Section 3. Configuration de la séquence : acteurs et paramètres du changement
II. Experts et acteurs administratifs
II.1. Dans les couloirs internes de la réforme
Tout d’abord, au niveau national, citons des acteurs centralistes qui détiennent la légitimité et
l’autorité suffisantes pour enclencher des réformes, et dont le rôle, par conséquent, se révèle peu
négligeable : le Ministère du Plan et de l’Aménagement du Territoire77 et le Ministère de la
Fonction Publique. La centralité du Ministère du Plan se comprend aisément dans ce contexte,
car il a pour charge d’élaborer le Plan National de développement, dans lequel figurent les
principales orientations et le rôle des structures publiques et parapubliques. Le Ministère de la
Fonction publique, anciennement Ministère délégué à la Fonction Publique Fédérale78 a, quant à
lui, pour rôle de mettre en forme ces orientations et de les traduire en politiques et programmes
de réforme à travers son organe dédié, le SCOM. Les responsables de ces structures servent
d’interlocuteurs et de personne-ressource aux différents consultants internationaux qui sont
mandatés au Cameroun79.
En plus de ces acteurs centralistes, relevons l’implication d’autres catégories d’acteurs dans la
structuration du champ de la réforme administrative au Cameroun pendant les premières années
de sa formalisation. Tout d’abord, évoquons deux hauts responsables administratifs dont
77 Le nom de ce ministère varie considérablement au fil des années, en fonction des orientations stratégiques nationales, et surtout des missions qui lui sont attribuées. L’économie nationale, en particulier, est un domaine dont la charge affecte constamment cette variation.
78À partir de 1975, date du rattachement du SCOM à l’IGE, l’IGERA devient l’acteur centraliste majeur de la réforme administrative au Cameroun, et reprend les prérogatives du Ministère de la Fonction Publique.
79 Cette conclusion nous est inspirée par la lecture de correspondances et rapports de missions de R. Cremoux (1970) et Jacques Vidal (1975-1980).
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l’implication s’est avérée capitale pour l’implantation et la consolidation du SCOM au
Cameroun : Victor Ateba, Ministre adjoint délégué à la Fonction Publique, et André Valentini,
conseiller technique du ministère délégué à la Présidence chargé de l’Administration Territoriale
et de la Fonction Publique Fédérale.
Premièrement, en ce qui concerne Victor Ateba, la lecture d’un ensemble de correspondances
tenues avec des hautes autorités administratives françaises, et le chef de l’Etat camerounais, entre
1967-1969, permet de constater l’engagement dont fait montre ce dernier dans la cause du
SCOM. Par exemple, trouve-t-on trace d’une requête d’ouvrages destinés à constituer un fonds
documentaire pour le SCOM du Cameroun, adressé par M. Ateba au SCOM de la France (Réf.
01753/MAD/FPF/LR du 23 décembre 1967). Dans une autre correspondance adressée à
Ahmadou Ahidjo, M. Ateba entreprend un plaidoyer auprès du chef de l’Etat pour le maintien
d’un stage en organisation et méthodes prévu à Yaoundé en octobre 1969 à Yaoundé, après le
stage de présélection et sensibilisation de 1968. Ayant eu vent des réticences de la partie
française, pour des raisons budgétaires, M. Ateba se fait fort d’attirer l’attention du président sur
l’importance de capitaliser sur les acquis du précédent évènement, et d’intervenir auprès des
autorités françaises afin de maintenir l’organisation du séminaire (lettre datant du 17-9-1969).
Les deux initiatives connaissent un certain succès. Pour la première, ne pouvant assurer la
production directe des ouvrages demandés, le SCOM français en transfère la requête aux Presses
Universitaires de France (lettre du 16 janvier 1963), pour livraison. La deuxième entreprise porte
également fruit car des experts sont détachés de la France (M. Mogenet et M. Visomblien),
financés par l’Etat camerounais (sur les fonds du Ministère délégué à la Fonction publique
fédérale (800.000F) ainsi que le préconisait Victor Ateba dans sa requête au chef de l’Etat : lettre
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Quant à André Valentini, il s’illustre davantage dans la préparation, l’encadrement et
l’organisation des stages et séminaires OM à la fin des années 1960. Né le 30 octobre 1921 à
Tunis, il est engagé dans la résistance française (1944-1945), et commence sa carrière
professionnelle au Ministère de l’Intérieur, puis occupe pusieurs postes de sous-préfet en France.
Il devient conseiller technique de la Présidence de la République camerounaise entre 1966-1970
(Truffet et Valentini 2009 : 179). La lecture de correspondances entre M. Valentini et divers
responsables administratifs français entre 1967-1969 permet de réaliser le rôle important de
médiation qu’il a joué dans la création d’un SCOM, et dans l’organisation des premiers
séminaires et stages OM au Cameroun.
Toujours au nombre des hauts responsables camerounais qui se sont révélé décisifs dans la
diffusion de l’OM et l’institutionnalisation du SCOM au Cameroun, soulignons M. Onana
Awana, Ministre délégué à l’Inspection Générale de l’Etat et à la Réforme Administrative
(IGERA). Ne disposant pas de beaucoup de données sur son parcours personnel et ses actions,
nous pouvons nous en tenir à quelques faits d’éclat, à l’instar d’une allocution donnée en 1976, à
un séminaire OM organisé à Yaoundé. Par la teneur et la portée de son discours, qui présente
l’historique du SCOM au Cameroun, et traduit les modalités d’appropriation et les implications
du MOM pour les fonctionnaires et hauts-responsables administratifs camerounais, il s’impose
comme un producteur de sens, et comme un artisan de la construction concrète de la réforme
administrative au Cameroun.
Enfin, pour boucler l’analyse des acteurs administratifs locaux, notons le rôle de fonctionnaires,
qui prennent des initiatives à titre individuel, effectuent des études et des réflexions dont les
rapports inspirent des décisions qui conduisent à des changements importants dans l’organisation
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Ebélé, inspecteur d’État, dont nombre de rapports d’études menées sur le thème de la réforme de
l’IGE conduisent, notamment, au rattachement du SCOM à cette dernière structure. A posteriori,
l’engagement de l’inspecteur pourrait être analysé comme stratégique et instrumentaliste, en
raison de la promotion qu’il obtient à la faveur de la réforme : il est promu à la direction de la
nouvelle Division de la réforme administrative créée avec rang de chef de Division.
En effet, peu spécialisé au départ du fait de la non maîtrise des techniques et outils
d’Organisation et Méthodes (OM) par la très grande majorité des fonctionnaires camerounais, et
placé, en outre, sous l’autorité d’un Ministère délégué, n’ayant pas de statut plein80, et
n’appartenant pas au cercle des administrations de souveraineté rattachées directement aux
services de la Présidence de la république, la légitimité et la portée exécutoire du SCOM
apparaissent diluées, atténuées. En outre, les services et bureaux du SCOM disposent de faibles
ressources, matérielles et humaines, pour mener à bien leurs activités. S’ajoutent à cela des
problèmes de coordination interne (conflit autour de la tutelle du Service entre autorités
hiérarchiques du Ministère de la Fonction Publique (Ministre et Secrétaire Général) et de
collaboration avec les autres ministères (les services du SCOM ne sont requis que de manière
résiduelle ou exceptionnelle).
En 1970, dans un rapport d’étude, Charles Jules Ebélé, recense les différentes lacunes initiales et,
celles à venir, du SCOM, puis propose de rattacher le Service à l’Inspection Générale de l’Etat
(IGE). Le rapport mène à un projet de décret. Puis, à la faveur de la réorganisation du
gouvernement de 1975 (décret no 75/467 du 28 juin 1975 portant organisation du
Gouvernement), le SCOM devient un des services rattachés à la Présidence sous l’autorité du
Ministre Délégué à l’Inspection Générale de l’Etat et à la Réforme administrative (IGERA).
80Ce statut « plein » est néanmoins atteint en 1970, année à laquelle est créé le Ministère de la Fonction Publique de la République Fédérale du Cameroun.
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Ensuite, le 21 avril 1978, le SCOM change de nom, et devient la Division de la Réforme
administrative (DRA) à la faveur du décret no 78/354 du 21 août 1978 portant organisation de
l’Inspection Générale de l’Etat et de la Réforme Administrative (IGERA). Les missions
générales de la DRA sont les mêmes que celles du SCOM, telles que définies par la circulaire
présidentielle sus-citée du 2 octobre 1969. Elles sont par la suite précisées, et institutionnalisées
par l’article 29 du décret mentionné plus haut du 21 août 1978.
Sans lui conférer ipso facto un mérite d’efficacité, notons cependant que le transfert de la
réforme administrative à un niveau hiérarchique (plus) élevé impute une gradation symbolique
au champ dont l’effectivité apparaît de plus en plus manifeste. En attestent les multiples stages
d’initiation et de sensibilisation aux techniques d’OM organisés sous l’égide de la DRA (9 au
total entre 1968 et 1979), les multiples chantiers de réforme initiés et exécutés par ses services81,
la mention explicite de l’importance et de la situation organique de la réforme administrative
dans les quatrième, cinquième et sixième plans quinquennaux de développement.
Il serait incomplet de fermer cette étude des acteurs administratifs en se cantonnant uniquement
au niveau national. En effet, les responsables administratifs étudiés apparaissent en interaction
permanente avec des responsables administratifs français, Peuvent être cités en particulier M.
Dumoulin, chef de service du SCOM, M. Gaudriault, chef de service de la Coopération
Technique-Sécrétariat d’Etat aux Affaires Etrangères, et M. Dequecker, également chef de
81La consultation des rapports d’activités de la DRA pendant la période 1979-1984 permet de relever deux grands types de chantiers : d’une part, les réformes que nous appelons transversales et qui consistent à l’introduction dans l’administration publique camerounaise des techniques modernes de gestion et d’organisation (Gestion programmée, Méthodes PERT, Direction participative par objectifs, Rationalisation des choix budgétaires, Tableau de bord et Contrôle de gestion), et d’autre part, des réformes plus ciblées, portant sur des problèmes précis dans des organisations précises : réforme du circuit du courrier dans l’administration camerounaise ; recensement des entreprises publiques et parapubliques, élaboration du fichier des logements administratifs, études ponctuelles menées dans différents ministères et services déconcentrés.
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service de la Coopération Technique-Sécrétariat d’Etat aux Affaires Etrangères. Ces hauts-
fonctionnaires ont assuré, entre autres, la coordination et le transfert d’experts OM au Cameroun.