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Au fil de ce chapitre, j’ai présenté des paramètres permettant potentiellement d’analyser un processus d’apprentissage. En didactique de l’histoire, ils proviennent principalement de l’épistémologie de la discipline : élaboration d’un texte du savoir à partir de différents textes déjà existants (Audigier, 1998), compréhension et représentation des faits étudiés à partir de documents-archives, contrôle du sens commun, gestion de la distance passé-présent, recours au récit pour organiser les faits. Pour les productions langagières, la

didactique du français langue maternelle suggère des notions qui permettent de décrire les phénomènes à l’œuvre : dialogisme, gestion de l’hétéroglossie, secondarisation des discours, référence aux manières d’agir-penser-parler de la communauté de référence.

Un des nœuds du travail d’analyse du corpus de recherche consiste à articuler ces paramètres. Des hypothèses de correspondance entre les notions précitées peuvent être avancées. Ainsi, convenir que le texte du savoir scolaire historien est élaboré à partir de différents textes trouve une convergence avec le dialogisme qui postule la présence de voix d’origines différentes dans un énoncé. De même, envisager que la compréhension et la représentation des faits étudiés se construit à partir des documents-archives peut être associé à la gestion de l’hétéroglossie qui permet de réorganiser la diversité des éléments des énoncés pour un texte homogène.

Si ce type de correspondance peut répondre au besoin d’articuler des cadres théoriques différents, cela reste néanmoins hypothétique et virtuel, insuffisamment opérationnel pour un travail d’analyse. Il convient alors de trouver par quels indicateurs les paramètres en question peuvent devenir plus précisément identifiables.

La formalisation de ces indicateurs oblige à des emprunts d’outils linguistiques. Ce type d’emprunt dans le cadre d’analyses à visée didactique est présent dans nombre de recherches. Un tour d’horizon de quelques travaux permet de dégager des éléments sur lesquels s’appuyer, mais le choix de ces éléments est corrélé aux contraintes posées par mon corpus. La plus importante tient au fait que ce corpus est constitué d’échanges oraux. Dès lors, il faut, dans les énoncés des élèves, tenter de déceler ce qu’ils nous laissent percevoir de leur activité cognitive et de l’élaboration de savoirs. Cela tient à distance certains aspects que je ne retiens pas dans mon travail, tel que l’identification des genres de discours, l’étude précise des phénomènes d’interaction, une classification éventuelle des actes de langage. Dans le cadre général d’échanges durant des leçons de classe, qui correspond à une situation de communication, ce sont des indicateurs linguistiques énonciatifs qui doivent être déterminés.

Par conséquent, je me suis arrêtée sur des recherches qui ont exploré cette question de l’oral49, non pas pour y voir un objet enseigné ou une étude de l’activité de parole en elle-même, mais pour y entrevoir le travail du langage. Ce ne sont pas tant les constats présentés qui retiennent mon attention que les indicateurs retenus pour les élaborer.

                                                                                                               

49Entre autres : Grandaty M., Turco G. (dir.), 2001, L’oral dans la classe - Chabanne et Bucheton (dir.), (2002)

Parler et écrire pour penser, apprendre, et se construire. L’écrit et l’oral réflexif - CRDP de Basse-Normandie

(2003), Didactiques de l’oral - Guernier M-C., Durand-Guerrier V., Sautot J-P. , 2006, Interactions verbales,

Au-delà de la prudence nécessaire qui oblige à ne pas inférer une correspondance terme à terme entre opérations mentales et indicateurs linguistiques, il est indispensable de retenir quelques premiers éléments qui peuvent constituer des outils, au sens propre comme au sens figuré, pour entrer dans l’épaisseur des productions langagières orales, particulièrement labiles, que constituent les échanges menés pendant les leçons. Ces premiers éléments sont proposés ici de manière décontextualisée : ils sont extraits de contextes dans lesquels un usage en a déjà été fait, pour indiquer en quoi ils peuvent s’avérer employables dans mon analyse ; mais ils sont ensuite recontextualisés au moment de l’interprétation des données.

La stabilisation de ces indicateurs ne fut pas arrêtée a priori, elle résulte d’un travail articulant éléments théoriques et usage de ces éléments théoriques. Mon investigation théorique initiale s’est appuyée sur des constats identifiant et formalisant des indicateurs linguistiques dans le cadre de recherches s’intéressant aux liens entre langage et apprentissage. Mais ces indicateurs ont été mis à l’épreuve de la lecture de mon corpus, constitué essentiellement d’énoncés oraux de jeunes élèves. C’est donc par l’usage et par des allers retours entre théorie et mise à l’épreuve que j’ai retenu, enrichi successivement et stabilisé les indicateurs en question.

Ils sont présentés ici sous forme d’inventaire, afin de les préciser. Leur apparente hétérogénéité peut trouver une unité indexée à la recherche menée. Cette unité est fondée sur la possibilité et la pertinence de l’usage de ces indicateurs au sein de mon corpus et au regard de mon questionnement, plutôt que par une théorie générale proposant des indicateurs linguistiques pour l’analyse de corpus de productions langagières.

4.1 La reformulation

La reformulation se présente sous des formes différentes dans le cours d’échanges oraux. Elle peut se traduire par une reprise mot à mot, par des expressions synonymes, ou par transformations (grammaticales ou sémantiques) des propos initiaux. Dans l’extrait des échanges langagiers proposé supra50, cette reformulation avec transformation grammaticale est présente lorsqu’une élève passe successivement de « nos pèlerins » à l’expression « à eux » puis « leur pèlerin ». Toujours dans cet extrait, pour désigner les Chrétiens d’Orient, l’élève a recours à l’expression « leurs frères » (les frères des Chrétiens d’Occident), et les                                                                                                                

« gens qu’ils devaient sauver » ; il y a là reformulation par des expressions synonymes aux yeux de l’élève.

Mais la reformulation est aussi une forme de traduction du dialogisme lorsque des propos d’un locuteur sont repris par un autre. Jean-Michel Durand (2001, p. 268) suggère qu’il y a « reprise de formulation lorsque, quelle que soit la distance qui les sépare, un énoncé x est repris sous une forme identique ou modifiée par un énoncé y », que l’acte paraisse conscient ou non conscient chez les locuteurs. La reformulation n’est pas nécessairement immédiate, elle peut se produire de manière différée ; cela oblige alors à trouver le moyen de suivre les énoncés sur la durée de l’échange. Et, si l’on pense le principe du dialogisme dans les productions langagières, la reformulation circule entre différents locuteurs. Néanmoins, elle est aussi fréquemment le fait du professeur, qui en reformulant les propos des élèves, peut contribuer à clarifier la teneur des échanges ou à en encourager la poursuite.

La reformulation peut traduire diverses intentions implicites : confirmer et valider le propos tenu ; tenir le rôle de rature qui révèle une réflexion sur la mise en mot (Jaubert, Rebière, Bernié, 2003) ; indiquer la prise en compte d’un nouveau paramètre (Jaubert et Rebière, 2002). Maryse Jaubert et Martine Rebière (ibid.) proposent une catégorisation des reformulations. Elles distinguent des reformulations syntaxiques qui, selon elles, permettent de réduire l’écart entre point de vue scientifique et représentations ordinaires, notamment par l’utilisation de mots ou expressions tels que « ne…que », « juste », « mais » ; des reformulations lexicales qui traduisent plutôt la recherche du mot juste ; des reformulations floues, indéfinies (« ça », « quelque chose », « c’est ») qui permettent de procéder à des associations, des combinaisons. Ainsi, lorsqu’une élève dit « oui, ben ils adorent le tombeau du Christ ça peut pas être encore les Chrétiens d’Occident » (réplique 194, dans l’extrait du paragraphe 2.1 supra), le « ça » permet probablement une association dans l’esprit de l’élève, sans être obligatoirement précisément caractérisée.

Quand Serge Moscovici (1976) expose les caractéristiques de la pensée naturelle51, il mentionne également la présence de la répétition et de son rôle, que ce soit en termes de rature, de confirmation de la pensée ou de forme de réflexivité : « Une personne qui écrit a devant elle le texte de ce qu’elle vient d’écrire et peut le parcourir plusieurs fois pour faire le point et continuer. Une personne qui parle, n’ayant pas le “support” de la feuille de papier pour réexaminer son discours passé, se trouve dans l’obligation de le repasser, donc de le répéter, afin de le développer. De là, une reprise constante de quelques segments de                                                                                                                

51 Je rappelle que la présence de la pensée naturelle dans les situations d’élaboration de savoirs en histoire est admise, de manière générale, et dans mes hypothèses de recherche.

propositions ou de quelques thèmes. » (Moscovici, 1976, p. 257). Un exemple, toujours issu des extraits proposés dans la partie précédente, montre cela lorsqu’une élève dit : « et maîtresse, quand euh, ici, ils ont volé de l’argent, ils ont volé de l’or, eh ben ils vont pas avoir, on va pas leur enlever leurs péchés », puis elle répète juste après : « ils sont partis à Jérusalem, mais ils ont volé, ils ont…on va pas leur enlever leurs péchés » (répliques 298 et 300 de l’extrait du paragraphe 2.3 supra).

Néanmoins seuls le contexte et la prise en compte de la durée globale de l’échange permettent de repérer les reformulations et d’en identifier le rôle, si tant est que faire se peut. De plus, chaque reformulation ne traduit pas systématiquement une activité réflexive. Ce n’est qu’associé à d’autres aspects de l’analyse que ce type d’indicateur peut se révéler heuristique.

La reformulation, sous ses différentes formes, et selon le contexte d’énonciation, peut montrer soit une manifestation du dialogisme, cela a été évoqué ; soit une gestion de l’hétéroglossie, puisque les voix d’origines diverses doivent être réappropriées par le locuteur, ce qui peut obliger à une reformulation ; soit une forme de secondarisation si la reformulation permet un passage à un niveau plus rationnalisé.

4.2 Reformulation et association de mots

Les reformulations, sous leurs différentes formes, permettent que, dans le cours de l’échange, des mouvements s’opèrent : des déplacements de thèmes, des changements de catégories lexico-grammaticales. Cela oblige à être attentif autant aux aspects sémantiques que syntaxiques et lexicaux.

Mireille Froment (2003) questionne cette relation entre production discursive et mouvement de pensée notamment à partir d’un mot : « Certains mots sont donc point d’ancrage de mouvements de pensée, le mouvement discursif autour du mot amène un mouvement de pensée qui modifie le contenu notionnel » (ibid., p. 171). Sur ce point, elle évoque des associations qui semblent parfois comme codées et dont l’adulte n’a pas forcément la perception immédiate, voire la compréhension ; elle cite l’exemple d’une association spontanée entre « aimer bien » et « être gentil ». Ces associations de mots peuvent traduire des mouvements discursifs et cognitifs, que ce soit au niveau individuel du locuteur ou au niveau collectif de l’échange. Mireille Froment et Marie Carcassonne (2002, p. 145) constatent que ces mouvements se cristallisent parfois au travers de « relation d’enchaînements sur le discours d’autrui », avec ou sans reformulation. À titre d’exemple, un

court extrait, issu de la séance 13, atteste de cela. On assiste à la formulation successive de mots par des élèves différents, qui enchainent chacun sur l’énoncé précédent, et ces mots semblent surgir par association les uns avec les autres, en passant de « massacre » à « taper », « méchant », « ennemi », « guerre » ; cela participe d’un mouvement, collectif, qui aboutit à la notion de guerre :

72 Anissa : ben parce que … (inaudible)…les massacre les s 76 P. : ça veut dire quoi ?

77 Anissa : ben, ils les tapaient euh 78 P. : qui est-ce qui tapait les s ? 80 Khaly : ben les méchants 81 ? : les ennemis

82 Anissa : en guerre.

Reformulation et association de mots peuvent également se concrétiser sous des formes courantes tels que les phénomènes de négation, d’opposition, de comparaison, de renchérissement, de confirmation, qui attestent de la prise en compte des propos de l’autre.

Ces indicateurs, reformulations, associations de mots sont potentiellement révélateurs d’un mouvement de secondarisation et/ou d’une forme de dialogisme discursif.

4.3 Les hésitations

Les hésitations dans le discours prennent différentes formes, que ce soit par la réitération d’un même mot, avant que la suite de l’énoncé ne soit émise, ou par l’interjection « euh… », voire même par des silences.

Sylvie Plane (2001) en propose des interprétations différentes. Cela peut révéler la mise à distance du propos que le locuteur refuse d’assumer pleinement, comme s’il le mettait entre guillemets, ou encore le souci de mettre en valeur le propos en le faisant précéder d’une attente. Mais, on peut y voir également une difficulté à trouver le mot juste ou la formulation adéquate, indice d’un travail conceptuel en cours : en même temps qu’il parle, le locuteur est occupé à clarifier sa représentation.

Si ces hésitations dans le discours ne traduisent pas une signification particulière, elles peuvent néanmoins désigner un moment réflexif chez le locuteur.

4.4 La modalisation

La modalisation correspond à un phénomène de prise en charge de l’énoncé, elle indique « l’attitude du sujet parlant à l’égard de son interlocuteur, de lui-même et de son propre énoncé » (Maingueneau, 2002), et, par conséquent, traduit une implication personnelle dans l’activité en cours.

Néanmoins, elle est moins aisée à distinguer que les aspects précédents, elle peut revêtir des marques particulières ou rester implicite. Patrick Charaudeau (1992, p. 572) propose quelques-unes de ces marques formelles : des verbes (tel que « je pense que »), des adverbes et locutions adverbiales (« à mon avis », « sans doute », etc.), des expressions adjectivées (« c’est étonnant »). Mais ces marques appartiennent probablement peu au registre langagier spontané d’un jeune élève. Patrick Charaudeau ajoute que, selon la situation, certains indicateurs, qui ont aussi été évoqués à propos de la reformulation, peuvent être interprétés comme des révélateurs de modalisation : les hésitations, les répétitions, des implicites.

Pour Martine Jaubert (2007, p. 181), « les modalisations sont des indices, parmi d’autres, de l’activité dialogique de construction de significations », dans le sens où elles correspondent à une forme de prise en charge d’énoncés d’autrui.

En situation d’apprentissage de l’histoire, cette question de la modalisation est étudiée dans certains travaux. Ainsi, Didier Cariou (2010) montre que la modalisation sert parfois à restituer des informations, par exemple lorsque les élèves disent « d’après les Romains, … », mais qu’elle peut aussi signaler une entrée dans le processus de compréhension des hommes du passé, par l’usage d’expressions telles que « les Romains pensèrent que », « les Romains se disent que », dans ce cas l’élève se montre alors comme auteur et organisateur de son texte.

Ainsi dans la réplique suivante, « maîtresse, le pape il a dit qu’ils déclenchent la guerre et qu’ils sauvent leurs frères, mais le pape il a pas dit qu’ils prend l’argent, et maîtresse ils ont pas parlé de leurs frères » (réplique 294 de l’extrait du paragraphe 2.3 supra), l’élève prend en charge un énoncé d’autrui, en l’occurrence celui du pape, afin de restituer des informations mobilisées pour élaborer sa compréhension du passé.   Un peu plus loin, une autre élève réplique  «  oui, mais c’était en temps de guerre, mais aussi ils auraient dû juste faire la guerre, pas voler » (réplique 314, même extrait). Dans ce cas, l’élève se positionne. Cela correspond à ce que Yannick Le Marec (2009) identifie comme une prise de position du locuteur qui lui

permet d’envisager « d’autres données possibles du problème » (ibid., p. 21), et qui signale un passage vers une posture plus scientifique.  

La modalisation peut révéler le processus d’élaboration d’une signification, qui se traduit, dans les exemples évoqués, soit par la prise en charge du discours d’un autre, soit par une position d’organisation de son propre texte du savoir. Il n’est pas à exclure que cela corresponde à une forme de gestion de la distance passé-présent.

4.5 La complexification et la stabilisation des énoncés

Selon les premières hypothèses retenues, les phénomènes de secondarisation et de gestion de l’hétéroglossie, potentiellement sollicités durant l’activité d’apprentissage, devraient aboutir à la formulation d’énoncés qui se stabilisent, voire se complexifient, et qui correspondent au savoir élaboré : « Au fur et à mesure que les élèves construisent le savoir et l’inscrivent dans un réseau conceptuel, […] leurs productions langagières deviennent de plus en plus complexes, participant d’une mise à distance de l’activité, de son contrôle. » (Jaubert, Rebière, Bernié, 2003 p. 68).

Reste à préciser les modalités de cette complexification. Je considère qu’elle peut se manifester de manières diverses : la mobilisation d’un lexique spécifique, des reformulations enrichies, des structures de phrases plus complexes. Si la complexification des discours laisse entrevoir un raisonnement qui se construit, cela se traduit par l’articulation de différentes propositions dans un même énoncé à l’aide de connecteurs tels que « parce que », « sinon », « pour que », « et puis si », « ça veut dire ».

À nouveau, pour illustrer ce phénomène, je reprends une réplique d’élève : « La guerre contre les Arabo-musulmans ça veut dire que maintenant ils habitent à Jérusalem, ils ont répondu à l’appel du pape Urbain II et puis ils ont fait une bonne action et puis on va leur enlever leurs péchés » (réplique 202, dans l’extrait du paragraphe 2.1). Différents éléments permettent de voir une forme de complexification dans cet énoncé : un lexique spécifique, la prise en compte de différents éléments déjà connus (l’appel du pape, la notion de péché) et des propositions articulées (par « ça veut dire que », « et puis ») qui attestent d’un effort de l’élève pour établir une représentation cognitive cohérente de l’événement étudié.

Quant à la stabilisation des énoncés au sein du groupe, elle semble se repérer par une verbalisation qui fait consensus, souvent introduite par des expressions comme « en fait », « voilà », « il y a » (Jaubert, Rebière, 2002).

4.6 Les temps grammaticaux

Une attention aux temps grammaticaux s’impose. Dans ce même chapitre, supra, l’étude rapide d’un extrait d’échanges langagiers a mis en évidence la manière dont la gestion des temps grammaticaux dans les énoncés révèle l’inscription des faits étudiés dans une temporalité. Sur cette question, Jean-Paul Bronckart (1996) confirme que les temps des verbes expriment des valeurs de temporalité, et qu’il y a une relation entre « le moment de la parole (ou moment de la production) et le moment du procès52 exprimé par le verbe » (ibid., p. 279),

que ce soit en termes de simultanéité, d’antériorité ou de postériorité. Cela permet donc de supposer comment le locuteur positionne dans le temps l’événement (ou procès) qu’il évoque, et comment il se positionne par rapport à cet événement.

4.7 Des lieux communs

Les lieux communs dans les productions langagières semblent, a priori, issus de la pensée naturelle. Serge Moscovici (1976) associe l’emploi d’un stock de clichés, de jugements, d’expressions répandues, à une économie de pensée ou un formalisme spontané : « Les formules conventionnelles facilitent la communication ou épargnent, faute d’information ou de désir d’explication, tout effort nécessaire à l’intégration des notions dans un système cohérent. Le raisonnement devient alors une modalité de traduction qui ramène tout à un schéma commun. » (ibid., p. 256).

Les échanges oraux dans une classe sont proches du genre premier de Mikhaïl Bakhtine, ce sont des productions immédiates, liées au contexte. Bernard Schneuwly (1994) considère que les genres premiers naissent de l’échange verbal spontané. Les lieux communs peuvent potentiellement y prendre une place naturelle.

Dans leur analyse de propos tenus par les élèves, Mireille Froment et Marie Carcassonne (2002) notent, à certains moments, la dominance des lieux communs, sortes de

prêts-à-penser, ainsi lorsque des élèves affirment que les clochards « savent pas économiser

                                                                                                               

parce que chaque fois qu’ils ont un peu d’argent i vont […] s’acheter une bouteille de vin » (ibid., p. 158).

Toutefois, avec un public de jeunes enfants, la notion de lieux communs peut se révéler très relative. Il n’est pas à exclure qu’une même expression risque de passer pour un lieu commun selon les critères de l’observateur alors qu’il s’agit peut-être d’un moment d’appropriation d’une structure particulière ou forme de langage pour l’élève, ou du seul mot disponible pour traduire sa pensée. Cet indicateur lieu commun, s’il n’est pas à exclure, demande à être mobilisé avec prudence.

4.8 Éléments de synthèse

Avant de poursuivre, je propose des hypothèses d’articulation des points évoqués. Ces