1 Préambules
1.1 Obésité
1.1.3 Mécanismes et Acteurs
1.1.3.5 Le microbiote intestinal
Le microbiote intestinal est un écosystème complexe composé essentiellement de bactéries et, dans une moindre mesure, d’archées, d’eucaryotes et de virus. La flore intestinale est dynamique et sa composition peut varier considérablement au cours du temps [136], selon les états physiopathologiques et/ou les changements de régime alimentaire [137].
Le microbiote intestinal est composé de centaines de millions de micro-‐organismes, soit dix fois plus que le nombre de cellules formant le corps humain [138].Le microbiome ou génome microbien code un ensemble de gènes 150 fois plus nombreux que ceux du génome
humain. Le microbiote joue un rôle déterminant en offrant des fonctions biologiques et métaboliques utiles pour l’hôte, qui ne peuvent pas être effectuées par le métabolisme humain [139] , [140]. Cette symbiose complexe est sous la dépendance d’interactions entre la génétique de l’hôte et des microbes, et de l’environnement.
A la naissance, le tractus gastro-‐intestinal du nouveau-‐né est stérile et sa primo-‐colonisation bactérienne va être déterminée par le mode d’accouchement. Ainsi, l’enfant né par voie basse est d’abord colonisé par des bactéries d’origine maternelle, en particulier des bactéries vaginales, fécales ou cutanées [141]. Les intestins du nouveau-‐né sont ensuite rapidement colonisés par les bactéries de l’environnement, essentiellement des Escherichia coli et des streptocoques, puis par celles contenues dans son alimentation, à base de lait, notamment les bifidobactéries et les lactobacilles. D’autres genres bactériens s’installent dans le tractus intestinal comme Bacteroides et Eubacterium plus tard. L’âge du sevrage est une étape transitoire qui induit de forts changements dans la composition du microbiote par l’introduction d’aliments solides et variés tels que les légumes ou les féculents. Le microbiote intestinal d’un enfant, stabilisé après le sevrage, est considéré comme étant en équilibre entre les deuxième et troisième années [141].
Grâce aux technologies moléculaires avancées, il a été recensé plus de 160 espèces bactériennes dans le tractus intestinal. 80 à 90% du microbiote intestinal est réparti en deux phyla : les Bactéroietes (Bacteroïdes, Prevotella) et Firmicutes (Clostridium, Enterococcus, Lactobacillus, Ruminococcus). On retrouve ensuite les Actinobactéries (Bifidobacterium) et les Protéobactéries (Helicobacter, Escherichia) [142].
Les bactéries intestinales ont pour rôle principal la digestion des substrats non digérés par l’hôte. Ce processus métabolique permet de fournir jusqu’à 10 % des besoins énergétiques de l’homme [143]. Le microbiote intestinal a d’autres rôles bénéfiques pour l’organisme notamment la mise en place et la maturation du système immunitaire [144] , [145] , [146] et la protection contre les micro-‐organismes pathogènes [147].
Il existe une différence entre la composition du microbiote intestinal des individus obèses et celui des individus minces. Il a été mis en évidence une implication des bactéries de la flore commensale sur la gestion du métabolisme énergétique. On assiste à un dialogue métabolique complexe entre les bactéries intestinales et l’organisme. Il impliquerait des
gènes codant pour des protéines de la régulation du stockage et de l’oxydation des nutriments [148].
Des études ont été menées sur les souris axéniques, dépourvues de flore intestinale. Elles ont montré le rôle important du microbiote intestinal dans l’homéostasie énergétique de l’hôte [149]. Ces souris axéniques, par rapport aux souris ayant une flore intestinale, sont protégées non seulement de l’obésité induite par un régime à haute teneur en graisse, mais aussi des désordres métaboliques associés comme l’intolérance au glucose. Leur sensibilité à l’insuline est augmentée chez ses souris axéniques [150]. De la même manière la flore intestinale va être impliquée dans l’induction du diabète de type 2 par des régimes gras chez les souris normales [151].
Une analyse moléculaire des bactéries fécales de seize diabétiques de type 2, comparée à celle de douze sujets sains, a montré que la composition bactérienne du groupe diabétique différait du groupe contrôle : les genres Bifidobacterium et Bacteroïdes vulgatus étaient moins retroluvés au sein du microbiote des patients diabétiques [152].
Dans une autre étude incluant dix-‐huit patients diabétiques et dix-‐huit sujets non diabétiques, on constate que la proportion du phylum Firmicutes est significativement diminuée chez les patients diabétiques. Le rapport Bacteroidetes/Firmicutes est lié positivement à la glycémie à jeun, sans relation avec l’IMC [153]. L’analyse de la composition du microbiote intestinal chez 30 patients obèses – dont sept patients diabétiques de type 2, comparativement à treize sujets de poids normal, a montré que l’espèce Faecalibacterium Prausnitzii était inversement liée avec le degré de résistance à l’insuline. Il semble donc que ces bactéries modulent l’inflammation et le diabète chez l’individu obèse [154] , [155]. Le lipopolysaccharide (LPS) est le composé principal de la membrane des bactéries Gram négatives. On observe une augmentation de la concentration sérique de LPS chez les animaux obèses et diabétiques, ainsi que chez l’homme [156], [157].Cette endotoxinémie est de faible amplitude, la concentration de LPS étant doublée dans l’obésité. Lorsqu’elle est reproduite par l’administration exogène de LPS, elle induit une diminution de la sensibilité à l’insuline comparable à celle retrouvée chez la souris obèse [156]. On observe une élévation similaire de LPS, avec un niveau en relation avec l’insulinémie à jeun, chez des patients diabétiques [154]. Chez le sujet sain l’endotoxinémie est corrélée avec l’absorption de
existe aussi un lien entre l’augmentation de la perméabilité de la barrière intestinale et le taux sérique de LPS d’animaux obèses et diabétiques. La perméabilité de cette barrière intestinale fait intervenir des dysfonctions de protéines de la «jonction serrée», et l’activation du système endocannabinoïde [159], [160].
Ainsi, l’augmentation des taux circulants de LPS qui constitue la composante délétère du microbiote intestinal, est intégrée et liée au stress inflammatoire observé chez les obèses et les diabétiques.
Le microbiote intestinal peut influencer le métabolisme par d’autres mécanismes. Par exemple, il facilite l’absorption intestinale de monosaccharides [161]induisant une élévation de la glycémie postprandiale. De plus, en ingérant des nutriments non absorbables dans la première portion du tube digestif, l’hôte peut nourrir des microbes dans la partie distale. Ces microbes peuvent fermenter ces nutriments et les transformer en acides gras à petite chaîne ou small chain fatty acids (SCFA) comme l’acétate, le propionate, ou le butyrate qui vont être absorbés dans le côlon. Ces SCFA contribuent à la régulation du métabolisme de l’hôte. En effet, plusieurs données montrent que ces composés sont impliqués dans le contrôle de l’obésité et des maladies associées, améliorant la sensibilité à l’insuline, induisant la satiété, et exerçant des effets anti-‐inflammatoires [162].
Par ailleurs, la colonisation de souris axéniques par le microbiote de souris présentant une obésité, qu’elle soit d’origine génétique (par exemple, de souris ob/ob présentant une déficience en leptine), ou nutritionnelle (administration chronique préalable d’un régime hyperlipidique), transfère le phénotype du donneur au receveur. Cela vient souligner le rôle que joue le microbiote intestinal en tant que régulateur du métabolisme de l’hôte [163] , [164]. De même, la colonisation bactérienne de l’intestin du rongeur va changer l’expression de gènes clés dans la régulation des voies cataboliques et anaboliques « à distance ». Comme l’illustre la Figure 15 en page 48, le transfert de microbiote favorise la voie anabolique de stockage au détriment de l’oxydation des nutriments. Les acides carboxyliques à chaîne courte (ACCC) issus de la fermentation de glucides vont se lier au récepteur couplé à la proteine G 41 (GPR-‐41) intestinal et promouvoir l’expression du peptide YY, ralentissant ainsi le transit intestinal. Certains ACCC vont également activer le récepteur GPR-‐43 adipocytaire. L’expression de ce récepteur va, de plus, être augmentée par le régime gras. Cette activation diminue la lipolyse et augmente la différenciation PPARγ-‐
dépendante, ce qui contribue à la croissance du tissu adipeux. Parallèlement, ce microbiote intestinal favorise le stockage d’acide gras sous le contrôle de la lipoprotéine lipase dans le tissu adipeux en diminuant l’expression intestinale de l’Angiopoietin related protein 4 (ANGPTL-‐4). L’augmentation du niveau de LPS dans le sang est liée à l’activation du système endocannabinoïde au niveau intestinal entraînant une augmentation de la perméabilité de l’intestin. Le LPS active la production du peptide SAA-‐3 dans l’intestin et le tissu adipeux [165].
Figure 15 : Réponses métaboliques de l’hôte en réponse aux changements de son microbiote intestinal [166].
L’absorption d’olisaccharides fermentables non digestibles peut modifier la composition et l’activité du microbiote intestinal. C’est le concept des prébiotiques [157], [139]. Les prébiotiques constitue une classe de fibres alimentaires nécessaires au métabolisme du microbiote humain et sont doublement impliqués dans la régulation du poids corporel : d’une part, ils augmentent la sensation de satiété, modulant les concentrations de médiateurs dérivés de l’intestin comme le peptide YY, la ghréline et le Glucagon-‐Like Peptide
1 (GLP-‐1) [167] ; d’autre part, les prébiotiques comme l’inuline et les oligosaccharides analogues ont une action anti-‐inflammatoire et régulatrice de la flore intestinale. L’administration de glucides fermentescibles prébiotiques peut contrer ces altérations phénotypiques. Chez des animaux obèses, l’administration de fructanes de type inuline augmente la proportion de bifidobactéries dans la portion distale du tube digestif, de même que la production d’hormones sécrétées par les cellules L intestinales, telles que le GLP-‐1, le GLP-‐2 et le peptide YY [157]. Les GLP-‐1 et GLP-‐2 entraînent une diminution de la perméabilité intestinale et une inhibition du système endocannabinoïde au niveau de l’intestin et du tissu adipeux. Ils contrecarrent la surexpression de GPR-‐43 et augmentent la lipolyse du tissu adipeux, ce qui diminue l’adiposité [165]. Le GLP-‐1 stimule la sécrétion d’insuline, supprime celle du glucagon, diminue la résistance hépatique à l’insuline, et augmente la satiété. On retrouve d’ailleurs parmi les solutions thérapeutiques du diabète de type 2 des analogues du GLP-‐1 comme Victoza® et Byetta® et des inhibiteurs de l’enzyme DPP4 qui inactive le GLP-‐1 endogène tels que Galvus®, Januvia®, Onglyza®. Parallèlement à la modulation du système endocannabinoïde dans l’intestin, l’augmentation de la sécrétion du GLP-‐2 améliore la fonction de la barrière intestinale, et par là-‐même le contrôle de l’endotoxinémie [159] , [160]. Chez l’homme, la modulation de la sécrétion des incrétines par des prébiotiques (fructanes de type inuline) a été démontrée dans une étude contrôlée randomisée en double aveugle chez des sujets sains [168] : l’élévation postprandiale du GLP-‐ 1, du GIP et du peptide YY est corrélée avec une diminution du taux de glucose et une augmentation de la satiété chez les sujets supplémentés en prébiotiques.
Le traitement de personnes obèses ou diabétiques par des prébiotiques a été testé dans quelques études. Chez les patients obèses ou en surpoids on a pu observer une perte de poids partielle avec les prébiotiques [169]. Chez les patients diabétiques les résultats sont moins nets, et n’ont pas montré de modification significative de l’homéostasie glucidique chez ceux recevant des prébiotiques.
Le ciblage direct du microbiote intestinal par des fibres alimentaires entraîne une normalisation du phénotype métabolique pathologique.
Aux vues des connaissances scientifiques actuelles, le microbiote intestinal pourrait représenter une nouvelle cible thérapeutique personnalisée des maladies métaboliques.