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3. Le substrat de mon édifice conceptuel actuel conceptuel actuel

3.5. Les conséquences des découvertes sur la préhistoire

Le fait de savoir que la langue n’est pas l’apanage de l’humain mais qu’elle a vraisemblablement caractérisé d’autres espèces d’hominidés du genre homo98 et qu’elle émerge uniquement au sein de « matrices sociales », semble avoir plusieurs conséquences majeures :

- il contribue à la désacralisation du phénomène langagier (je pense aux « vraies » langues)99, à son inscription dans une perspective naturelle de l’évolution des espèces d’hominidés de genre homo, avec des conséquences en termes épistémologiques (prégnance de la structure du réseau, variabilité et profusion, idiosyncrasie, inné/vs/acquis, etc.) ;

- il incite à réduire l’ethnocentrisme forcené et compréhensible (au plan perceptif) qui nous a longtemps poussés à voir l’univers puis le soleil tourner autour de nos (petites) personnes, ainsi que nous le faisons encore sur le plan représentationnel (normes) ;

- il induit de sérieuses modifications sur le plan de l’identité, changement dans les taxonomies : on passerait d’être unique à dernier représentant d’une grande famille et on en finirait avec la singularité de l’espèce pour redevenir une espèce parmi d’autres ;

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Volume II, articles 4, 8 et 13. 97

Une relation est qualifiée de multiplexe si elle sert à plusieurs sortes d’échanges en même temps (ami ET collègue de travail) et d’uniplexe si la relation n’est utilisée que pour une sorte d’échange (relation de travail uniquement), cf. Merklé, 2004 ou Degenne et Forsé, 2004.

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Comme homo neanderthalensis ou homo denisoviensis par exemple, avec lequel homo sapiens est vraisemblablement métissé (Kuhlwilm et al., 2016).

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- il pousse à penser que l’émergence des langues est un phénomène commun (Bouchet et

al., 2016 ; Boë et al., 2017), subordonné à certaines caractéristiques d’évolutions animales100

(sociales, génétiques, etc.), et surtout, qu’il suffit qu’un certain nombre de conditions soient réunies pour que celles-ci apparaissent quel que soit l’endroit et sous des formes très diverses. Cela pourrait mettre à mal les théories inspirées par l’Ève mitochondrial et donc les hiérarchies langue/dialecte/argot, etc. (Sagart, 2008). En effet, s’il n’existe pas d’ascendance, aucune raison de faire des hiérarchies, sauf à vouloir accréditer l’existence de langues supérieures par le truchement desquelles on entre dans des manipulations visant à instaurer une domination d’un agrégat aux dépens d’un autre ou de plusieurs ;

- cela resitue le rôle de l’inné par rapport à l’acquis, la part sociale de l’apprentissage (Chevrot et al., 2005 ; Nardy et al., 2015) : « grammaticalization and syntacticization are

cultural-historical processes, not biological ones » (Tomasello, 2003 : 24) ;

- enfin, les rencontres entres les hominidés ont produis des métissages comme ceux entre homo Sapiens, Néandertal et Denisova (Stringer, 2012 ; Pagani, 2017). Il serait donc très surprenant que là ou les corps se rencontrent, les langues ne fassent pas de même…

Hypothèses :

Ce n’est pas tant l’apparition du langage qui importe puisque celui-ci apparaît chez tous les animaux sociaux, mais plutôt l’apparition de la double articulation. En d’autres mots, pourquoi la langue apparaît-elle chez certains hominidés et pas chez les autres primates ? Une des différences entre ces deux groupes est la station verticale. Son apparition libère la main et entraîne la complexification de son utilisation (Corbalis, 2003), l’obligation de fabriquer de nouvelles représentations des actes, de nouvelles codifications des actes (Rizzolatti & Sinigaglia, 2008), de nouveaux automatismes : « les différences hommes-singes reposeraient

finalement plus sur des capacités inégales de contrôle neuronal que sur des divergences anatomiques » (Bouchet et al., 2016 : 91). On peut penser au temps que met l’enfant humain

avant d’acquérir une motricité fine de la main. Or, le changement cognitif généré par l’apparition de la main donne lieu à des tâches plus ardues à mener mais également plus difficiles à décrire, expliquer ou transmettre aux autres membres du réseau social (Victorri,

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On a par exemple longtemps pensé que la position du larynx conditionnait l’apparition du langage (Lieberman, 2007) or, de toutes récentes découvertes montrent que « baboon VLSs use 5 distinct vocalic

qualities organized in an articulatory-acoustic system similar to that of humans, we conclude that a homologous proto-vocalic system must now be inferred in our last common ancestor with Cercopithecoidea, about 25 MYA, and that that system was a precursor to the vowel systems universal in spoken human language » (Boë et al.,

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2002) : « plus le système social « naturel » de l’espèce est complexe, plus le répertoire vocal

est riche » (Boucher, 2010 : 135). Le changement s’accompagne une fois encore de la

formation de nouveaux automatismes, de nouvelles représentations cognitives (gestes, espace, temps, etc.). Or, avec un système de phonèmes limité et vraisemblablement inférieur au nôtre, au moins en matière de voyelles (Bouchet et al., 2016 ; Boë et al., 2017), il faut trouver d’autres solutions pour « étiqueter », définir, communiquer et transmettre les informations. Il suffit alors de produire une paire minimale comprise par un autre interlocuteur lors d’un événement qui nécessite plus de précision dans la communication pour entrer dans l’espace de la double-articulation : celui des langues. Or, on sait la capacité de l’homme à trouver/établir des régularités (Tomasello, 2003 ; Nardy, 2008).

L’apparition des langues serait donc un palier de l’évolution de certains primates de type homo, au sein de petits agrégats et en des points différents ; ce qui explique la variété de ses formes multiples. On peut penser à une soupe dans une marmite sur un feu : à une certaine température (degré d’évolution), des bulles éclatent un peu partout à la surface du liquide : des petits agrégats plus évolués cognitivement qui forment les matrices des langues).

C’est sur l’ensemble et la mise en synergie de ces postulats théoriques qu’est fondée la partie qui suit. Il y sera question de langage, de représentation et d’identité au sein de leur matrice sociale : le réseau. Trois concepts définis pas à pas au fil de mes travaux grâce aux lectures et soubassements théoriques précités.

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