1 Préambules
1.1 Obésité
1.1.3 Mécanismes et Acteurs
1.1.3.2 Adipokines
1.1.3.2.1 Leptine
La leptine (du grec leptos, mince) est la première adipokine découverte et sa sécrétion augmente avec le nombre de cellules adipeuses. Celle-‐ci signale au système nerveux la possibilité de dépenser l'énergie emmagasinée et la non-‐nécessité de consommer plus. La leptine est l’un des plus grands régulateurs du comportement alimentaire. Hormone de satiété, elle est sécrétée en strictes proportions avec la masse graisseuse corporelle : lorsqu’on maigrit, la synthèse de leptine diminue, tandis que lorsqu’on grossit la synthèse de leptine augmente [46]. En effet sur le plan métabolique, l’élévation du taux de leptine induit une lipolyse, inhibe la lipogénèse, et augmente la sensibilité à l’insuline. Durant la période interprandiale, la leptine va diminuer la sécrétion d’insuline et réduire la néoglucogénèse. A l’inverse, une baisse en leptine entraîne une augmentation via la mélanocortine (α-‐MSH : apha-‐melanocyte stimulating hormone) et le neuropeptide Y (NPY) du stockage des graisses et de l’appétence pour les aliments.
La leptine est une protéine codée par le gène Ob situé sur le chromosome 7 chez l’Homme [47]. Constituée de 167 acides aminés, elle est synthétisée par le tissu adipeux blanc et sécrétée dans la circulation sanguine [48]. Il existe six récepteurs connus chez l’Homme pour la leptine. Via l’isoforme longue de son récepteur principalement situé dans l’hypothalamus, la leptine agit comme facteur de satiété [49], [50]. Cette isoforme OB-‐Rb possède un domaine intracellulaire long qui transmet un signal par activation de la voie Janus Kinase (JAK) / signal transducers and activators of transcription (STAT) [51], [52]. L’activation de STAT3 serait nécessaire à l’action physiologique de la leptine. Les autres isoformes courtes ne possèdent pas de domaine intracellulaire et ne permettent pas d’activer STAT3. Dans le système nerveux central, la forme courte du récepteur à la leptine est présente au niveau du plexus choroïdien, site d’échange entre la circulation sanguine et le cerveau. Il semblerait donc que les isoformes courtes soient responsables du transport de la leptine de la périphérie vers le système nerveux central.
La leptine fournit à l’hypothalamus les informations concernant les réserves graisseuses mais aussi les apports énergétiques. C’est ainsi que sa sécrétion augmente après le repas [53]. Une quinzaine de minutes après l’entrée du bol alimentaire dans l’estomac, la paroi gastrique sécrète de la leptine en « flash » qui induit un effet de satiété à trois niveaux : en synergie avec une autre hormone de la satiété sécrétée presque simultanément par le
duodénum et qui agit plus longuement, la cholecystokinine (CKK), la leptine favorise l’absorption des protéines par rapport aux lipides via un transporteur spécifique des entérocytes, intervenant ainsi sur le contrôle de l’apport énergétique [54].
La leptine agit plus particulièrement sur les neurones du noyau arqué (ARC) dans l’hypothalamus via les récepteurs de l’α-‐MSH et du NPY, stimulant ainsi la sécrétion de peptides anorexigènes qui par l’effet de la satiété diminuent la prise alimentaire [55]. La leptine va aussi agir sur les neurones dopaminergiques de l’aire tegmentaire ventrale (VTA) [56]. Elle inhibe alors le système de récompense. Elle aide aussi à répondre aux signaux indiquant la satiété en inhibant l’activité des neurones à sérotonine dans le tronc cérébral (TC). En fonction de sa zone d’action elle va agir sur différents neurones et va impacter à la fois la régulation énergétique (TC et ARC) et la composante hédonique (VTA) comme le montre la Figure 7 ci-‐dessous. Ces circuits centraux seront détaillés par la suite.
Figure 7 : Synthèse et mode d’action de la leptine
Chez la souris, l’injection de leptine entraîne une diminution de la prise alimentaire et une perte de poids avec une augmentation de la dépense énergétique [57], [58], [59].
Lorsque la concentration de NPY augmente dans l’hypothalamus, la prise alimentaire est stimulée tout comme la sécrétion d’insuline via le nerf vague et la corticostérone produite par l’axe hypothalamo-‐hypophyso-‐surrénalien. L’augmentation des concentrations plasmatiques de ces deux hormones (insuline et corticostérone) favorise la répartition des nutriments vers les dépôts adipeux ainsi que vers les muscles. Elle va aussi stimuler la
sécrétion de leptine qui va alors effectuer son rétrocontrôle négatif sur la concentration de NPY et l’abaisser. La leptine agit sur d’autres peptides hypothalamiques en inhibant les signaux promoteurs de la prise alimentaire tels que la galanine, le MCH (melanin concentrating hormone) et les orexines et en stimulant les signaux inhibiteurs de la prise alimentaire tels que l’α-‐MSH, le GLP-‐1 (glucagon like peptide 1), la corticolibérine, et le CART (cocain and amphetamin regulated transcript). Cette boucle de regulation est synthétisée dans la Figure 8, ci-‐dessous.
Figure 8 : Boucle régulatrice entre l’hypothalamus et la périphérie chez le rongeur normal [60]
On retrouve également chez les humains et les animaux obèses une résistance à la leptine. Le noyau arqué, situé dans la région médiobasale de l'hypothalamus, ne répond plus aux fortes concentrations de leptine circulante dans l'organisme de la personne obèse, si bien que celui-‐ci se comporte comme s'il n'y avait pas de surplus calorique.
Limiter à la normale la consommation de lipides atténuerait ce phénomène [61]. Cependant, en raison de son état de résistance à la leptine, la dépense et la consommation énergétiques
d'une personne obèse tendent à demeurer dans un équilibre caractéristique d'une personne mince. De plus, l'exposition continuelle à de fortes concentrations de leptine est en soi une cause d'obésité : les récepteurs hypothalamiques de ce médiateur tendent à diminuer en réactivité à l’importante concentration en leptine, comme cela se produit dans le syndrome de résistance à l'insuline. Enfin, la barrière hémato-‐encéphalique devient aussi moins perméable à cette adipokine.
La leptine ne peut alors effectuer son rétrocontrôle sur le NPY dont la concentration reste élevée et on observe une hyperphagie, une stimulation de l’axe hypothalamo-‐hypophiso-‐ surrénalien, et une activation des efférences vagales qui stimulent la sécrétion d’insuline aboutissant à une obésité marquée comme schématisé dans la Figure 9 ci-‐dessous.
Par ailleurs, l’hyperleptinémie mesurée chez les obèses pourrait rendre les cellules β plus susceptibles aux effets délétères de la glucotoxicité et conduire à l’apoptose cellulaire [62].
Figure 9 : Boucle régulatrice altérée chez le rongeur génétiquement obèse [60]
Ainsi la leptine, ou ses récepteurs, peuvent être impliqués, via des mutations, dans les obésités génétiques. Une mutation au niveau des récepteurs entraîne une obésité extrême par exemple. La mutation la plus fréquente est celle de la leptine elle-‐même qui entraîne la formation d’une leptine inefficiente. Elle serait responsable de 3% des obésités juvéniles
sévères, le taux de leptine n’étant pas modifié ce qui nécessite un test diagnostique génétique [63]. Dans de rare cas, on retrouve un taux de leptine effondré [64].
Cependant, bien que la leptine soit essentiellement considérée comme un stimulateur de la satiété et de la dépense énergétique agissant sur l'hypothalamus, il est récemment devenu clair que d'autres parties du cerveau régissant le plaisir de manger à jeun (circuit mésolimbique) étaient inhibées par la leptine [65]. Ces mécanismes, tout comme celui qui préside au maintien du surpoids, qui seront détaillés plus tard, seraient un trait conservé pour ses avantages pendant l'évolution : la leptine ferait maigrir en situation d'excès de lipides et entraînerait une augmentation de la prise alimentaire en situation d’appauvrissement [66].
Enfin, il existe une différence sexuée dans la sécrétion de leptine : à quantité de tissu sous-‐ cutané égale, les adipocytes de la femme sécrètent trois fois plus de leptine que ceux de l’homme.
La leptine joue donc un rôle majeur dans la régulation de la prise alimentaire de par la variation de son taux qui peut être diminué en cas de régime alimentaire [67] ou de tabagisme [68] et modifié dans un sens ou un autre par divers produits dont les médicaments.
L’utilisation thérapeutique de la leptine pour parvenir à une perte de poids pourrait donner des résultats prometteurs [69]. Il existe à ce jour un analogue synthétique de la leptine : la Metreleptine (MYALEPT®). Ce médicament a été testé dans certaines formes d’obésité avec un déficit important en leptine chez l’enfant [70] ou chez l’adulte [71].