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G ENÈSE , ÉVOLUTION ET ORGANISATION DE L ’ ÉCRITURE

La naissance des civilisations

1. G ENÈSE , ÉVOLUTION ET ORGANISATION DE L ’ ÉCRITURE

L’écriture a marqué un tournant décisif dans son histoire quand elle est devenue un système de signes abstraits gravés ou dessinés. Le grand changement social qui a eu lieu environ 3 500 ans avant notre ère, et pendant lequel la sédentarisation et l’agriculture en Mésopotamie avaient engendré une activité commerciale de plus en plus importante entre les villes et les régions, est sans doute le facteur le plus important ayant facilité l’éclosion de l’écriture. Le commerce de troc devenait de plus en plus intense et complexe à gérer, les gens avaient commencé à produire des jetons d'argile pour représenter les types et le nombre de biens qu'ils possédaient. Par exemple, un propriétaire pouvait détenir dix disques d'argile qui symbolisaient la propriété de ses dix moutons confiés à un berger nomade. Les jetons pouvaient avoir des tailles et des formes différentes pour indiquer des quantités, mais aussi des espèces diverses : un jeton pour un mouton, un plus gros jeton pour dix moutons100, ronds pour les moutons, triangulaires pour des chèvres. Les échanges s’élargissant sur de plus grandes distances, les marchands se virent obligés de confier leurs marchandises à des caravaniers intermédiaires qui se chargeaient à leur tour d’accomplir les transactions. Les jetons servaient d’inventaire pour symboliser les produits échangés. Or, pour contrer toute fraude de la part des caravaniers, les marchands mettaient les jetons dans des sphères creuses en argile (des bulles-enveloppes) scellées que les caravaniers devaient remettre intactes au moment de la livraison des marchandises. Cependant, pour des raisons de contrôle pendant le trajet, les caravaniers avaient aussi besoin de se souvenir à chaque instant de la quantité de marchandises qu’ils transportaient. Les marchands commencèrent alors à marquer les formes des jetons à l’extérieur de la bulle-enveloppe avant qu’elles ne sèchent. Il n’a pas fallu longtemps pour que l’on se rende compte que les jetons et les bulles-enveloppes n’étaient plus aussi nécessaires puisque les quantités échangées et la nature des transactions étaient transcrites et séchées sur l’argile. Les jetons ont alors été supprimés et la bulle enveloppe

100 Nous détaillons ces premières méthodes de dénombrement dans le chapitre réservé aux techniques du nombre et du calcul dans la galaxie du digital (cf. § 0, p.130)

Chapitre 2 : la galaxie de l’écriture

aplatie allait devenir une tablette d’argile donnant naissance à une première forme d’écriture. Ce n’était pas encore une écriture au sens moderne, elle n’avait pas la capacité qui nous semble implicite aujourd’hui de transcrire complètement une langue, mais c’était une sorte de proto-écriture qui, selon (Schmandt-Besserat, 1987), devait évoluer plus tard et générer les dix-huit signes les plus archaïques dénotant les marchandises comme les céréales, les animaux et l'huile sur les tablettes d'argile mésopotamiennes. Ces signes ne pouvaient composer un système d’écriture complet tant qu’il n’y avait pas de syntaxe qui pouvait les relier entre eux. Une pseudo-syntaxe (limitées aux aspects numériques) a pris forme quand des signes additifs ont été inventés pour représenter les quantités avec plus d’efficacité. C’est l’articulation syntaxique des signes qui a permis par la suite à ce premier catalogue de signes graphiques des mésopotamiens (à cette proto-écriture) de devenir un véritable système génératif, permettant d’évoluer et de recomposer les symboles quasiment à l’infini pour exprimer un grand nombre d’idées. Pour représenter trois moutons par exemple, au lieu de faire usage de trois jetons, il était devenu possible de le faire avec deux jetons uniquement, l’un pour représenter « mouton » et l’autre pour signifier la quantité « trois ». Le jeton du symbole « trois » pouvant faire partie de combinaisons différentes. Même si à ce stade, ce mécanisme ne représentait pas encore une écriture, mais plutôt un système de dénombrement, il marquait les débuts de la mise en forme d’un système de signes qui allait évoluer vers des formes plus complexes d’articulation pour d’autres usages.

Le premier enseignement de cette hypothèse c’est que l’écriture n’est pas une invention ou une découverte subite, mais un processus qui s’est mis en place sur une longue durée. Elle s’est transformée, façonnée, adaptée ou modifiée sous l’influence des diverses appropriations qui en ont été faites par les communautés linguistiques et les civilisations successives l’ayant adoptée. Il semblerait alors raisonnable de penser que l'idée d'écrire, et non celle de créer des symboles particuliers d’écriture, s’est répandue progressivement d'une culture à une autre. Néanmoins, en l'absence de preuves solides pour la transmission de l'idée, une majorité de chercheurs préfère penser que l'écriture s’est développée de façon autonome dans les grandes civilisations du monde antique, particulièrement entre des civilisations très distantes comme la Mésopotamie et la Chine.

Le deuxième enseignement qu’on pourrait tirer de ces hypothèses sur les origines, c’est que l'écriture est finalement un système de signes doté d’un référentiel conventionnel qui sert à communiquer de l’information. Communiquer par écrit, dépend donc des capacités de l’homme à développer un système d’information au moyen de symboles codés, ce qu’on appelle communément une langue. Une langue est un système de signes linguistiques vocaux, graphiques ou gestuels qui sert la faculté innée à communiquer. La parole est l’un de ces systèmes de symboles ; l'écriture en est un autre. La différence est que l'écriture est une technologie avec une base matérielle (donc artificielle) alors que la parole est plutôt une aptitude anatomique et cognitive chez l’homme qui ne nécessite pas d’outils externes pour s’accomplir. C’est dans la différence entre la technique artificielle de l’écriture et l’aptitude anatomique de la parole que se situent les formes de complexité du développement et de la maîtrise des systèmes de signes (écriture) et de leurs valeurs symboliques pour fixer la parole.

2.É

CRIRE C

EST FIXER LA PAROLE

Comme nous l’avons signalé dans l’introduction de ce chapitre, l'écriture a été, dès ses origines, un objet de controverses pour les érudits, philosophes, psychologues, puis anthropologues, sémioticiens, ethnolinguistes, littéraires, etc. Les uns confirment ses effets, les autres nient ses conséquences sur la transmission et l’appropriation de la connaissance. La célèbre formule de Confucius : « une image vaut mille mots » traduit une première forme de

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Mokhtar BEN HENDA. Interopérabilité normative globalisée des systèmes d’information et de communication. Mémoire HDR, Volume 1. Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, 2012

réserve à l’égard du texte, même si dans son esprit, il n’entendait probablement pas sacraliser l'image autant qu’il voulait mettre en évidence l’incapacité de l'écriture à transmettre la richesse synthétique de l'image. Platon, nous rapporte dans Phèdre la position de Socrate qui déplore le processus d'appauvrissement social et psychologique engendré par l'écriture : « … cette invention, en dispensant les hommes d'exercer leur mémoire, produira l'oubli dans l'âme de ceux qui en auront acquis la connaissance ; en tant que, confiants dans l'écriture, ils chercheront au-dehors, grâce à des caractères étrangers, non point au-dedans et grâce à eux-mêmes, le moyen de se ressouvenir » (Platon101).

Plus encore, Socrate voyait dans l’écriture une forme d’objectivation de la connaissance : « Il en est de même aussi pour les discours écrits : on croirait que ce qu'ils disent, ils y pensent ; mais, si on les interroge sur tel point de ce qu'ils disent, avec l'intention de s'instruire, c'est une chose unique qu'ils donnent à comprendre, une seule, toujours la même ! […] une fois écrit, chaque discours s'en va rouler de tous côtés, près de ceux auxquels il ne convient nullement ; il ignore à quelles gens il doit ou ne doit pas s'adresser » (Platon, Phèdre, 275d – 276b). Par cette analyse des dangers sociaux de l’écriture, Socrate montre qu’il avait parfaitement compris la nature de l'écriture, celle de séparer la connaissance du sujet et de l'objet pour la transformer en information. Rabelais était plus conciliant dans l'épisode des « Paroles gelées » de son œuvre le « Quart Livre » (1552) quand son personnage Gargantua imaginait que les voix pouvaient être sauvegardées dans la glace. Nous lisons dans l’encyclopédie Universalis en ligne (version 7) : « L'événement ou la pensée doivent être figés dans le livre imprimé, afin d'être transmis, mais il faut ensuite les ramener à la vie. Ce va-et-vient du vécu à l'écrit est un mouvement constant dans l'œuvre de Rabelais »102. Les exemples de la fixation de la parole par l’écrit sont cependant bien antérieurs à Rabelais103. Déjà, du temps des marchands mésopotamiens, on l’a vu, les jetons et les bulles-enveloppes remplaçaient les transactions orales entre commerçants de la même ville.

Il y a toutefois deux éléments essentiels sur lesquels un consensus est quasi unanime. Le premier est que, comme moyen de communication dans une société où anciennement elle n’existait pas (ou alors confinée à des groupes particuliers), l’écriture fixe le discours oral et fournit à la langue un matériel grâce auquel la parole peut être figée. Le deuxième point est que l’écriture, avant ses liens avec l’oralité, et avant même l’apparition des symboles sur une bulle-enveloppe, plongeait ses racines dans des avant-coureurs plus lointains encore : l’art pariétal préhistorique (cf. volume 3, annexe 1, fig. 9) ou les tracés pictographiques comme ceux de la Vallée des merveilles104. Le bovidé n’y était pas symbolisé par un jeton d’argile, mais représenté par un tracé similaire à sa caractéristique physique : celle de ses deux cornes, qui sont déjà un pictogramme (

Figure 1) (cf. volume 3, annexe 1, fig. 10).

101 Cf. Phèdre, le mythe de Theuth 275 a-b, dans la traduction de Léon Robin in Platon, œuvres complètes, 1981. Paris : Gallimard, La Pléiade, 1671 p.

102 Dans l’encyclopédie Universalis en ligne-version 7, il est dit que « Rabelais s'éloigne ainsi d'une tradition purement narrative, celle

des fabliaux ou celle des conteurs italiens, et ses romans anticipent à certains égards la quête de Montaigne dans les Essais »

103 De fait, Rabelais, comme Shakespeare dans le Roi Lyre (abondamment cité par McLuhan dans la Galaxie Gutenberg) sont des auteurs qui se sentent à la charnière de la période de l’écriture (avant et après l’imprimerie) et c’est pour cela qu’ils s’interrogent sur la nature de cette fixation.

104 La vallée des Merveilles est une vallée du massif du Mercantour dans les Alpes où ont été découvertes plus de 40 500 gravures protohistoriques, datant pour la plupart de l'âge du bronze.

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Figure 1 : Origine pictographique des caractères alphabétiques

(Source : Stéphane Bertho. De l'Aleph à l'@ [http://aleph2at.free.fr/index.php], visité le 10/08/2011]

Jack Goody nous paraît plus concentré sur les aspects socioculturels et philosophiques de l’écriture que sur ses aspects proprement techniques. Il qualifie l’écriture de « technologie de l'intellect » en ce sens qu’elle ne se limite pas à une simple technique, mais procède d’une transformation mentale et culturelle profonde qui influencera les organisations sociales de manière déterminante105. L’écriture constitue en cela un changement de la pensée entre deux technocultures, l’une orale et l’autre écrite. Goody met l’accent sur une caractéristique fondamentale de l’écriture : sa capacité à stocker une somme considérable de savoirs qui rendent possible le développement de la pensée critique, de la logique et du raisonnement. Ainsi « tout changement dans le système des communications entraîne nécessairement d’importants effets sur les contenus transmis ». Ceci s’est produit à plusieurs occasions : lorsque l’écriture a permis la constitution des sciences ; quand l’imprimerie a permis la diffusion et la sécularisation des connaissances ; quand, de nos jours, la puissance du calcul informatique a augmenté la capacité de stockage et perfectionné le traitement des données et intensifié leur partage.

Dans son ouvrage « La raison graphique. Domestication de la pensée sauvage » (cf. note 98), Goody affirme : « Quand un énoncé est mis par écrit, il peut être examiné bien plus en détail, pris comme un tout ou décomposé en éléments, manipulé en tous sens, extrait ou non de son contexte. Autrement dit, il peut être soumis à un autre type d’analyse et de critique qu’un énoncé purement verbal. Le discours ne dépend plus d’une « circonstance » ; il devient intemporel. Il n’est plus solidaire d’une personne, mis sur papier, il devient plus abstrait, plus dépersonnalisé » (Goody, 1979).

Dans le même ouvrage, Goody vante les mérites de l’écriture par rapport à l’oralité en lui attribuant un rôle essentiel dans l’organisation sociale et la création de nouvelles formes de rationalité : « les sociétés orales sont par principe égales aux sociétés écrites. Mais ces cultures sont différentes aussi et elles évoluent différemment. […] Or, de mon point de vue, c’est la logique de l’écriture et ses usages, la raison graphique et ses institutions qui modélisent une culture et non l’inverse. Les modes et les moyens de communication sont d’authentiques modes et de réels moyens de production du social dans son ensemble. Ce n’est pas un

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postulat idéaliste, au contraire, c’est prendre en compte un facteur historique et explicatif central que prendre au sérieux le pouvoir de l’écrit sur le monde et le pouvoir de l’écrit sur soi […] et sur les autres ! La mémoire écrite est beaucoup plus structurée et systématique que la mémoire orale, par exemple « (Goody, 2007).

D’un point de vue linguistique, Saussure, tout en limitant son analyse au grec et aux langues qui en découlent, qualifie de « tyrannie de l'écriture » le fait que la théorie linguistique prenne comme objet le langage écrit et non la langue orale : « L'objet linguistique n'est pas défini par la combinaison de l'écrit et de la parole : la forme parlée constitue l'unique objet » (Saussure, 1955). Le passage de l’oralité à l’écriture, s’est fait autant par la vue (à partir d’une image) que par l’ouïe (à partir du son) donnant lieu à ce que Saussure et Martinet appellent « morphème ». C'est-à-dire l’unité grammaticale minimale (de première articulation) qui, en se combinant aux lexèmes selon les règles de la morphologie, associe « un signifié et un signifiant »106.

Bloomfield est allé plus loin dans la séparation entre écriture et parole : « L'écriture n'est pas la langue, mais simplement une façon de marquer la langue par des signes visibles... Pour le linguiste, l'écriture est, sauf dans certains cas de détails, un simple dispositif externe, comme l'utilisation du phonographe qui est parvenu à préserver pour notre observation quelques aspects du discours des temps passés » (Bloomfield, 1933). Saussure met aussi l’accent sur la parole, mais cela ne l’empêche pas de reconnaître l’écriture comme un système à part entière : « Langue et écriture sont deux systèmes de signes distincts ; l'unique raison d'être du second est de représenter le premier ; l'objet linguistique n'est pas défini par la combinaison du mot écrit et du mot parlé, ce dernier constitue à lui seul cet objet » (Saussure, 1937).

Des chercheurs comme Walter Ong et Jack Goody considèrent également l’écriture comme un langage enregistré. Jacques Derrida défend aussi cette affirmation en reprenant l’aspect grammatologique de l’écriture (cf. notes 47, 51, 97). Dans son ouvrage De la Grammatologie (1967), il considère que l’écriture doit cesser d’être traitée comme un concept externe ou extensible à celui du langage. En affirmant que « le concept de l’écriture dépasse et inclut celui du langage » Derrida vise à démontrer que l'écriture n'est pas simplement une reproduction de la parole, mais que la manière dont les pensées sont consignées par écrit, en affecte fortement la nature. Il conforte ainsi l’hypothèse de David Olson selon laquelle les systèmes d'écriture sont développés pour des raisons mnémoniques et de communication. Donc, puisqu’ils viennent en appui à des artefacts « lus », ces systèmes d’écriture fournissent un modèle pour fixer la langue et la pensée. Olson appuie son hypothèse sur le fait que le développement de l’écriture, y compris l’écriture alphabétique, est la conséquence du vouloir toujours inventer des systèmes graphiques destinés à être « lus » dans une ou plusieurs langues107. Le développement des signes visibles pour communiquer était guidé en quelque sorte par la découverte de structures représentatives de la parole. Leroi-Gourhan fait une remarque particulièrement intéressante à ce sujet : « Quoi qu’il en soit, le symbolisme graphique bénéficie, par rapport au langage phonétique, d’une certaine indépendance : son contenu exprime dans les trois dimensions de l’espace, ce que le langage phonétique exprime dans l’unique dimension du temps. La conquête de l’écriture a été précisément de faire entrer, par l’usage du dispositif linéaire, l’expression graphique dans la subordination complète à l’expression phonétique » (Leroi-Gourhan, 1964a, p. 270).

106

Signifiant : la face matérielle du signe, qui peut être graphique ou sonore dans le cas d’un mot. Signifié : le concept ou l’idée déclenchée par cet élément.

107

L’arabe s’est perfectionné précisément pour pouvoir représenter des langues phonétiquement disparates. Idem pour l’écriture chinoise pour pouvoir être lue et comprise dans des langues diverses.

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David Olson, professeur de psychologie appliquée à l'institut Ontario, s’inspire des recherches d’auteurs comme Goody et Gelb pour définir un système d'écriture « idéal » comme une représentation totalement explicite de la langue orale : « les systèmes d'écriture du monde entier […] sont des représentations de la forme orale de la langue et pour cette raison [ils] sont catégoriquement différents des formes non-linguistiques de la représentation comme les gestes et les dessins ainsi que les notations du nombre » (Olson, 2009). Cette assertion, même si à notre avis, elle reste critiquable sur le fond108, reprend la vision classique d’Aristote109 et celles, plus modernes (op. cit.), de Ferdinand de Saussure (1937) et de Léonard Bloomfield (1933).

Olson développe sa conception de la théorie de l’écriture sur des assises socioculturelles plus contemporaines. Dans nos sociétés modernes, notre besoin de consigner tout par écrit, dépasse les évènements fondamentaux comme la rédaction des contrats, des constitutions, des écritures religieuses. Ce besoin concerne aussi les petits évènements comme les anniversaires et les vœux qui sont « honorés » par des actes écrits (D. R. Olson, 2006). Avec les nouveaux moyens technologiques (SMS, Chat), on a l’impression que l’écriture, toutes proportions gardées, éclipse le plus ancien mode de communication, à savoir le discours oral. Or, à notre avis, cette idée semble s’appuyer sur une thèse plutôt ancienne et désormais obsolète (de Jean Jacques Rousseau : cf. note 191) selon laquelle il y aurait un lien direct entre le progrès social et l'évolution des formes d'écriture. Cette thèse « évolutionniste » a désormais beaucoup perdu de son attrait. Il suffit de considérer certaines réalités sociales dans lesquelles, par exemple, des petits enfants, au lieu d’écrire à leurs grands-parents des lettres et des cartes de vœux, sont de plus en plus enclins à se mettre devant une webcam pour communiquer par le son et l’image à travers Skype ou tout simplement à appeler par téléphone. Il suffit aussi de voir le succès fabuleux de la vente des cartes de téléphone dans les milieux émigrés du monde entier qui, autrefois, du fait de leur analphabétisme, étaient « coupés » pendant des années des possibilités d’avoir un dialogue direct avec les membres de leur famille, séparés qu’ils étaient, par des milliers de kilomètres. En réalité, les exemples et les contre-exemples sont très nombreux et vont s’accumuler avec l’évolution prévisible des technologies. Nous pensons pour notre part que nous vivons une ère de technologies hybrides. D’une part, le « tout numérique » (traité dans le volume 2) donne un élan considérable à la communication orale audiovisuelle, mais d’autre part, la saisie vocale et les outils d’aide à la saisie par la généralisation des claviers virtuels sur écran tactiles confortent l’écriture électronique et la démocratisation par la communication. Par ailleurs, la miniaturisation des plates-formes (Smartphones) amplifie encore les synergies convergentes, démocratise l’accès au numérique et en banalise sa mixité multimédia : un Smartphone peut servir aussi bien à prendre des notes via un clavier qu’à la dictée vocale. Il permet de filmer,