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Section 1. Revue de la littérature

I. Les explications fonctionnalistes de la réforme administrative

I.1. Les arguments fonctionnalistes de la réforme administrative

Dans la littérature fonctionnaliste, il est possible de relever trois types de cause des changements

de l’environnement des réformes.

Le premier type de cause réside dans les crises structurelles, notamment financières, budgétaires

et fiscales. Les théories adoptant cette approche sont, par exemple, très populaires dans les

travaux explicatifs de l’avènement du Nouveau Management Public (NMP). L’argument défendu

dans ces travaux est le suivant : les crises pétrolières des années 1970, et les déficits de l’État

providence, entraînent une détérioration de la balance des paiements dans de nombreuses

sociétés occidentales, et mènent les États au bord de la banqueroute. Confrontés en outre au

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rythme des dépenses publiques et d’atteindre les objectifs de service public. Le modèle

keynésien qui dirige l’économie depuis des décennies est remis en question; il est accusé de

mener à la stagflation. La crise économique et financière qui en résulte, a des répercussions

sociales directes. La baisse des budgets alloués à la couverture et aux dépenses sociales, affecte

en particulier les couches vulnérables de la population, dont le niveau de vie connait une baisse.

La légitimité des gouvernants en ressort érodée. Une nouvelle vision, un nouveau paradigme du

service public s’avèrent nécessaires pour faire face aux pressions. D’où l’émergence d’un

modèle alternatif d’organisation et de gestion de l’administration publique : le Nouveau

Management Public (Held 1984; Pollitt 1990; Boston 1996;).

Dans la même veine, dans les pays en développement, en particulier dans les pays d’Amérique

latine et d’Afrique sub-saharienne, il est avéré pour de nombreux auteurs que les réformes du

secteur public mises en place dans ces sociétés au courant des années 1980, ont pour causes

principales, d’abord, les crises économique et financière à l’œuvre à travers le monde, puis, le

contexte économique et financier propre à ces pays (Olivier et Manning, 1996 ; Batley, 1999 ;

Larbi, 1999 ; Hope, 2001 ; Adamolekun, 2005 ; Ayee, 2005). En ce qui concerne les pays

africains, citons, au nombre des caractéristiques politico-économiques spécifiques : une

indiscipline fiscale, une capacité d’épargne limitée ou inexistante, une institutionnalisation

limitée des processus politiques et organisationnels, des capacités administratives défaillantes,

une structure majoritairement rentière de l’économie, une disproportion considérable des

dépenses publiques relativement à la productivité du secteur public, un marché intérieur et une

économie privée presqu’inexistants (Cornia Richard et Stewart Frances 1987; Nsouli 1993; Toye

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Les transformations structurelles de l’environnement international s’avèrent donc

particulièrement désastreuses pour ces pays qui, pour la plupart, disposent d’une capacité de

résistance très limitée. Il s’en suit une crise économique et financière qui prend une ampleur

considérable, et les contraint à déclarer faillite. Un appel à l’aide est envoyé aux organisations

économiques internationales, en l’occurrence la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire

international (FMI), qui répondent en conditionnant leur aide par l’imposition de plans de

redressement économique (Hugon 1998, 4). Ces plans, passés à l’histoire sous

l’appellation emblématique de Programmes d’Ajustement Structurels (PAS), sont assortis

d’impératifs au nombre desquelles les programmes de réforme administrative (Dia 1993 ; Jeffries

1993 ; Batley 1994). Les réformes administratives mises en place dans le sillage des PAS

peuvent être qualifiées de réformes « d’appel au marché », car elles visent à introduire des

normes et principes du marché et du secteur privé dans l’administration étatique (Schneider et

Heredia, 2003). Autrement dit, ce sont des réformes relevant du NMP (Osborne et Gaebler,

1992).

La deuxième grande source récurrente des changements structurels de l’environnement

international qui aurait entraîné, selon certains auteurs, la mise en place de réformes

organisationnelles dans de nombreuses sociétés à travers le monde, découle de l’accélération du

phénomène de la globalisation et de la mondialisation au début de 1980 (Welch et Wong 1998).

L’interdépendance croissante des sociétés et des économies, la libre circulation des idées, des

biens et services au niveau international, l’élaboration et la mise en œuvre de régimes

commerciaux, la normalisation des règles du jeu international, la diffusion et le succès des idées

néolibérales de marché, concurrence, déréglementation, privatisation, caractérisent alors le

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Appelés dorénavant à être compétitifs et performants, les États ne seraient plus en mesure de

s’accommoder de l’ancien système bureaucratique considéré comme lourd, inefficient,

inefficace. Ils auraient besoin d’administrations flexibles, réactives et proactives, compétitives,

rentables (Osborne et Gaebler 1992). Le souci d’attirer les investissements internationaux, et

d’occuper une place favorable dans le marché global, amènerait les gouvernements à réformer

leurs administrations, afin de les rendre plus aptes à assurer ces nouvelles missions (Killian

2008). De plus, l’expansion de la sphère de compétences et du rôle des acteurs internationaux

non-étatiques, et les nouvelles règles du jeu international, limitent les pouvoirs d’intervention de

l’État et imposent une conception plus décentralisée de l’allocation de la responsabilité et de

l’autorité politique. Le modèle néomanagérial se présente comme une solution idoine à cette

situation.

Enfin, en étroite relation avec la mondialisation et la transformation du capitalisme, qu’elle

accompagne et favorise, la révolution technologique, qui prend son essor dès 1980, est

considérée comme une troisième cause structurelle des réformes administratives. L’argument

avancé ici soutient que les changements technologiques entraînent des changements

organisationnels, soit parce que les propriétés matérielles d’une nouvelle technologie donnée

demandent de nouvelles routines et pratiques de travail, ou parce que les technologies, de

manière générale, offrent des possibilités et des utilités spécifiques aux acteurs (Turco 2016, 2).

Leur changement se traduirait inéluctablement par une modification des opportunités qu’elles

représentent pour les acteurs.

Ainsi, pour les partisans de cette dernière thèse, l’émergence de la nouvelle société

informationnelle rendrait obsolètes les anciens modes de communication et d’organisation.

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caractérise une forme particulière d’organisation sociale dans laquelle la création, le traitement et

la transmission de l’information deviennent les sources premières de la productivité et du

pouvoir, en raison des nouvelles conditions technologiques de la période historique concernée

(Castells 2001, 43). Cette révolution dans le traitement, le stockage, et la communication de

l’information affecte l’organisation et le fonctionnement de l’État et de la bureaucratie.

L’introduction de l’informatique dans le service public atténuerait ainsi l’importance des

principes de hiérarchie, de centralisation, et transforme les anciens systèmes d’information, et

par conséquent, les structures organisationnelles (Ates et Bozali 2005). Symbole de cette

évolution, le NMP apparaît comme le modèle d’administration publique adapté à ce nouvel « âge

de l’information » (Bellamy et Taylor 1998; Cleveland 1987; Taylor et Williams 1991; Taylor et

Van Every 1993). Il en est de même du modèle de l’organisation « conversationnelle », forme

d’organisation définie par la transparence, la multiplicité, et l’ouverture des circuits de

communication, associées à une grande décentralisation des processus de décision, étudié par

Catherine Turco (2016).

En ce qui concerne les pays africains, de nombreuses études s’attèlent de plus en plus à examiner

la relation entre la mutation des cadres matériels de vie des populations due, par exemple, à

l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), et la

transformation de l’ordre politique5. Les conclusions qui ressortent le plus souvent mettent en

exergue le contexte particulier de l’introduction des NTIC en Afrique6, la mondialisation

néolibérale, et l’impact de cette rencontre sur les sociétés africaines : assomption des valeurs

5 Pour des ouvrages généraux sur la question de la relation entre science et ordre politique, voir par exemple Dror 1971 ; Jasanoff 2004.

6 En plus des références qui précèdent, on peut également consulter avec intérêt la base de données de la plate-forme Iafric sur l’état des NTIC en Afrique de l’Ouest francophone : http://www.iafric.net/biblio/index.htm.

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néolibérales, transformation du rôle de l’État, redynamisation de l’économie informelle

(Chéneau-Loquay 1998, 2001, 2004; Ledjou 2011).

En conclusion de cette section, notons que les travaux adoptant une approche fonctionnaliste

pour expliquer l’origine et l’orientation des réformes s’avèrent d’une importance fondamentale.

Premièrement, ils offrent des éléments notables d’historicité et permettent de saisir des

mécanismes de la dynamique de développement historique de l’administration publique à un

moment donné. De plus, à travers l’accent mis sur l’impact des changements survenus dans

l’environnement des administrations publiques sur les réformes, ces travaux mettent en exergue

l’articulation des réformes administratives et des administratives, au système sociétal. Dans cette

optique, les politiques de réforme administrative représentent un champ et sous-système en

interaction avec d’autres champs et sous-systèmes. Toutefois, cette approche présente également

d’importantes limites.

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