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Chapitre 1 : l’école et son aménagement en évolution

1.1 L’aménagement des salles de classe en évolution

1.1.1 Les approches pédagogiques – D’hier à aujourd’hui

« Il convient de définir la pédagogie comme l’ensemble des actions que l’enseignant mobilise dans le cadre de ses fonctions d’instruction et d’éducation d’un groupe en contexte scolaire » (Gauthier et Tardif, 2017, p.243).

La naissance de la pédagogie, telle qu’on la connait, remonte aux environs du 17e siècle « La pédagogie comme pratique d’ordre et de contrôle marque le début d’une tradition, non pas provisoire, mais qui se perpétuera dans le temps » (Gauthier et Tardif, 2017, p. 80). Avec l’arrivée de cette nouvelle méthode, plusieurs aspects fonctionnels de l’école se transforment : on place les élèves du même âge à l’intérieur d’un même groupe, on forme les maitres à l’enseignement, ceux-ci exercent une distance plus professionnelle et des tableaux muraux font leur apparition dans les salles de classe (Gauthier et Tardif, 2017). La tradition pédagogique prendra différentes formes et évoluera jusqu’au mouvement d’une grande ampleur, la naissance de la pédagogie nouvelle à l’aube du 20e siècle. « La pédagogie contemporaine est un espace de tensions entre les traditions et les innovations, entre la démocratie d’une école pour tous et les besoins propres à chaque élève » (Gauthier et Tardif, 2017, p. 113).

1.1.1.1 Les grands acteurs et les mouvements pédagogiques

Chacun à leur façon, les acteurs de changement de la pédagogie nouvelle ont bonifié le système éducatif tel qu’on le connait actuellement, sans toutefois en chambouler totalement l’ordre établi depuis plusieurs centaines d’années. Américains, Français, Brésilien, Écossais, ces auteurs différents à bien des égards, ont tous un discours commun « qui critique la tradition pédagogique en place et cherche à la remplacer par d’autres façons de faire la classe » (Gauthier et al., 2013, p. 35). Pour ce faire, tel que l’évoque le tableau 1, ils repensent les rôles de l’enfant et de l’enseignante.

Tableau 1 : Les différents acteurs de la pédagogie nouvelle et les grands principes qu'ils amènent Acteur de la

pédagogie

Métier et nationalité Grand principe

John Dewey (1859-1952)

Philosophe américain L’enfant apprend en agissant, c’est dans l’action que la pensée humaine se forme

Célestin Freinet (1896-1966)

Éducateur français Lire, c’est chercher le sens

Pour apprendre, on doit agir sur le milieu, le transformer Paulo Freire (1921-

1997)

Éducateur brésilien Le dialogue comme base de l’apprentissage

Vygotsky (1896- 1934) et Piaget (1896-1980)

Psychologue biélorusse et psychologue suisse

L’enfant est le principal acteur dans la construction de ses connaissances

Carl Rogers (1902- 1987)

Psychologue humaniste américain

Pour apprendre, l’élève mobilise des processus cognitifs et émotionnels pour repérer des connaissances

significatives sur lui-même, les autres et l’environnement.

Selon Gauthier et Tardif (2017), John Dewey est le philosophe américain le plus marquant de la première moitié du 20e siècle en éducation. Ce dernier prend position dans plusieurs essais qu’il rédige sur sa vision pédagogique, selon laquelle l’enfant apprend en agissant. Selon lui, la clé de la nature et de la réalité se traduisent par l’expérience (Westbrook, 2000). Elle se construit sur la relation d’agir et éprouver (Dewey, 2010). Il propose alors au monde scolaire des stratégies d’enseignement innovantes, telles que l’enseignement coopératif et communautaire ainsi que l’apprentissage par projets, qui sont encore d’actualité et se transposent dans plusieurs méthodes pédagogiques encore aujourd’hui (Westbrook, 2000). Gauthier et Tardif (2017) soulignent d’ailleurs que ces changements se font en conservant les objectifs pédagogiques généraux tel que lire, compter et écrire.

Freire (1921-1997), éducateur brésilien et Freinet (1896-1966), éducateur français, influencent aussi les façons d’agir en lien avec les techniques d’enseignement de l’écriture et de la lecture. Freire

introduit le travail coopératif afin de se conscientiser à la démocratie et la responsabilisation de l’éducation comme accès à la contestation et la réflexion politique. L’élève y acquiert ses connaissances par l’action (Loiola et Borges, 2017). De son côté, Freinet met de l’avant l’imprimerie comme moyen pédagogique de communication et valorise la lecture, fictive et documentaire par des espaces de documentation à même la salle de classe. Les contributions de Freinet en lecture se matérialisent encore aujourd’hui par les espaces de documentations (bibliothèques) et l’imprimerie comme moyen pédagogique de communication (Legrand, 2017). « L’idée de replacer la lecture, dès son apprentissage, dans un flux de communication, de même que l’idée d’utiliser la lecture documentaire dans tous les actes de la vie scolaire, viennent en ligne droite de Freinet » (Legrand, 2017, p. 158).

La philosophie de Carl Rogers repose sur la prémisse que l’élève est le pilote qui dirige son éducation et l’enseignante est non-directive, l’accompagnatrice de l’aventure. Ce n’est donc pas l’enseignement qui intéresse Rogers mais l’apprentissage de l’élève (Simard, 2017).

À l’échelle internationale, les différentes philosophies d’apprentissage de Dewey, Freire, Freinet et Rogers, pour ne nommer que ceux-ci, ont influencé l’enseignement actuel. Ils questionnent les façons d’enseigner et d’apprendre et par le fait-même le rôle des élèves et des enseignantes. Ils repensent les méthodes d’enseignement (ex : par l’expérience, la collaboration ou l’écriture) et les relations des gens entre eux et avec leur environnement. Ces nouvelles pédagogies jettent un regard différent sur ce qui était attendu de l’école traditionnelle et diversifient les méthodes d’enseignement (Gauthier, 2017).

1.1.1.2 Les approches pédagogiques actuelles au Québec

À l’échelle québécoise, une diversité d’approches pédagogiques est présente dans les écoles publiques. On observe notamment la pédagogie ouverte, l’approche constructiviste et l’enseignement

explicite. L’ensemble de la formation des enseignantes n’est pas forcément orienté vers une

approche pédagogique en particulier. C’est lors de leurs stages que les enseignantes échangent autour de leur conception de l’éducation (FSE-UQAM, 2015) et par le fait -même de leur philosophie d’enseignement. Toutefois, le Programme de Formation de l’École Québécoise (PFEQ) (MELS, 2006) considère les finalités éducatives relevant du constructivisme en éducation.

La pédagogie ouverte

La pédagogie ouverte est présente à bien des égards dans les classes du Québec. En effet, bon nombre d’enseignantes ont reçu cette formation dans les années 1970 (Simard, 2017). Ses valeurs premières sont l’autonomie et la liberté. Selon Paquette (1979), la pédagogie ouverte ne se veut pas un mode d’emploi, mais plutôt une façon de voir l’acte éducatif. Dans son article de 1979, l’auteur souligne quatre principes : le respect des différences individuelles, la croissance individuelle, l’influence indirecte de l’enseignante, un processus d’apprentissage naturel issu du dynamisme interne de l’étudiant (Paquette, 1979, p. 18). C’est ainsi que la pédagogie ouverte assigne des responsabilités à l’élève et le place au centre de son éducation.

En regard de l’aménagement physique des classes, certains principes de Paquette (Simard, 2017) s’observent encore aujourd’hui dans les écoles :

(1) L’organisation du temps et de l’espace doit être flexible; l’enseignante et l’élève sont conjointement responsables.

(2) L’élève doit avoir la possibilité de travailler seul, en petite unité ou en grand groupe (3) L’environnement doit être riche et stimulant pour l’élève et susciter chez lui des interrogations.

(4) L’aménagement spatial de la classe doit pouvoir être modifié en fonction des expériences multiples et variées des élèves.

(Simard, 2017, p.176)

Enfin, Simard (2017) souligne que la non-directivité des pédagogies ouvertes suscite encore aujourd’hui des réflexions sur l’éducation actuelle et «(…) pemettent encore aujourd’hui de penser et faire l’éducation autrement » (Simard, 2017, p. 177). C’est d’ailleurs aussi le cas pour certains aspects de l’approche constructiviste.

L’approche constructiviste

Au Québec, l’approche constructiviste est largement adoptée (Gauthier et al., 2005). Celle-ci place l’élève comme principal responsable de la construction de son savoir et l’enseignante l’accompagne dans son expérience. L’accent est mis sur la relation, l’interaction entre ce qui est inné chez l’enfant et le monde extérieur. Ainsi, l’élève construit ses connaissances en s’adaptant à son environnement (Gauthier et Tardif, 2017). Le Programme de Formation Éducative du Québec (Québec, 2006) témoigne de l’inspiration constructiviste sur laquelle il est bâti :

Certains apprentissages que doit développer l’école bénéficient de pratiques d’inspiration béhavioriste axées, notamment, sur la mémorisation de savoirs au moyen d’exercices répétés. Cependant, beaucoup d’éléments du Programme de formation, en

particulier ceux qui concernent le développement de compétences et la maitrise de savoirs complexes, font appel à des pratiques basées sur une conception de l’apprentissage d’inspiration constructiviste. Dans cette perspective, l’apprentissage est considéré comme un processus dont l’élève est le premier artisan. Il est favorisé de façon toute particulière par des situations qui représentent un réel défi pour l’élève, c’est- à-dire des situations qui entraînent une remise en question de ses connaissances et de ses représentations personnelles. (Québec, 2006, p.5)

L’approche par compétences de cette méthode offre ainsi des stratégies d’apprentissage fondées sur des mises en situation présentées aux élèves. Ceux-ci sont accompagnés de leurs enseignantes, pour construire eux-mêmes leurs savoirs dans le cadre de situations-problèmes ou de projets (Gauthier et Tardif, 2017). Cette méthode pédagogique ne fait toutefois pas l’unanimité au sein des chercheurs en enseignement. Gauthier et ses collègues (2005) proposent ainsi une approche entièrement bâtie sur les résultats probants : l’enseignement explicite.

L’enseignement explicite

L’enseignement explicite se décrit comme une stratégie d’enseignement structurée issue de la psychologie cognitive qui divise le contenu à enseigner (savoirs ou de comportements) en étapes séquencées et fortement intégrées (Gauthier et Tardif, 2017). L’enseignante élabore son enseignement selon une série d’actions effectuées en trois étapes : la préparation et la planification (P), l’enseignement proprement dit ; l’interaction avec les élèves (I) et finalement, le suivi et la consolidation (C) (Gauthier et al., 2013).

Cette méthode complète a été développée principalement par des chercheurs et praticiens appuyés par des données probantes dans les années 1970 par Barak Rosenshine (Gauthier et Bissonnette, 2017). Celle-ci a depuis fait ses preuves d’efficacité sur la réussite scolaire des élèves. Dans leur méta-analyse, Gauthier et ses collègues (2005) établissent que l’enseignement explicite représente l’approche la plus efficace pour la réussite scolaire4, notamment grâce à son fonctionnement : « Les travaux réalisés en psychologie cognitive, plus précisément ceux d’Anderson (1983 et 1997) ont démontré que le développement des compétences s’effectue à travers trois phases distinctes : la phase cognitive (développement de la compétence), la phase associative (mise en application) et la phase autonome (automatisation des savoirs) » (Gauthier et al., 2005, p. 28). En d’autres mots,

4L’enseignement explicite ne fait pas non plus l’unanimité chez les experts de la pédagogie. On remet en question les méthodes employées pour comparer les différentes approches pédagogiques et les variables étudiées. Néanmoins, l’enseignement explicite est présent dans ce mémoire pour deux raisons. D’abord, parce que Clermont Gauthier a été un des co-chercheurs de Schola.ca et celui-ci a encadré la chercheure de ce mémoire pour cette section. Ensuite, lors des entretiens, les enseignantes ont été questionnées sur leur approche pédagogique. Seulement 9 enseignantes sur 19 ont été en mesure de répondre. Celles-ci ont mentionné qu’elles appliquaient des techniques d’enseignement explicite, efficace ou RAI. C’est donc près de la moitié des répondantes qui appliquent ces principes à leur enseignement.

l’enseignement explicite divise la leçon5 en trois temps qui se répètent au cours d’une même journée, avec différents éléments de matière (voir figure 11) : le modelage, la pratique guidée et la pratique autonome.

D’abord, le modelage (1) met de l’avant la compréhension de la matière chez les élèves (Gauthier et al., 2005). L’enseignante s’efforce alors de mettre en place les moyens nécessaires à l’obtention d’un haut niveau d’attention des élèves (Gauthier et al., 2013). L’information y est présentée en petites unités, du simple vers le complexe (Gauthier et al., 2005). Ensuite, la pratique guidée (2) permet d’ajuster et de consolider l’information dans l’action (Gauthier et al., 2005). L’enseignante propose des tâches semblables à celles qui ont été effectuées au modelage et à travers lesquelles elle questionnera les élèves pour obtenir une rétroaction régulière. Cette étape se pratique seul ou en équipe, ce qui permet aux élèves de vérifier leur compréhension en échangeant des idées entre eux. Finalement, la pratique autonome (3) fournit de multiples occasions d’apprentissage nécessaires à la maitrise et à l’automatisation des connaissances de base (Gauthier et al., 2005). C’est l’occasion pour l’élève de parfaire sa compréhension dans l’action jusqu’à l’obtention d’un niveau de maitrise plus qu’acceptable de la matière.

Figure 11 : Les trois temps d’une leçon en contexte d’enseignement explicite

Sur le plan de l’aménagement de la classe, le local doit donc permettre d’accueillir ces trois phases avec des dispositions de bureaux permettant : (1) l’attention dirigée vers l’avant de la classe, la discussion en grand groupe (Figures 12A et 12B) (2) le travail d’équipe, interaction et collaboration (Figures 12B, 12C et 12D) et (3) le travail individuel (Figure 12A).

5 À ce propos, nous verrons plus tard que Carter et Doyle (2006) font référence à la leçon comme une activité de transfert de connaissance plaçant l’enseignante en avant de la classe qui anime un groupe. En revanche, dans le cas présent, la leçon réfère à l’apprentissage d’un élément de matière.

Figure 12 : Regroupements de bureaux pour une classe québécoise maximale de 26 élèves. A. En rangées individuelles B. En rangées regroupés en équipes de trois C. En îlots de différentes tailles. D. En différents regroupements.

Les écrits sur l’enseignement explicite soulignent l’importance d’une classe ordonnée sur le plan social et physique (Gauthier et Bissonnette, 2017). Il en sera plus amplement question au point 1.3, mais les experts soulignent que la disposition des bureaux est un prédicteur du succès scolaire (Barett, 2019 et Gifford, 2002) et les regroupements en rangées offrent les meilleurs résultats scolaires (Wannarkah et Ruhl, 2008). Par ailleurs, tel que démontré au début de ce chapitre, la disposition n’est pas le seul facteur de réussite. L’enseignante y joue un rôle plus que considérable, car elle devra planifier, intervenir et consolider la matière lors de différentes activités d’apprentissage.