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Section 2. Approche théorique : une analyse configurationnelle et historique de la réforme administrative

II. Les configurations de réforme

II.1. L’interdépendance des acteurs

Premièrement, la configuration met en avant l’importance du jeu des acteurs dans la production

des réformes administratives. Elle représente un outil analytique qui permet de cerner le système

d’interdépendances entre acteurs majeurs de la réforme. Deux considérations sont décisives ici.

D’abord, l’interdépendance renvoie à la mutualité des gains des relations entre acteurs, et des

effets de nécessité découlant de ces gains. Ainsi, bien que le rapport des bénéfices tende à

changer d’une période à l’autre, et confine souvent, à l’asymétrie, la dépendance entre acteurs est

un fait récurrent observé. Deux mécanismes de dépendance apparaissent prépondérants :

l’efficacité technique, et la quête de légitimité.

L’efficacité technique renvoie à des gains techniques et tangibles découlant des propriétés

intrinsèques des réformes. Dans cette optique, la finalité politique des réformes est en accord

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techniques et pratiques, de sa capacité à régler un problème organisationnel précis. Les rapports

entre acteurs sont, sous cet angle, fonctionnels13.

La quête de légitimité permet de rendre compte du comportement d’acteurs qui s’appuient sur un

répertoire de rôles et d’identités comme référent d’action (Olsen 2009). Les relations entre

acteurs sont médiatisées par les représentations liées aux attributs propres à un statut, ou une

position, et à la capacité à instrumentaliser ces représentations. Cette forme d’interdépendance

apparaît fréquente dans l’histoire de la réforme administrative au Cameroun, et de manière

mutuellement inclusive, entre acteurs politiques, acteurs techniques, et acteurs administratifs. Par

exemple, il est vu dans la thèse que le recours à l’expertise permet aux acteurs politiques et

administratifs d’attribuer à leurs actions la marque et le crédit dont sont vecteurs les experts. À

travers ce processus, un signal est envoyé aux autres acteurs sur la finalité affirmée, sur

l’engagement, sur l’investissement. À ce titre, l’expertise constitue une ressource stratégique,

une ressource de légitimation14.

Deuxième implication de la dynamique d’interdépendance, trois groupes d’acteurs apparaissent

déterminants dans les configurations : les acteurs politiques (exécutif et législatif) ; les acteurs

administratifs (ministres et hauts fonctionnaires issus d’administrations centralistes) ; les experts, nationaux et internationaux.

Les acteurs politiques de la réforme

Dans la thèse, les acteurs politiques considérés relèvent principalement de l’exécutif politique.

Ce sont les acteurs gravitant autour de la Présidence de la République (Président de la

République compris, mais également le Secrétaire général à la Présidence, et le Directeur du

13 Cette finalité est assez proche de la conception courante de la réforme administrative qui la définit comme « changement conscient et réfléchi introduit dans un organisme ou un système public en vue d'améliorer sa structure, son fonctionnement ou la qualité de son personnel » (Gow 2012; voir aussi Caiden 1968).

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Cabinet Civil) et le Premier ministre. Au Cameroun, l’assemblée législative a un rôle marginal,

voire inexistant, en matière de réforme administrative15. Les questions administratives sont

rarement débattues dans les commissions parlementaires. L’inscription à l’agenda d’un

programme de réforme relève très souvent, sinon exclusivement, de l’initiative du Président de la

République, du Premier Ministre ou d’un ministre centraliste. Par conséquent, la grande majorité

des lois et règlement relatifs à la réforme administrative sont pris par décision, arrêtés, ou

circulaire, et ont pour source ces trois instances.

Les acteurs administratifs

Les acteurs administratifs qui interviennent dans une configuration de réforme sont des

ministères, « centralistes » (Bezes 2009, 51) ou « horizontaux » (Quermonne 1991, 68-81),

exerçant une mission transversale qui concerne soit l’ensemble de la société, soit l’ensemble de

l’État. Ce sont des acteurs possédant suffisamment de légitimité et d’autorité pour proposer des

normes générales de fonctionnement et d’organisation du travail public aux autres

administrations. Dans le cas du Cameroun, nous retenons trois ministères : le Ministère de la

Fonction Publique et de la Réforme Administrative (MINFOPRA), le Ministère des Finances

(MINFI), et le Ministère de l’Economie et de la Planification du Territoire (MINEPAT).

Les experts

15 Cette conclusion vient d’abord de l’observation empirique de l’initiation des procédures de réforme au Cameroun sur plusieurs décennies. En outre, le rôle marginal de l’Assemblée Nationale dans la prise de décision et la conduite de la politique nationale a des bases constitutionnelles et politiques. Premièrement, ainsi qu’il a été souligné plus haut, le chef de l’État, constitutionnellement, a de vastes pouvoirs au Cameroun, et une indépendance avérée des autres corps de pouvoir. Sur le plan politique, le système de gouvernance néopatrimonialiste du Cameroun a des conséquences sur les attributions et la marge de manœuvre réelles des autres acteurs du champ politique. Le présidentialisme exacerbé du régime camerounais se traduit, entre autres, par la subordination du Parlement, et la direction exclusive de l’agenda institutionnel par le chef de l’État (voir Pigeaud 2011; Manangou 2015).

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Le rôle des experts apparaît prépondérant dans l’histoire de la réforme administrative en Afrique.

Leur implication dans les processus de changement organisationnel des structures publiques

africaines remonte à la période des indépendances (Conac 1979). Cependant, leur statut et leur

composante sociologique varient quelque peu au fil des réformes. Au Cameroun, après les

indépendances, et pendant les décennies qui suivent, l’expertise sur les problèmes et les solutions

administratifs est essentiellement exogène. Les experts et consultants qui interviennent dans le

processus de réforme, que ce soit à la phase de la formulation, de la mise à l’agenda ou de

l’implantation sont, pendant de nombreuses années, de nationalité étrangère (plus précisément

européenne). Cependant, à partir de la fin des années 1980, l’expertise locale apparaît de plus en

plus sollicitée. Les structures spécialisées, telles le Secrétariat Permanent à la Réforme

Administrative (SPRA) et l’Institut Supérieur de Management Public (ISMP), jouent un plus

grand rôle dans les processus de réforme.

L’observation des modes d’action, et d’influence, des experts internationaux dans la dynamique

de réforme suggère un autre mécanisme central dans la construction des répertoires de réforme

administrative : la certification. Dans leur livre sur l’analyse de la politique du conflit, Tilly et

Tarrow définissent la certification comme un « signal émis par une autorité extérieure montrant

qu’elle est disposée à reconnaître et à soutenir l’existence et la revendication d’un certain acteur

politique » (2008, 353). Ce mécanisme met en évidence le processus par lequel un acteur

reconnaît un autre sur la base de critères définis.

Dans cette thèse, la certification renvoie à la reconnaissance visée par les acteurs politiques et

administratifs qui sollicitent une expertise (externe) pour informer, améliorer, soutenir ou valider

leurs décisions. La certification procède par transfert de légitimité et emprunte à un double

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commune de scientificité, de technicité, d’objectivité, de compétence, de savoirs et

connaissances mobilisés pour l’action. Dans une situation réputée problématique par le

commanditaire, l’expertise apporte une aide éclairée à la décision, un avis pratique et informé.

La valeur et la légitimité des avis et prescriptions exprimées reposent, en premier lieu, sur

l’expérience avérée de l’expert, mais également (et surtout), sur ses méthodes, son mode

opératoire. Le travail de l’expert revêt une apparence de systématicité, s’appuie sur le langage

formel de la raison, recourt à une démarche positive. Il entend projeter une image de neutralité,

d’objectivité, de vérité (voir Trépos 1996). Revendiquant de tels attributs, l’expertise en matière

de réforme administrative se présente comme une solution réfléchie et appropriée aux problèmes

d’organisation et de fonctionnement des services publics, détachée de toute considération

partisane (Robert 2008).

De même, en plus du registre technico-scientifique et pratique, le transfert de légitimité opéré par

le recours à l’expertise, procède sur un champ idéologique. En effet, la normalisation et la

naturalisation de la décision ne découlent pas uniquement de la simple application de principes

reconnus comme neutres et universels, mais aussi de principes ayant une réputation d’efficacité

avérée, et s’étant illustrés avec succès dans des contextes précis. En d’autres mots, les solutions

offertes par l’expertise ne résultent pas de diagnostics ad hoc, ni d’investigations empiriques

préalables. Elles trouvent leur source dans une structuration particulière du champ cognitif du

marché des réformes, qui impose certaines formules comme dominantes à un moment donné.

Sous ce jour, les experts représentent, et portent une manière particulière de penser la réforme à

un moment donné, dans un espace socio-géographique donné, et moins une formule universelle,

neutre et logique de réponse à des problèmes organisationnels16.

16 Cet argument est par exemple défendu, pour le cas de l’Afrique, par Dwivendi (2005, 33) ou Fatile et Adejuwon (2010), et pour le cas de l’Amérique latine par Nef (1998).

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Egalement, l’expertise peut représenter un registre d’action. Notamment pour les acteurs locaux,

qui compte tenu de l’importance de l’expertise dans le processus décisionnel, s’engagent à

construire une expertise interne, et à se doter de capacités d’expertise autonomes pouvant être

traduites en voies d’accès à l’influence politique. Cette forme d’activation du mécanisme de

certification s’illustre, par exemple, au Cameroun par la prolifération d’organes de réforme

spécialisés, créés par des acteurs politiques (Premier Ministère) en marge des dispositifs

existants (notamment le Secrétariat Permanent à la Réforme Administrative : SPRA).

Enfin, étudier les conséquences du recours à l’expertise dans la réforme administrative au

Cameroun « exige également de penser les modalités de circulation des savoirs experts, c’est-à-

dire de comprendre comment s’opère la rencontre entre espaces savants et sphères de décision et

quelles transformations des savoirs elle suscite » (Rober, ibid., 326). Ce qui nous introduit à la

deuxième dynamique structurante des configurations, la circulation des savoirs.

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