et géographie. Leur enseignement au cycle III de l’école élémentaire.

que « les élèves écrivent peu dans leurs cahiers d’histoire, de géographie, ou de sciences » (ibid., p. 9).

Il ressort de ces considérations que l’oral est la forme dominante des activités langagières de la classe d’histoire à l’école élémentaire. Si l’écrit est présent, il semble que ce soit davantage sous la forme d’écrit recopié à partir de la proposition de l’enseignant, ou produit collectivement plutôt qu’individuellement, la place de l’écrit-brouillon (ou écrit intermédiaire) restant très minime.

Cela s’est vu confirmé dans la classe observée : toutes les leçons se déroulent sur le mode du cours dialogué. Les productions écrites, sauf quelques exceptions, sont collectives, élaborées de manière conjointe, et recopiées par les élèves à partir du tableau.

De ce fait, cette question de l’oral, forme prise par les productions langagières des élèves, devient une contrainte à intégrer pour le travail d’analyse. Si dans les échanges oraux, la pensée est nécessairement à l’œuvre, leur labilité rend complexe la perspective du lien langage-apprentissage que je m’attache à étudier. En outre, cela produit des corpus longs, d’apparence parfois monolithique ; par conséquent il faut trouver moyen d’y entamer des brèches, c’est le rôle des indicateurs retenus. Enfin, dans la succession de ces échanges langagiers, dimensions individuelle et collective se trouvent étroitement imbriquées ; cela complexifie l’analyse des processus au niveau individuel.

2 La constitution du document

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Les paramètres initiaux ont été exposés : l’objet observé, à savoir les leçons d’histoire d’une classe d’école élémentaire sur la durée d’une année scolaire ; le principe qui régit l’observation, caractérisé par un recueil écologique de pratiques ordinaires ; une contrainte à gérer, la place de l’oral. Ces contraintes posées, dans un premier temps, le chercheur devient observateur de situations dont il collecte toutes les traces, pour les construire ensuite en données de recherche.

2.1 La collecte de données

J’ai mené la collecte des données à partir d’une méthodologie proche de l’ethnographie, sans pour autant assimiler mon travail à une recherche ethnographique, mon