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Les effets de la délégation-partage

α) La perte de l’administration légale par le délégant

C. Le partage de l’exercice de l’autorité parentale

2) Les effets de la délégation-partage

176. Le ou les parent(s) conservant l’exercice de l’autorité parentale, le tiers délégataire est amené à agir concurremment à ces derniers. A ce titre, la présomption de pouvoir quant aux actes usuels s’applique de la même manière qu’entre les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale. Une telle règle a pour objectif de faciliter la gestion de la vie de l’enfant et l’organisation des relations entre les personnes exerçant l’autorité parentale, mais il est possible que l’inverse se produise, notamment en cas d’exercice triangulaire de l’autorité parentale. Il importe de déterminer les actes que le tiers est en mesure d’effectuer et de préciser l’étendue de ses pouvoirs. Les actes de la vie quotidienne, tels qu’aller chercher l’enfant à l’école, autoriser les sorties scolaires, signer les carnets de note sont indiscutablement au cœur du partage du pouvoir. Qu’il s’agisse de délégation totale ou partielle, toujours aussi difficiles à distinguer, son domaine d’intervention est vaste (a) et les effets sur la représentation légale du mineur doivent être envisagés indépendamment (b).

a. L’appréhension large du domaine du partage de l’exercice de l’autorité parentale 177. La plupart des décisions admettent un partage partiel. Si certaines optent pour une délégation partielle véritablement limitée à certains types d’actes, la majorité demeure beaucoup plus floue139. Comme en matière de transfert, il est très difficile de distinguer le caractère total ou partiel du partage dans la mesure où la jurisprudence admet le plus souvent des partages partiels de l’autorité parentale tout en ayant une conception large des prérogatives partagées. Il est rare que les juges du fond mentionnent les attributs délégués et partagés en cas de délégation-partage partielle et la Cour de cassation a ajouté au trouble. A l’argument invoquant le caractère total de la délégation en l’absence de détails sur son étendue140, elle répond que « le prononcé d’une délégation partielle (…) sans précision des droits délégués n’équivaut pas au prononcé d’une délégation totale »141, sans plus d’explication. A l’image de la délégation-transfert, la différence entre partage total et partage partiel réside vraisemblablement dans

139 Nombre de décisions de justice accordent ainsi un partage partiel de l’autorité parentale sans pour autant en déterminer les limites : Nîmes 15 juin 2005, Juris-Data n° 2005-282297 ; TGI Lille 18 décembre 2007, préc.; TGI Lille 11 décembre 2007, préc.; Civ. 1ère 24 février 2006, préc.; Civ. 1ère 16 avril 2008, préc.

140 Conformément à ce qui est traditionnellement admis par la doctrine : Ph. Bonfils, A. Gouttenoire,

op. cit., n° 765.

l’attribution des prérogatives extraordinaires - droit de consentir au mariage et à l’émancipation - au tiers dans le premier cas, non dans le second. A défaut de détermination précise dans le jugement de délégation partielle, les prérogatives partagées sont aussi nombreuses qu’en cas de partage total, à l’exception des prérogatives extraordinaires. Pour autant, les actes que le tiers est amené à accomplir ne sont-ils pas limités par l’article 377-1 du Code civil à l’éducation de l’enfant ?

178. De prime abord, il est concevable que le partage soit limité à des actes de pure éducation de l’enfant, à la fois condition et finalité de la délégation. Une telle restriction peut se comprendre dans le cas du beau-parent et des familles recomposées. Amené le plus fréquemment à partager ce pouvoir avec les deux parents, dont celui auquel il s’est substitué dans le couple conjugal, le beau-parent peut se trouver en situation de rivalité et surtout son rôle est moins important que lorsque l’enfant n’a qu’un seul parent. Dès lors que les deux parents exercent en commun l’autorité parentale, l’objet de la délégation au beau-parent n’est pas de remplacer un parent et d’exercer l’autorité parentale dans toute sa plénitude mais de lui accorder une place dans la vie quotidienne de l’enfant142.

Pour ne pas rendre la situation trop complexe et ne pas empiéter sur les droits de l’autre parent, il semble préférable que le partage soit limité au pouvoir de direction et de contrôle, et c’est là l’objectif de la loi, satisfaire les besoins d’éducation de l’enfant. Le délégataire voit son pouvoir limité à un pouvoir de fait consistant dans l’accompagnement à l’école, l’aide aux devoirs, la signature des carnets de liaison143 et ne possède assurément alors pas de pouvoir de représentation.

Pourtant, l’analyse d’une délégation portant uniquement sur l’éducation de l’enfant n’est pas tenable. D’une part, la satisfaction des besoins d’éducation est une condition du partage, non pas le critère déterminant le domaine, d’autre part qu’elle soit totale ou partielle, la délégation-partage a pour objectif de permettre au tiers de prendre en charge la vie quotidienne de l’enfant. De surcroît, le partage a davantage lieu au sein de couples homosexuels qu’hétérosexuels ; le souhait de ces couples étant alors de partager tout ce

142 Tout le problème est de ne pas remettre en cause la coparentalité, le maintien de l’exercice en commun de l’autorité par les parents séparés, le paradoxe consistant dans la volonté affichée d’un côté de conserver les droits du parent qui ne vit pas avec l’enfant tout en octroyant de l’autre côté des droits à celui qui ne détient pas de lien de filiation avec l’enfant.

143 TGI Paris 2 juillet 2004, préc. La décision admet la délégation et le partage de l’exercice de l’autorité parentale, à la suite d’une adoption simple, mais le partage est limité aux besoins d’éducation.

qui fait la vie de l’enfant qu’ils élèvent en commun et pas seulement sa scolarité, les demandes sont davantage fondées sur un pouvoir large. Leur requête porte donc sur un champ allant au-delà de l’éducation et les décisions de justice y accèdent144. Il est par ailleurs tout à fait envisageable que la délégation partielle porte sur les actes relatifs à la santé, le beau-parent s’occupant ainsi de tous les actes médicaux concernant l’enfant. Par exemple, la belle-mère peut être préférée au père dans ce domaine. Ainsi, si l’objectif de ce partage de l’exercice de l’autorité parentale est bien d’améliorer la prise en charge au quotidien de l’enfant, aucune raison ne justifie d’en restreindre le domaine à l’éducation, même en cas de délégation partielle. Le rapport Leonetti considère à ce propos que la notion des « besoins d’éducation » est vaste et comprend les actes relatifs à la surveillance comme la préparation et /ou le contrôle des déplacements de l’enfant, les soins, l’hygiène et la surveillance du comportement145. Le partage porte donc sur la surveillance de l’enfant, sur sa santé, sur le contrôle de son comportement.

Ainsi, de manière plus large - imprécise ? - une délégation-partage partielle a été admise et limitée à l’accomplissement d’actes usuels afférents à la vie de l’enfant146. Cette décision démontre ainsi que le partage des prérogatives peut dépasser l’éducation au sens strict et porter sur tout le quotidien de l’enfant. La limitation aux actes usuels peut expliquer alors le caractère partiel de la délégation-partage. Dans une autre affaire, la cour d’appel de Lyon147 a admis que le partage de l’exercice de l’autorité parentale portait sur les actes de la vie courante, les formalités administratives mais également la gestion du patrimoine de l’enfant.

Même en cas de délégation-partage partielle, les magistrats en ont donc une conception large, allant au-delà de l’éducation pure et simple de l’enfant, et même jusqu’à la gestion du patrimoine. Sans aborder déjà la question du pouvoir patrimonial148, il apparaît que la délégation porte ici sur l’intégralité des prérogatives d’autorité parentale, incluant tous les actes relatifs à la personne de l’enfant. Ayant pour objectif de faciliter la prise en charge au quotidien de l’enfant par ceux vivant avec lui et l’élevant, tels que le beau-parent, la délégation-partage porte sur la gestion de la vie courante de l’enfant. Il est possible de s’interroger sur une éventuelle limitation du

144 TGI Lille 11 décembre 2007, préc. ; TGI Lille 18 décembre 2007, préc. 145Intérêt de l’enfant, autorité parentale et droit des tiers, op. cit., p. 68. 146 Lyon 24 janvier 2006, préc.

147 Lyon 16 novembre 2004, Juris-Data n° 2004-267411. 148 V. infra n° 181.

partage aux actes de faible gravité. En effet, la gestion de la vie quotidienne, objectif assigné par le législateur à la délégation de l’article 377-1, implique par elle-même la réalisation d’actes banals. Ainsi, la cour d’appel de Lyon semble ne pas prendre en compte les actes ayant des conséquences importantes, dans la mesure où dans une décision, elle vise les actes de la vie courante et les formalités administratives149 et dans une autre, les actes usuels150. Le partage n’est néanmoins pas restreint expressément aux actes de faible gravité. En effet, l’article 377-1 ne limite pas la délégation aux actes usuels. S’il vise cette catégorie, c’est pour énoncer la présomption d’accord qui s’y rattache, sans que les actes non usuels soient pour autant exclus.

Qu’il s’agisse de délégation partielle ou totale, le partage n’est donc pas limité à l’éducation au sens strict, au risque de perdre de son intérêt, mais porte sur tous les actes relatifs à la personne de l’enfant. Il est possible en revanche qu’elle ne porte que sur certains actes, ce que doivent nécessairement préciser les juges du fond.

b. Les effets du partage sur le pouvoir de représentation du mineur

179. Il apparaît une fois de plus que le pouvoir de représentation se divise, le pouvoir patrimonial (β) ne suivant pas le sort du pouvoir extrapatrimonial (α).

) Le partage du pouvoir extrapatrimonial

180. La prise en charge de la vie courante de l’enfant implique que le pouvoir de direction soit davantage utilisé par le tiers ; son accessoire, le pouvoir de représenter l’enfant, le sera pourtant également dans la mesure où il participe de la protection de la personne de l’enfant et de la gestion de sa vie quotidienne. La délégation-partage de l’autorité parentale permet donc, dans la mesure du jugement, partage du pouvoir de représentation extrapatrimonial. A défaut de précision du jugement, le partage porte sur toutes les prérogatives d’autorité parentale sur la personne de l’enfant et le délégataire possède l’intégralité du pouvoir de représentation extrapatrimonial.

Conséquence de ce partage, le pouvoir de représentation est le plus souvent exercé de manière triangulaire, exception au caractère bicéphale. A défaut d’exercice initial conjoint, il y a coreprésentation entre le titulaire de l’exercice et le délégataire, ce qui arrive le plus fréquemment dans les familles homoparentales. La présomption de

149 Lyon 16 novembre 2004, préc. 150 Lyon 24 janvier 2006, préc.

pouvoirs s’avère donc des plus utiles mais le juge aux affaires familiales peut être saisi des difficultés que l’exercice partagé peut générer. Quant au pouvoir patrimonial, celui-ci résulte de l’administration légale, ce qui amène à s’interroger sur l’éventuel partage de cette dernière.

) L’absence de partage du pouvoir patrimonial

181. Le ou les délégataires conservent l’exercice de l’autorité parentale et par conséquent l’administration légale. Deux hypothèses peuvent alors être émises : soit le délégataire ne se voit pas attribuer les prérogatives d’administration légale, soit il la partage avec le ou les parents. Si finalement le partage du pouvoir parental empiète sur tout le quotidien de l’enfant, rien ne s’oppose à ce que l’administration légale soit déléguée et partagée151. La cour d’appel de Lyon152 a ainsi admis que le tiers partageant l’exercice de l’autorité parentale puisse gérer le patrimoine de l’enfant. Rattaché à l’administration légale, le pouvoir d’agir en justice a également été partagé par la jurisprudence153.

Les cas d’administration légale sont liés à l’exercice de l’autorité parentale, c’est cet exercice qui influe sur la détermination des administrateurs légaux et sur les modalités de contrôle. Dès lors que le tiers délégataire exerce l’autorité parentale, rien ne semble s’opposer à ce qu’il exerce l’administration légale. Cependant, plus qu’à l’exercice de l’autorité parentale, l’administration légale est rattachée à la personne des parents et à la filiation. C’est parce qu’une grande confiance est accordée aux père et mère présumés agir dans l’intérêt de l’enfant qu’elle fonctionne ainsi. La jurisprudence lie pourtant administration légale et exercice de l’autorité parentale sans s’attacher à l’influence du lien de filiation. La décision de la cour d’appel de Lyon est néanmoins contestable puisque le juge aux affaires familiales n’était pas compétent pour décider du partage de l’administration légale. Le clivage entre protection de la personne et protection des biens est un obstacle que les juges contournent sans état d’âme, révélant par là l’insuffisance des dispositions relatives à la délégation. En l’état actuel du droit, l’administration légale ne peut être partagée par le juge aux affaires familiales dans le

151Contra, Cl. Neirinck, préc., n° 119. Mme Neirinck estime qu’en cas de partage de l’exercice de l’autorité parentale, l’administration légale n’est pas partagée car l’enfant dispose encore de représentants légaux.

152 Lyon 16 novembre 2004, préc.

cadre d’une décision de délégation154. Cependant, la pratique semblant ne pas s’arrêter à un problème de compétence, il apparaît utile de légiférer sur les conséquences patrimoniales du partage de l’exercice de l’autorité parentale, et de la délégation en général.

182. Puisqu’il est l’accessoire du pouvoir de direction et de contrôle, le pouvoir de représentation est donc partagé entre le ou les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale et le tiers délégataire. Le pouvoir est certes partagé, mais pas dans son intégralité. Soit le partage ne porte que sur le pouvoir extrapatrimonial, soit sur une partie du pouvoir extrapatrimonial en cas de délégation partielle suffisamment précise. En dépit de décisions en ce sens, le pouvoir patrimonial ne peut être partagé. La

summa divisio domine et empêche le transfert ou le partage intégral du pouvoir, chaque domaine obéissant à ses règles et compétences propres, ce que la loi du 12 mai 2009 n’a pas modifié155.

§2. L’ATTRIBUTION PONCTUELLE ET TEMPORAIRE DU POUVOIR DE REPRÉSENTATION

183. Parce que l’autorité parentale rencontre des difficultés, l’enfant peut être confié par le juge à un tiers qui aura la charge de s’en occuper. Dans ces cas, l’exercice de l’autorité parentale par les parents n’est, à la différence de la délégation-transfert, pas remis en cause ; il n’est pas non plus partagé entre les parents et le tiers. L’attribution à ces personnes du pouvoir de représentation de l’enfant n’est donc pas la règle et fait au contraire figure d’exception. Malgré les similitudes existant entre les pouvoirs du tiers chez qui l’enfant réside (A) et celui à qui il est confié en vertu d’une mesure d’assistance éducative (B) le second dispose de prérogatives plus conséquentes dans la mesure où il peut exceptionnellement représenter l’enfant pour la conclusion d’actes importants. Sans que l’autorité parentale connaisse de véritables turbulences, mais parce que la protection de l’enfant est néanmoins compromise, il est possible qu’un tiers, l’administrateur ad hoc, intervienne sur autorisation judiciaire, doté à l’inverse des cas précédents d’une fonction expresse de représentation du mineur (C).

154 V. supra n° 163.

A. Les pouvoirs du tiers à qui l’enfant est confié en dehors d’une mesure