1 Préambules
1.1 Obésité
1.1.3 Mécanismes et Acteurs
1.1.3.4 Inflammation du tissu adipeux
Figure 12 : Acteurs de la régulation de la prise alimentaire d’après Serge Luquet (2008) [98].
1.1.3.4 Inflammation du tissu adipeux
L'obésité est associée à une inflammation systémique chronique subaigüe : on constate en effet que chez les personnes obèses circulent continuellement des médiateurs de l'inflammation tels que le TNF-‐α et l'interleukine-‐6 et que leurs concentrations se normalisent avec la perte de poids [99]. Il est reconnu que les tissus adipeux hypertrophiés sont une source de ces médiateurs et que ceux-‐ci, en retour, entravent la lipolyse et la perte de poids [100].
La présence d’une inflammation induite par le tissu adipeux et son rôle dans l’obésité et la résistance à l’insuline sont décrits pour la première fois en 1993 dans une étude qui montre
la production constitutive de facteurs pro-‐inflammatoires par le tissu adipeux et particulièrement TNF-‐α [101]. Cette étude retrouve une augmentation significative de ces facteurs au niveau des adipocytes d’animaux obèses. Par ailleurs, en neutralisant le TNF-‐α, on observe une amélioration de la sensibilité à l’insuline chez ces mêmes animaux. Ainsi il existe un lien entre cytokines pro-‐inflammatoires produites par le tissu adipeux et insulino-‐ résistance.
Chez l’homme, les adipocytes des sujets obèses sécrètent plus de TNF-‐α [62]. Celui-‐ci exerce un effet insulinorésistant par phosphorylation du récepteur de l’insuline [102]. Au niveau de la cellule β, le TNF-‐α inhibe la sécrétion d’insuline et déclenche l’apoptose des cellules β [103].
Cet état d’inflammation chronique évolue à bas bruit, à l’image de nombreuses pathologies qui sont associées à l’obésité comme l’athérosclérose, le diabète de type 2 et certaines maladies hépatiques. Les sujets obèses présentent une augmentation modérée, mais chronique, des taux circulants des médiateurs de l’inflammation eux-‐mêmes associés à une augmentation des risques cardiovasculaires. On décrit une élévation des concentrations circulantes des protéines de la phase aiguë de l’inflammation comme le fibrinogène, la protéine C-‐réactive (CRP), le sérum amyloïde de type A (SAA), le PAI-‐1, ou encore de l’alpha-‐ 1 glycoprotéine acide (GAA-‐1) et de l’antagoniste du récepteur de l’IL-‐1 (IL-‐1Ra), et de cytokines comme l’IL-‐6 et le TNF-‐α. Le tissu adipeux viscéral sécrète 30% de l’IL-‐6 circulante. Par ailleurs, l’inhibiteur de l’activation du plasminogène (PAI-‐1), fait partie des protéines de la phase aiguë de l’inflammation. Il a aussi été particulièrement étudié ces quinze dernières années. On observe une élévation des concentrations plasmatiques du PAI-‐1 chez les sujets obèses. Cette élévation de PAI-‐1 diminue la fibrinolyse et contribuerait au risque augmenté d'accidents thrombotiques, particulièrement chez les personnes souffrant d’une obésité abdominale. On suggère des associations entre les niveaux plasmatiques de PAI-‐1, le diabète de type 2 et l'accumulation de graisse viscérale. Ces travaux ont ouvert un nouveau champ de recherche dans le domaine de l’inflammation lié à l’obésité. Cette voie a pris encore plus d’importance après la découverte, en 1994, de la leptine, principale hormone anorexigène du tissu adipeux, ayant un rôle fondamental dans la régulation du poids. Le concept d’adipocytokine ou adipokine a été proposé pour qualifier des molécules de l’inflammation
produites par le tissu adipeux, susceptibles de circuler et d’avoir une action systémique [104].
Par ailleurs cette corrélation entre inflammation et obésité se vérifie par la diminution des phénomènes inflammatoires lors des pertes de poids.
La perte de poids induite par une restriction calorique plus ou moins sévère diminue les taux circulants de CRP, TNF-‐α et d’IL-‐6 chez l’obèse. Ces modifications se retrouvent dans une cohorte d’une soixantaine de sujets massivement obèses. Après un an d’une perte de poids de 30% du poids initial en moyenne, il y a une forte diminution du fibrinogène et la CRP (marqueurs non spécifiques), ainsi que du SAA, de l’orosomucoïde, de l’IL-‐6, du TNF-‐α et une élévation de l’adiponectine [105], [106]. On peut ainsi dire que l’amaigrissement entraîne une diminution des marqueurs de l’inflammation circulants qui pourrait être en rapport avec l’amélioration des complications cardiovasculaires et de la résistance à l’insuline [107]. Ce lien entre masse grasse et inflammation s’explique par une capacité du tissu adipeux à sécréter des molécules pro-‐ et anti-‐inflammatoires.
L’accroissement du tissu adipeux chez l’obèse conduit à un déséquilibre dans la production et la sécrétion de molécules anti-‐ et pro-‐inflammatoires, en faveur des facteurs pro-‐ inflammatoires [108], [109].
Nous avons décrit précédemment la structure du tissu adipeux (1.1.2 Adiposité p. 23).
Le tissu adipeux blanc est composé d’adipocytes, mais aussi diverses cellules non adipeuses, comme les pré-‐adipocytes, les histiocytes, les fibroblastes, les cellules endothéliales et des macrophages (CD14+/CD31+). Ces cellules sont regroupées sous le terme de « fraction stromale vasculaire » comme illustré ci-‐dessous sur la Figure 13.
Figure 13 : Organisation cellulaire du tissu adipeux blanc [110]
L’isolement et l’analyse des différentes fractions cellulaires indiquent que les adipocytes expriment et secrètent in vitro des cytokines comme le TNF-‐α [101] et l’IL-‐6 [111]. Ce sont les adipocytes qui sécrètent également les sérums amyloïdes [106]. En parallèle, l’importance de la fraction stromale dans la production de facteurs inflammatoires par le tissu adipeux est maintenant reconnue [112]. Des travaux récents chez l’homme et chez l’animal suggèrent d’ailleurs que la sécrétion de molécules liées à l’inflammation par les macrophages de la fraction stromale joue un rôle particulièrement délétère chez l’obèse [113].
Plusieurs équipes ont montré qu’il existe une infiltration macrophagique au sein du tissu adipeux blanc des sujets obèses. Cette infiltration est liée à l’indice de masse corporelle (IMC) et à l’hypertrophie adipocytaire [114] , [115] , [116].
L’infiltration macrophagique peut s’expliquer par deux voies distinctes. La première est qu’il y a une ressemblance dans les profils d’expression génique des macrophages et des adipocytes et les adipocytes pourraient exercer des propriétés macrophagiques dans un environnement inflammatoire, témoignant ainsi de la flexibilité de leur phénotype [117], [118]. La seconde voie est celle d’une migration des macrophages provenant de la moelle
osseuse et il semblerait que ce soit cette seconde explication qui prévaut [114]. Ainsi les macrophages du tissu adipeux ne dérivent pas d’une différenciation « in situ » des pré-‐ adipocytes mais plutôt des monocytes circulants qui infiltrent ce tissu, attirés par de puissants facteurs chimiotactiques. Il n’est cependant pas exclu que ces deux phénomènes puissent coexister dans le tissu adipeux.
Chez les sujets obèses, les macrophages infiltrant le tissu adipeux se disposent typiquement en « rosettes » ou « couronnes » autour des adipocytes et parfois se fusionnent en cellules géantes comme le montre la Figure 13 : Organisation cellulaire du tissu adipeux blanc [110] en page 41. Ce phénotype étonnant témoigne vraisemblablement d’une activité inflammatoire locale [119].
De multiples mécanismes vont faciliter l’infiltration macrophagique et l’activation des macrophages dans le tissu adipeux. Des signaux paracrines, autocrines et endocrines ainsi que des modifications mécaniques liées à l’hypertrophie et l’hyperplasie peuvent jouer un rôle dans de tels phénomènes. De nombreuses chimiokines, telles que MCP-‐1 et CSF-‐1 (colony stimulating factor 1), sécrétées par le tissu adipeux, sont impliquées dans le recrutement des macrophages dans le tissu adipeux comme schématisé en Figure 14 ci-‐ dessous. Des études in vitro suggèrent que la leptine favorise l’adhésion des macrophages dérivés des monocytes sur les cellules endothéliales du tissu adipeux [116].
Figure 14 : Voies de recrutement des macrophages dans le tissu adipeux [120]
On distingue deux sous-‐types de macrophage, les macrophages M1 activés par la voie classique (LPS, TNF-‐α) et les macrophages M2 activés par une voie alterne (IL-‐4, IL-‐13) [121]. Alors que les macrophages M1 stimulent l’inflammation par la production de cytokines pro-‐ inflammatoires et éliminent les pathogènes, les macrophages M2 favorisent l’angiogénèse et la réparation tissulaire et ont donc une action anti-‐inflammatoire.
Chez les souris obèses, on observe le recrutement de macrophages M1 autour des adipocytes en couronne [122]. Ils sont chargés en gouttelettes lipidiques résultantes de leur activité de phagocytose des lipides [123], [124]. En absence d’obésité on retrouve des macrophages M2 [122], [125]. Il a été montré qu’il y a une persistance de phénotypes M1 jusqu’à seize semaines de régime. On assiste ensuite à une diminution des M1 au profit des M2 [126]. Chez l’homme, l’obésité favorise l’accumulation des macrophages de type M1 [127].
Les macrophages M1, une fois dans le tissu adipeux, pourraient alors exercer leur rôle d’élimination des cellules mortes ou déficientes et participer à l’intégrité du tissu adipeux. Plusieurs expérimentations suggèrent que l’infiltration macrophagique peut ainsi modifier la biologie des adipocytes. Des milieux conditionnés par des monocytes sanguins activés par le LPS ou des macrophages sélectionnés à partir du tissu adipeux diminuent l’adipogénèse et induisent le statut inflammatoire des pré-‐adipocytes [128].
Par ailleurs, le TNF-‐α produit par les cellules du stroma vasculaire, exerce un puissant effet inhibiteur sur la différenciation adipocytaire. Ce même TNF-‐α ainsi que d’autres cytokines, comme l’IL-‐6 ou encore l’IL-‐1, pourraient favoriser la résistance à l’insuline des cellules adipocytaires. Il y aurait une boucle paracrine entre les acides gras libérés par les adipocytes et le TNF-‐α des macrophages. Celle-‐ci aggraverait le profil proinflammatoire du tissu adipeux [129].
Les conséquences systémiques de cette inflammation chronique sont multiples.
L'accumulation de macrophages dans le tissu adipeux chez l’obèse est corrélée à l’augmentation des concentrations systémiques de certaines cytokines inflammatoires. Ces molécules peuvent agir à distance de leur site de production et peuvent constituer un lien moléculaire entre tissu adipeux et les complications métaboliques, cardiovasculaires, voire même hépatiques associées alors à l’obésité. Les relations avec la sensibilité à l’insuline et
l’athérosclérose ont été le plus étudiées. Ainsi, le TNF-‐α, l’IL-‐6, ainsi que la résistine, sont produits par les macrophages activés [130] et peuvent directement contribuer aux mécanismes d’altération de la sensibilité à l'insuline dans différents tissus [131] , [132]. Ces cytokines pro-‐inflammatoire induisent notamment un processus inflammatoire pancréatique local, au cours duquel les îlots pancréatiques produisent de l’interleukine-‐1β (IL-‐1β) en réponse à l’hyperglycémie chronique et aux acides gras libres, ce qui pourrait entraîner un dysfonctionnement, voire l’apoptose des cellules β du pancréas [133], [134]. Les niveaux circulants de résistine et du récepteur soluble du TNF-‐α sont très corrélés chez les patients diabétiques. Outre leurs effets métaboliques, la leptine et l’adiponectine, produites par l’adipocyte, participent aux processus athérogéniques comme expliqué précédemment (Leptine en page 28 et Adiponectine en page 32). L’adiponectine supprime les réponses inflammatoires locales et la prolifération des cellules musculaires lisses ainsi que la transformation des macrophages en cellules spumeuses au niveau des plaques d’athérome [135]. Or le TNF-‐α et l’IL-‐6 inhibent la production d’adiponectine, entraînant une diminution de la concentration plasmatique d’adiponectine chez l’obèse et augmentant ainsi le risque cardiovasculaire.
Ce processus inflammatoire « bas grade » lié à l’obésité que nous venons de décrire ouvre de nouvelles perspectives dans la recherche des mécanismes physiopathologiques impliqués dans le développement de l’obésité, son évolution, son maintien, la résistance à la perte de poids dans l’obésité installée et ses complications multiples. En effet, la modulation des facteurs de l’inflammation pourrait représenter à l’avenir de nouvelles stratégies thérapeutiques pour le traitement des pathologies associées à l’obésité.