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Les conséquences du caractère extrapatrimonial des droits

À L’ÉGARD DE LA SUMMA DIVISIO

B. Les conséquences du caractère extrapatrimonial des droits

23. La spécificité des droits extrapatrimoniaux leur confère un régime juridique particulier qui réside dans l’impossibilité d’être évalués pécuniairement, dans leur imprescriptibilité, leur intransmissibilité, leur insaisissabilité et leur indisponibilité, en d’autres termes, leur exclusion du commerce juridique (1). Surtout, ils demeurent attachés à la personne de leur titulaire (2). Le caractère extrapatrimonial des droits de la personnalité fait par conséquent obstacle à tout exercice par une personne autre que le titulaire.

1) Des droits exclus du commerce juridique

24. La doctrine affirme que puisque la personne et ses attributs sont extrapatrimoniaux, ils ne peuvent juridiquement circuler, à l’inverse des éléments du patrimoine55. C’est pourquoi, ils ne peuvent notamment faire l’objet d’un contrat, instrument d’échange56. Le fondement de cette indisponibilité réside dans la protection de la personne et de sa dignité, principe d’ordre public à valeur constitutionnelle, et dans la crainte d’une réification de la personne humaine57. Il apparaît dès lors difficilement concevable d’admettre qu’un droit extrapatrimonial puisse être exercé par une tierce personne dans la mesure où il ne peut circuler juridiquement.

54 C. Lazarus, op. cit., n° 23.

55 C. Larroumet, op. cit., n° 399 et s. ; B. Teyssié, op. cit., n° 119 et s. ; G. Cornu, op. cit., n° 65 et 66 ; H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, t. I, vol. II, Les personnes, par Fl. Laroche-Gisserot,

op. cit., n° 807 ; M. Bourgeois, La personne objet de contrat, Paradigme, 2005, n° 13 ; R. Savatier, « L’écran de la représentation devant l’autonomie de la volonté de la personne », D. 1959, chr. 9, n° 14 et s.

56 Ass. Plén. 31 mai 1991, Bull. civ. n° 4 ; D. 1991, p. 417, rapport Y. Chartier, note D. Thouvenin ; JCP

1991, II, 21752, concl. H. Dontenwille, note F. Terré ; Rép. Defr. 1991. 948, obs. J. Massip ; RTD Civ. 1991. 517, obs. D. Huet-Weiller.

57 M. Bourgeois, op.cit., n° 77 ; C. Lazarus, op. cit., n° 34. En ce sens, CE 27 octobre 1995, préc. ; Cons. Const. 27 juillet 1994, décisions n° 94-343 et 94-344, préc.

25. Cette analyse doit néanmoins être relativisée car les droits de la personnalité ne sont pas complètement exclus du commerce juridique, pouvant faire l’objet d’actes juridiques58. Cette disponibilité est néanmoins imparfaite, limitée59 et strictement encadrée. Ainsi, l’autorisation du titulaire du droit est exigée et le droit conserve son caractère extrapatrimonial dans la mesure où l’usage du droit ne peut être que gratuit60. Toutefois, si les droits de la personnalité sont bien dans le commerce juridique, l’obstacle conduisant au rejet de la représentation de tels droits n’est pour autant pas levé.

2) Des droits attachés à la personne du titulaire

26. L’objection première consiste dans le caractère personnel des droits exercés : qui mieux que le titulaire même des droits peut les exercer ?61 Le respect de la personne

58 P. Ancel, L’indisponibilité des droits de la personnalité, thèse Dijon, 1978 ; M. Gobert, « Réflexions sur les sources du droit et les principes d’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes »,

RTD Civ. 1992. 489 ; B. Teyssié, op. cit., n° 119 ; H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçons de droit civil, t. I, vol. II, Les personnes, par Fl. Laroche-Gisserot, op. cit., n° 808 ; P. Kayser, « Les droits de la personnalité, aspects théoriques et pratiques », art. préc., n° 37 ; C. Labrusse-Riou, « De quelques apports du droit des contrats au droit des personnes », in Le contrat au début du XXIe siècle : études offertes à Jacques Ghestin, LGDJ, 2001, p. 499 ; C. Filippone, La contractualisation des droits de la personnalité, thèse Paris I, 2001, n° 274 ; C. Lazarus, op. cit., n° 209.

A propos du droit à l’image, Ch. Caron, « Les contrats d’exploitation de l’image de la personne », in L’image, Association Henri Capitant, Journées Nationales de Grenoble, t. 7, Dalloz, 2005, n° 1 ; L. Marino, « Les contrats portant sur l’image de la personne », Comm. com. électr. 2003, chr. 7 ; P. Tafforeau, « L’être et l’avoir ou la patrimonialisation de l’image des personnes », Comm. com. électr. 2007, étude 9.

A propos du droit sur le nom, G. Loiseau, Le nom, objet d’un contrat, préf. J. Ghestin, LGDJ, 1997 ; J. Ravanas, La protection des personnes contre la réalisation et la publication de leur image, préf. P. Kayser, LGDJ, 1978, n° 391 et s.

59 F. Zenati-Castaing, Th. Revet, Droit fondamental, Manuel de droit des personnes, PUF, 1ère éd., 2006, n° 265.

60 Il faut nuancer le propos dans la mesure où le droit de la personnalité ne peut faire l’objet d’une évaluation pécuniaire mais n’est pour autant pas absolument dénué de l’aspect financier, dans la mesure où d’une part, il peut avoir des conséquences pécuniaires, notamment lorsque des indemnités sont allouées au titulaire en réparation de l’atteinte au droit et où d’autre part, il est susceptible de faire parallèlement l’objet d’un droit d’exploitation patrimonial. En ce sens, H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas,

Leçons de droit civil, t. I, vol. I., Introduction à l’étude du droit, par F. Chabas, op. cit., n° 158 ; J. Ghestin, G. Goubeaux, M. Fabre-Magnan, Introductiongénérale, op. cit., n° 217 et 218 ; Ch. Caron, art. préc. ; P. Tafforeau, art. préc. Ainsi l’action en diffamation conserve son caractère patrimonial en dépit de l’allocation de dommages-intérêts, Civ. 1ère 23 février 2011, pourvoi n° 10-11968.

61 M. Planiol, G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, Les personnes, par R. et J. Savatier, op. cit., n° 258 ; M. Bourgeois, op. cit., n° 44 ; C. Lazarus, op. cit., n° 279 ; P. Ancel, op. cit., n° 157 ; J. Stoufflet, « L’activité juridique du mineur non émancipé », in Mélanges offerts à M. le Professeur P. Voirin, LGDJ, 1966, p. 782 ; M. Azavant, « Effets généraux (comptes et logement) et effets personnels », Dr. et patrimoine 2009, n° 180, p. 73 ; D. Tallon, « Droits de la personnalité », Rép. Civ. Dalloz, 1996, n° 155. V. également F. Zenati-Castaing et Th. Revet, op. cit., n° 132. Bien qu’assimilant le corps humain et ses attributs à des biens disponibles, les auteurs rejettent l’idée d’une représentation en matière personnelle : « (…) les actes portant sur la personne réelle du mineur (…) ont vocation à être accomplis personnellement. » ; « les actes accomplis sur l’état comme les actes sur la personne, dont l’état n’est qu’une émanation, ne sont pas propices à la représentation. »

humaine implique de laisser chacun effectuer tout acte relatif à sa personne car la subjectivité de l’acte est trop importante pour qu’un tiers intervienne. Dans cet esprit, la loi du 5 mars 2007 n° 2007-308 réformant la protection juridique des majeurs consacre le principe de l’autonomie en matière personnelle du majeur protégé et prévoit que la personne sous tutelle « prend seule les décisions relatives à sa personne, dans la mesure où son état le permet62 ». Elle exclut même toute assistance ou représentation pour les actes exigeant un consentement strictement personnel63. Pourtant, s’il est toujours préférable que le titulaire d’un droit attaché à sa propre personne l’exerce lui-même et que cette hypothèse soit favorisée, il est des cas où la représentation en matière extrapatrimoniale est la seule issue envisageable, ce qui a conduit le législateur à tenir compte de ces deux alternatives.

§2. L’ADMISSION EXCEPTIONNELLE DE LA REPRÉSENTATION EN MATIÈRE EXTRAPATRIMONIALE

27. Si la majorité des auteurs admet rarement la représentation en matière extrapatrimoniale, cette idée n’est toutefois pas catégoriquement rejetée. Ainsi, Nerson64 considérait que des exceptions à l’impossibilité d’exercer des droits extrapatrimoniaux par représentation existaient, notamment pour les incapables. Certes, le principe est bien désormais le rejet de la représentation du majeur protégé s’agissant des actes relatifs à sa personne en faveur de son autonomie. La question se pose néanmoins de savoir s’il est possible d’appliquer un tel raisonnement au mineur non émancipé pour lequel aucune théorie générale de protection de la personne n’est prévue par le droit des incapacités et pour qui n’existe pas non plus d’autonomie de principe sur sa personne, l’autorité parentale et l’incapacité d’exercice demeurant l’une comme l’autre la règle. D’évidence, majeurs sous tutelle et mineurs ne peuvent se voir appliquer une logique similaire, l’autonomie étant pour les premiers le principe et pour les seconds l’exception65. Aussi, le rejet catégorique de la représentation à l’occasion d’actes portant sur la personne du mineur ne doit pas être un postulat. Par ailleurs, si les actes extrapatrimoniaux sont naturellement rattachés à l’autorité parentale stricto sensu, il est

62 Article 459 alinéa 1er du Code civil. 63 Article 458 du Code civil.

64 R. Nerson, op. cit., n° 192 ; B. Teyssié, op. cit., n° 119.

65Contra, V. Da Silva, De l’incapacité à la protection en matière personnelle. Évolution et perspectives, thèse préc., n° 39. En dépit de sa volonté de réaliser une étude analogique et globale de la protection des personnes vulnérables, l’auteur reconnaît l’impossibilité d’admettre un statut général pour les personnes protégées. Ibid., n° 357 et 582.

nécessaire de ne pas s’arrêter à cette première catégorisation et d’en rechercher la nature juridique puisque le mineur ne les accomplit pas lui-même.

La définition des actes juridiques extrapatrimoniaux comme la mise en œuvre de droits de la personnalité amène à raisonner en termes de droits subjectifs. Or, tout droit subjectif est un titre qui confère une puissance, aucun lien indivisible n’existant entre les deux composantes66. Cette divisibilité autorise la dissociation des qualités d’auteur de l’acte juridique et de sujet titulaire du droit67 et explique le mécanisme de représentation, entendue comme le dédoublement de la jouissance et de l’exercice du droit subjectif68. Face à cette décomposition technique, rien ne s’oppose, juridiquement, à ce que des actes juridiques extrapatrimoniaux puissent être accomplis par représentation (A). Elle est même le principe pour les mineurs, le raisonnement ne devant pas se faire par analogie avec les majeurs (B).

A. L’existence de la représentation dans l’accomplissement d’actes juridiques