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La naissance des civilisations

4.3. Les écritures syllabiques

Une écriture syllabique est, par définition, un ensemble de symboles employés pour représenter les sons vocalisés ou groupés d'une langue. L'idée fondamentale du système syllabique est de pouvoir diviser un mot en un ou plusieurs segments phonétiques, chacun constituant un son isolé.

Historiquement, c’est à Sumer en Mésopotamie que les invasions sémites ont originellement fait muter le code pictographique sumérien devenu inadapté pour rendre compte de deux vocabulaires distincts (sumérien et sémite). L'écriture s'est alors structurée autrement en découpant les mots en unités phonétiques plus précises : c’était le début des systèmes syllabiques dans lesquels chaque syllabe dans un mot est représentée par son propre symbole. Les mots sont alors écrits en juxtaposant les symboles de leurs syllabes. Il a été dès lors possible d’« abaisser le nombre de signes à 275, alors que l'ancienne écriture sumérienne en comptait environ 20 000 » (Dandurand, 1983). La règle de l’économie du signe était en marche. L’écriture sémitique s’est ainsi structurée en un système mixte de logogrammes et de phonogrammes. Les phonogrammes sont des signes syllabiques dont chacun représente une syllabe de manière holistique, la structure graphique des signes n'étant en aucune façon liée à la structure phonétique des syllabes qu'ils représentent (Fossey, 1901; Groupe, 2010).

Progressivement, un seul signe a été de plus en plus utilisé pour représenter tous les mots avec le même son ou les homophones de la langue. Ce principe, nommé « système de rébus », a abouti à un système entier dit « écriture en rébus » (cf. Erreur ! Source du renvoi introuvable., p.Erreur ! Signet non défini.). Par exemple, le signe de l’eau pourrait être représenté par la lette « O », et le signe de la charrue par le signe d’un « chat » et celui d’une « rue ». Les stratégies de l'écriture syllabique et de l’écriture en rebus ont considérablement augmenté la gamme de mots qui pouvaient être exprimés, mais ils avaient engendré aussi des inconvénients évidents en introduisant beaucoup d'ambiguïté dans le système, de nombreux signes devenant polyfonctionnels, avec plusieurs significations et usages différents dus à leur seule valeur syllabique (Coulmas, 2003).

« Du fait de la persistance du rébus, les écritures syllabiques, systèmes faisant suite aux écritures idéographiques, resteront toutefois dans un rapport de dépendance étroite vis-à-vis des procédés de l'idéographie », explique Février (1948), cité par Martin-Lagardette (2009). La conservation de la syllabe en tant qu'unité phonétique se trouvera sous-tendue par celle de l'idéogramme, ainsi préservé (Du Pasquier, 1995; Pommier, 1993; Février, 1948). Comme fragment resté proche de l'image (Du Pasquier, 2002), la syllabe ne bénéficie pas, en effet,

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d'une véritable indépendance vis-à-vis de telle ou telle représentation. Comme le rappelle N. Nicholaïdis, elle sera de ce fait limitée « dans sa liberté de transformer des objets de perception en entités symboliques ou en notions abstraites ou conceptuelles » (Nicolaïdis, 1980) (cf. volume 3, annexe 1, fig. 18, 19).

L’écriture en rébus

Le jeu de société, consistant à écrire « en rébus » a été très populaire pendant le XVIIIe siècle. De plus, la métaphore du rébus a été utilisée par nombre de chercheurs s’intéressant à l’évolution des écritures pour faire comprendre le principe d’évolution à des profanes du domaine. La culture du rébus est sans doute ce qui a permis de délier (en Occident au début du XIXe siècle) la structure mixte et complexe des hiéroglyphes à la fois syllabiques et idéographiques. On comprend bien comment Champollion, un homme des Lumières, avait raisonné sur les hiéroglyphes, synonymes à l’époque de choses incompréhensibles. Le déclic lui est venu de considérer que l’énoncé graphique changeait la nature de ses règles. D’où quelque chose qui est plus qu’une métaphore explicative. C’est aussi le contexte expliquant la découverte.

L’art du rébus est dans la société européenne quelque chose de très répandu dans la bonne société intellectuelle. C’était un talent de société destiné à des élites lettrées qui pouvaient « jouer » avec le langage, l’écriture et l’image. Ce n’était pas, en ces temps-là, une recherche de l’économie du signe, bien au contraire, c’est souvent une recherche de l’arabesque, du détour, du montrer-cacher pour

compliquer l’accès au sens occulte de l’énoncé. Trois types de rébus composés de lettres, chiffres et de figures. (Source : Augé, 1923) Le rébus est une représentation particulière de la chaîne phonique d’un énoncé. Cette représentation est préalablement segmentée en mots, en syllabes ou en suite de phonèmes. Chacun des segments est représenté par une image, une lettre ou un chiffre pris dans sa valeur phonique.

La définition la plus savante est donnée par Jean Céard et Jean-Claude Margolin : « Le rébus est toujours un assemblage d’images et de signes graphiques dont l’expression phonétique produit des mots et une unité de sens sous la forme d’une phrase » (Céart & Margolin, 1986). Maxime Préaud rapporte aussi une autre définition encore plus détaillée, extraite du catalogue consacré à Collin-Thiébaut : « Les rébus, jeu d’esprit très populaire aux XVIIIe et XIXe siècles, empruntent l’art d’écrire des peuples ignorant l’alphabet, exprimant des mots, des phrases, par des figures d’objets ou des arrangements dont les noms offrent à l’oreille une ressemblance avec les mots ou les phrases que l’on veut exprimer (homonymie, homophonie) » (Préaud, 2004). Si le rébus est souvent constitué d’images, il demeure différent des pictogrammes car l'image ne renvoie pas à un message entier, mais à un segment du signifiant du message (mot, syllabe, partie de syllabe). Ce même signifiant est déconnecté du signifié qu'il a dans le message. Les rébus sont généralement composés de lettres, de chiffres et d’images dans des combinaisons variées.

Le système des rébus retrouve un terrain très propice aujourd’hui dans les smileys, le style rédactionnel des messages SMS et sur les réseaux sociaux.

Pour plus de précisions sur les systèmes d’écriture en rébus, nous renvoyons aux écrits de Benson & Oaks (1973), Donald (1999), Coulmas (2003), Rogers (2005). Pour les rébus français, les écrits d’Octave Thorel (1903), Jean Céard et Jean Claude Margolin (1986) font autorité.

Encadré 2 : L’écriture en rébus

Comparés aux écritures alphabétiques où les symboles représentent des sons (des phonèmes), les symboles phonétiques (ou syllabogrammes) d’un syllabaire représentent des syllabes (un ou plusieurs phonèmes). Martin-Lagardette (2009), cite James Germain Février quand il différencie l'alphabet de l'écriture syllabique à partir de sa capacité à identifier la

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lettre comme unité distincte : « une écriture sera qualifiée de syllabique ou d'alphabétique suivant que le travail qu'elle implique aura été poussé plus ou moins loin » (Février, 1948). Pour donner des exemples concrets, Édouard Charton écrit en 1858, dans le numéro 26 du

Magasin Pittoresque : « Par écriture syllabique, il faut entendre une série de caractères qui ne séparent pas graphiquement les voyelles des consonnes, et qui figurent par un seul et même signe, la consonne avec chacune des voyelles qu'elle est susceptible de s'adjoindre. Ainsi, dans cette sorte d'écriture, par exemple, ba, ke, mi, go, ru, seraient reproduits seulement par cinq lettres, tandis qu'il en faut dix dans nos écritures dites alphabétiques. Une autre condition indispensable pour qu'une écriture soit véritablement syllabique, c'est que dans une même série de syllabes, aucune d'entre-elles n'ait un trait qui présente des éléments semblables à ceux des autres. Un exemple fera mieux comprendre : dans les syllabe fa, fé, fi, fo, fu, nous trouvons, dans nos écritures, une certaine partie, partout identique, qui représente l'f aussi bien dans fa que dans fe, fi, etc. Si, au contraire, on a affaire à une écriture rigoureusement syllabique, on ne retrouve plus aucune de ces ressemblances » (Charton, 1858).

Les syllabes sont souvent considérées comme des unités « naturelles » du langage. Cette « naturalité » peut être prouvée par la nature articulatoire « innée » à segmenter oralement les mots en syllabes plutôt qu’en phonèmes individuels (sty-lo-à-bille ; im-pri-mante). « Les locuteurs ignorant tout de la linguistique n'ont aucune difficulté à syllaber » dit le phonéticien Alain Marchal qui définit la syllabe comme « une unité de production articulatoire » et comme « l’unité perceptuelle la plus naturelle » (Marchal, 1980). Ceci pourrait expliquer pourquoi les syllabes sont plus facilement combinées en mots que les phonèmes. C’est ce que fait généralement un enfant au moment de l’apprentissage de la parole : « d'une appréhension globale, idéographique, puis syllabique du mot écrit avant de parvenir à l'isolation de la lettre constitutive de l'alphabet » (Du Pasquier, 1995; Pommier, 1993).

En effet, la nature syllabique du langage est très étudiée dans le processus d’apprentissage de la parole chez l’enfant. « L'écriture syllabique est le résultat d'un des schèmes les plus importants et les plus complexes qui se construisent durant le développement de la lecture-écriture ; ce schème permet à l'enfant, pour la première fois, de mettre en relation l'lecture-écriture avec le pattern sonore : une lettre pour chaque syllabe ; autant de lettres que de syllabes » (Fijalkow, 1996). Liberman et al. (1974), cités par Lecocq (1991), comparent « l’aisance » du syllabique chez l’enfant par rapport aux systèmes alphabétiques : « Puisque la segmentation explicite des phonèmes est plus difficile pour le jeune enfant et se développe plus tardivement que la segmentation syllabique, on pourrait s'attendre à ce que les systèmes d'écriture basés sur la syllabe soient plus aisés à apprendre que ceux qui sont basés sur l'alphabet » (Liberman et al., 1974).

Liberman et al. puisent leur argumentaire dans les deux cas de l’apprentissage chez les enfants japonais et les enfants dyslexiques : « On trouverait là une explication du fait que le

kana japonais, qui se présente comme un syllabaire, est facilement maîtrisé par les enfants du premier degré. On pourrait également s'attendre à ce qu'une orthographe qui représente chaque mot par un caractère différent (idéogramme chinois et kanji japonais) n'entrainerait pas les difficultés d'apprentissage initial que connaissent ceux qui doivent maîtriser le système alphabétique. Une preuve indirecte des contraintes spécifiques imposées par une écriture alphabétique peut être trouvée dans la facilité relative avec laquelle les enfants dyslexiques apprennent des représentations idéographiques de la langue alors qu'ils sont incapables de déchiffrer l'alphabet » (Lecocq, 1991).

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La structure syllabique est aussi utilisée dans certains jeux de langue fondés sur l’organisation syllabique. « On les retrouve dans les constructions du verlan ou du javanais161, formés à partir du français, mais aussi dans un grand nombre d’autres langues … La syllabe est aussi recrutée lors du travail sur la forme de la langue dans une recherche poétique, la versification se faisant en comptant le nombre de « pieds » d’un vers (nombre de pics syllabiques) (I. Rousset, 2004). La structure syllabique dans le langage poétique, analysée selon ses deux constituants de l’attaque et de la rime162, traduit l’une des formes de continuité de l’oralité vers l’écriture. « Des études montrent, en effet, l’utilisation de la syllabe pour la versification dans les langues à tradition orale, ainsi que dans la structuration universelle des comptines ou de certaines chansons » (Arléo & Flament, 1988; Arléo, Despringre, Fribourg, Olivier, & Panayi, 1997).

De purs systèmes syllabiques sont rares, affirment (Fasold & Connor-Linton, 2006). La plupart utilisent des diacritiques additionnels ou des marques supplémentaires sur les symboles élémentaires écrits afin d'indiquer leurs caractéristiques phonétiques comme la longueur des voyelles, la vocalisation ou la gémination (doublement) de consonnes, etc. Ce sont les « déterminatifs » précédemment évoqués à propos des hiéroglyphes (cf. note 132). Les systèmes d'écriture idéographique et syllabique, particulièrement asiatiques, les utilisent très souvent pour lever des ambigüités vocaliques et de sens. Le japonais, en tant que système hybride de logogrammes chinois associé à un163 système syllabique, est un prototype bien connu de l’usage des déterminatifs. Nous aborderons dans la suite de cette section les structures phonétiques des langues et écritures syllabiques asiatiques (particulièrement le chinois, le japonais et le coréen) afin de souligner les points de similitude et de divergence qui les caractérisent.

Les langues chinoises et nombre de leurs dialectes, ayant des écritures fortement idéographiques, sont dans leur période archaïque des langues monosyllabiques. La structure de leurs syllabes est très bien définie d’un point de vue phonologique et morphologique, aussi bien dans le langage parlé que dans l'orthographe et la description lexicographique. Cette famille de langues chinoises constituée de langues tonales monosyllabiques a une forte propension à évoluer vers une forme d’écriture dans laquelle chaque caractère écrit constitue à la fois une syllabe et un morphème. Cela signifie que la syllabe porte un poids articulatoire important. Mais rappelons à nouveau qu’une syllabe dans le langage parlé chinois peut correspondre à deux caractères. Il n’y a en effet aucun lien logique entre la langue parlée, qui évolue selon sa propre logique, et la langue écrite. Le découpage en segments logiques (idéogrammes, syllabes et mots) n’a aucune raison d’entretenir une quelconque similitude de découpage. La quantité de syllabes utilisée dans le discours réel chinois n'est que d'environ 1 200 syllabes avec des tonalités lexicales différentes164. Le mandarin, langue officielle parlée en Chine, est constitué d'environ 400 monosyllabes dont plusieurs homophones. Quatre

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Il s’agit bien évidemment de cet « argot conventionnel » (fonctionnant par jeu de langage comme le verlan) qui consiste à intercaler dans les mots les syllabes VA et AV : exemple : « j’ava ciravémavé chavaussavurave » = « j’ai ciré mes chaussures » alors qu’en verlan la phrase pourrait être proposée sous la forme : « J’ai réci mes surchau » (note de l’auteur du présent mémoire).

162 La rime est composée de deux éléments : le noyau et la coda.

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Il est important de bien souligner que les hiragana et katakana (les kana comme on les appelle souvent pour souligner leur unicité) ne sont que deux styles d’écriture transcrivant de façon formellement distincte un seul et même système de segmentation et d’articulation syllabique.

164 Les tonalités différentes de la syllabe « Ma » sont très caractéristiques (voir Figure 5 la déclinaison historique de l’idéogramme pour la variante mǎ = cheval). Prononcée dans des tonalités différentes, elle prend les sens de « maman », « engourdi », « cheval », « malédiction », et quand utilisée sans tonalité à la fin d'une phrase, elle indique une question.

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tonalités différentes sont utilisées pour articuler leur diversité165. Puisque le même système d'écriture représente plutôt les idées que les sons, ce système est également utilisé pour les cinq familles de langues de Chine et les nombreux dialectes, eux-aussi des langues tonales et homophoniques pour la plupart (Lin Y.-H., 2007).

La structure syllabique du chinois répond à deux critères : le premier est qu’aucun regroupement de consonnes n’est permis166. Les contraintes à cette interdiction de l’alignement de consonnes sont dues au fait qu'en chinois, il y a beaucoup moins de consonnes dans un plus petit nombre de syllabes que dans des langues alphabétiques latines. Une syllabe maximale chinoise, quel que soit le dialecte, est souvent supposée contenir quatre positions (CGVX) où « C » est une consonne, « G » une semi-voyelle167, « V » une voyelle, et « X » soit une consonne ou la deuxième partie d'une voyelle longue ou diphtongue (Cheng, 1973; Lin, 1989; Duanmu, 1990).D’un point de vue phonologique, une syllabe est composée d'une « attaque » et d'une « rime », elle-même constituée d'un « noyau » et d'une « coda » optionnelle (élément facultatif de la syllabe) (Rémusat & Rosny, 1857; Chen, 1980; Yang-Drocourt, 2007).

D’un point de vue sémantique, la plupart des syllabes en langue chinoise sont associées à une ou plusieurs unités distinctes de sens (morphème + syllabe = morpho-syllabe) utilisées dans la formation des mots polysyllabiques. Si une syllabe a de multiples significations bien distinctes, chaque signification est écrite avec un caractère distinct, encore que les pratiques orthographiques actuelles reflètent de multiples niveaux de développement subjectifs et irréguliers. Les caractères ont été associés à des syllabes uniques depuis très longtemps, probablement depuis le début de l'écriture chinoise. Cela implique que la langue, avant d'être écrite, était également monosyllabique (Alleton, 1970).

En bref, si les langues tonales ont tendance à être isolantes et monosyllabiques (du moins dans leur noyau lexical archaïque), c’est précisément parce que la double articulation sémantique de la syllabe chinoise (consonne/voyelle et syllabe/tonalité), rend moins indispensable l’articulation d’une syllabe sur une syllabe suivante pour former les mots du lexique. C’est en ce sens que les langues tonales ont eu une certaine propension à être (tout au moins au début) monosyllabiques (une syllabe pour un mot). D’ou la non évidence, pour des locuteurs de langues tonales, de la similarité entre les tonalités différentes de la syllabe « ma »168. Ce qui explique qu’ils n’ont eu, au moment de l’émergence de l’écriture, aucune propension à inventer des syllabaires puis des alphabets. C’est uniquement la confrontation

165 Pour des raisons de simplification, le chinois mandarin compte quatre tons (dont un neutre). Par contre, le cantonais en comporte près de 2 fois plus. La tonalité s’applique sur chaque syllabe pour distinguer la sonorité des mots qui seraient, sinon, phonétiquement identiques avec des sens différents...

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En revanche, des langues alphabétiques latines peuvent avoir jusqu'à six et sept consonnes successives dans un mot : « Structure », « pamphlet », « Camphre » en français, « geschlossen », « Eschscholzia » (nom d’une plante) en allemand, « angström » en suédois, « borchtchs » (nom d’une soupe russe à la crème) en russe, etc.

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En phonétique, une semi-voyelle (ou semi-consonne) est un son comme le « w » ou le « y » qui est phonétiquement semblable à une voyelle, mais qui fonctionne plus comme une frontière syllabique que comme le noyau même d'une syllabe.

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Pour un Chinois, les tons de la syllabe sont « ontologiquement » signifiants. Pour un Chinois, la différence entre les variantes du « ma » sont aussi distinctes pour nous (langues alphabétiques, mais de façon unidimensionnelle) que les variantes « ma », « ba », « ta », « ra », « ta », « sa », etc… C’est une articulation ontologique de plein droit. Dans nos langues alphabétiques, les consonnes, ou dans l’autre sens les voyelles ne nous aident pas à distingue les variantes « ma », « ba », « ta », « ra », « ta », « sa », et dans l’autre sens de l’articulation « ma », « mi », « mo », « mu », etc.

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ultérieure du système alphabétique avec le système tonal qui a rendu visible ce type de fausses évidences169.

Sur le point de la structure syllabique, les syllabaires japonais se distinguent de beaucoup d’autres langues au sein de la même famille. L'origine de la classification de la langue japonaise est un des points chauds de la linguistique historique. Depuis les années soixante, l'hypothèse la plus plausible est que les langues japoniques sont liées au coréen et aux langues altaïques. Mais, l'un des obstacles qui empêchait les linguistes d'atteindre ce consensus sur la filiation du japonais était le manque de fiabilité des relations dans son vocabulaire de base, puis surtout sa structure syllabique qui diffère de celle du coréen et des langues altaïques. Dans les langues altaïques, il est possible d’avoir des groupes de consonnes en position médiane d’une syllabe, mais jamais en japonais. Dans son enquête sur les langues du Japon, Shibatani (1990) fait référence à ce problème en disant : « le problème le plus embarrassant pour quiconque tente de relier le japonais à la famille altaïque ou coréenne est la différence phonologique entre l’une et l’autre. Le japonais, surtout le vieux japonais, a essentiellement une structure syllabique CV, alors que les langues altaïques et coréennes abondent dans les syllabes fermées avec une variété de consonnes en fin de syllabe » (Shibatani, 1990).

La langue japonaise est un exemple classique d'une langue avec une structure syllabique relativement simple. C’est sans doute l’une des langues pour lesquelles le système syllabique est très adapté. (Robeets, 2008). Dans les caractères kana, chaque signe correspond à une syllabe (Figure 7). La langue a aussi un nombre anormalement faible de syllabes170. Ce qui fait que certaines combinaisons syllabiques ne sont pas systématiquement prises en compte comme le « si » ou le « tu » prononcé par un Japonais moyen « shi » et « tsu ». Avec un petit nombre de syllabes, un système d'écriture syllabique fonctionne assez convenablement. Un système similaire appliqué au français par exemple, aurait été totalement ingérable en raison du grand nombre de syllabes possibles ». Pour davantage de précisions sur les syllabaires